France

Voici la suite et fin de cette fiche de lecture sur l’ouvrage de Thesmar et Landier, 10 idées qui coulent la France. La première partie peut être lue ici. Il s’agit d’un excellent complément de cours pour nourrir une dissertation !

5. Les marchés, c’est la dictature du court terme

Cette démonstration renvoie à leur ouvrage susmentionné, Le Grand méchant marché (que mes camarades appelaient affectueusement le GMM). Elle s’attaque au mythe de la « dictature des 15 % ». Cette idée selon laquelle les PDG sont contraints, par leurs actionnaires, à avoir un rendement annuel de 15 %. Les marchés financiers privilégieraient alors les rendements à court terme, au détriment de l’investissement et de la rémunération des salariés, sans même parler des progrès écologiques.

Avec des statistiques sur les sociétés cotées, nos deux auteurs mettent en évidence l’absurdité d’une telle thèse. Parmi les 3 500 plus grandes entreprises cotées aux États-Unis, un quart ont des profits négatifs et 56 % ont une rentabilité inférieure à 10 % ! Pour les actions françaises, le rendement moyen entre 1990 et 2006 était de 3,7 %.

Deux groupes sont coupables de répandre ce mythe. D’une part, les grands managers, qui auraient préféré ne pas subir une telle pression de la part des investisseurs, qui, en somme, les forcent à être compétents et acharnés. D’autre part, les fonds souverains et autres entités qui entendent étendre le domaine de l’investissement public, pour siphonner de l’argent en direction de projets non rentables. Ici, le problème est évident : puisqu’ils refusent l’idée de la rentabilité, on ne peut jamais les qualifier d’incompétents ! Ils peuvent donc utiliser l’argent public comme bon leur semble, sans ne jamais être remis en cause.

6. Une grande banque publique pour nos PME, c’est indispensable

Le mythe est ici le suivant : les PME françaises ne trouvent pas de moyens de financement, ce qui les empêche d’atteindre leur plein potentiel. Et la réponse à ce problème est de laisser l’État leur accorder des crédits.

La faille est simple à comprendre : si toutes les PME n’obtiennent pas de financement, c’est à cause de l’aléa moral, elles ne sont pas capables de prouver à la banque qu’elles sont pleinement incitées à éviter tous les risques inutiles et à s’investir pleinement dans leurs projets. Transformer ce financement en argent public ne résout pas du tout ce problème originel. Donc, l’État s’assure de prêter à perte, tout cela avec l’argent du contribuable.

La vraie solution : s’attaquer au problème initial et donner aux banques plus de garanties sur leur prêt. Cela passe par leur rendre le droit des faillites plus favorable. La France est encore une fois une exception en la matière.

7. La BCE ? Une institution bornée qui bloque la croissance

La BCE serait une institution rigide, qui réagit trop lentement aux crises, et qui laisse des taux d’intérêt trop élevés. Ce qui déprime la croissance et la compétitivité-prix de toute la zone euro. Une concurrente bien pâle de la Fed, qui soutient la croissance et l’emploi, responsable de la meilleure performance économique des États-Unis. Le président de la Fed entre 1987 et 2006, Alan Greenspan, était après tout l’homme qui « murmurait à l’oreille des marchés ».

Souvent, on entend dire que la BCE a réagi trop lentement à la crise de 2008. En réalité, elle a réagi juste à temps. Et c’était plus tard que la Fed, car le cycle économique européen a été touché plus tardivement par la crise.

Sinon, elle a mis en place des efforts de Quantitative Easing et de taux zéro dans des mesures comparables à celles de la Fed. Et elle a aussi sauvé les finances publiques de l’Europe du Sud. Pour ce qui est des enjeux de taux de change et de compétitivité-prix (Nicolas Sarkozy se plaignait notamment d’un président de la BCE qui « confond monnaie forte et économie forte »), le taux de change effectif réel de la France a perdu 9 % entre 1999 et 2014.

Difficile donc de justifier le réflexe quasi pavlovien de nos gouvernants qui est de blâmer le banquier central.

8. Le culte de la concurrence : voilà l’ennemi

Voici une autre idée toxique introduite par les grands industriels et reprise par les instituts qu’ils financent. Il faudrait réduire la concurrence, pour prendre en compte l’intérêt du producteur et pour favoriser l’émergence de champions européens assez grands pour rivaliser avec les entreprises chinoises et américaines. Une telle doctrine a été soutenue par deux rapports récents : le rapport Gallois (2012) et le rapport Beffa-Cromme (2013).

La France devrait être protégée de la concurrence étrangère, notamment chinoise, dans des secteurs comme celui des panneaux solaires (exemple pris par les auteurs). Mais se priver de panneaux solaires moins chers, c’est forcer le contribuable à financer les parcs solaires à plus haut coût (sans régler le manque de compétitivité des industriels français).

Une telle remarque est encore plus lourde de sens dans le contexte énergétique (et inflationniste) actuel. Encore une fois, nos voisins allemands et nordiques comprennent la supercherie et n’ont pas pris de telles mesures.

L’intuition proposée derrière le point de vue de nos auteurs est que l’intérêt du producteur n’existe pas

Le producteur produit quelque chose qui doit être consommé, donc l’intérêt final est toujours celui du consommateur. On ne produit donc pas pour produire. Il est donc absurde de maintenir artificiellement en vie des producteurs qui ne sont pas compétitifs.

En baissant les prix, non seulement la concurrence a un effet redistributif (par les profits des industriels, donnés aux actionnaires), mais elle a aussi un effet structurel positif sur la croissance, car elle augmente les quantités produites. Ce que l’on peut représenter facilement sur un graphique de l’offre et de la demande quand on rapproche le prix du prix d’équilibre.

Deux passages résument tout : « Comme les consommateurs sont en moyenne plus pauvres que les actionnaires, la concurrence agit comme une grande machine à redistribuer l’argent des riches » et « Les ennemis naturels de la concurrence, ce sont les capitalistes établis ».

La cerise sur le gâteau : la concurrence augmenterait même l’investissement, contrairement aux croyances populaires. On peut, pour cela, citer l’étude « The effects of entry on Incumbent Innovation and Productivity » de Aghion et al. en 2009.

9. La solution à la crise ? C’est plus d’Europe, bien sûr !

Ici, la crise à laquelle on fait référence est la crise des dettes souveraines de 2012. La doxa est que l’Europe doit profiter de cette crise pour grandir, elle doit en « sortir par le haut » et prendre un pas de plus vers le fédéralisme européen. Nos économistes ont une objection à émettre : la solidarité requise, pour que les pays du Nord européen acceptent de financer la dette des pays du Sud européen, n’est tout simplement pas là. L’Europe est trop hétérogène pour entraîner de tels transferts de richesses (l’altruisme a plus de chances d’arriver dans une société homogène). Depuis, l’allemand médian n’est pas plus riche que l’italien médian.

Car, émettre des dettes en commun, cela revient juste à un transfert de richesses du Nord au Sud. D’une part, car il est évident que la majorité des aides seront dirigées vers les pays les plus fragiles. D’autre part, car cela permet aux pays du Sud, qui faisaient face à de forts intérêts sur leur dette (un « spread » élevé, expliqué par un risque de défaut plus fort), car ils avaient déjà utilisé fortement la dépense étatique, de jouir de la stabilité des pays du Nord pour emprunter à bas taux.

L’injustice, ici, est bien évidemment que les pays du Nord n’ont pas eu l’occasion de doper leur croissance avec toutes ces dépenses avant la mise en commun des dettes.

Bref, le fédéralisme européen, pour nos auteurs, n’est pas pour demain. Et cela implique de sortir d’une croyance pieuse, partagée unanimement par les politiques et les technocrates, qui est celle selon laquelle tous nos problèmes économiques disparaîtront quand l’intégration européenne sera menée à bien.

10. Une meilleure gouvernance mondiale, c’est ça qui réglera tout

Un dépassement digne d’un troisième axe dans une copie de concours. Si ce n’est pas l’Europe, ce sera le monde qui nous offrira une meilleure gouvernance. Mais on trouve deux défauts à cette idée.

D’une part, il est quasiment impossible de trouver des accords mondiaux coercitifs. Le sommet le plus courant et le plus reconnu, le G20, n’a aucune légitimité institutionnelle et ne produit jamais de régulations ou d’obligations. Très simplement, des pays aux intérêts opposés ne signeront jamais un même texte si ce dernier impose la vision de l’un des deux. La conclusion de ces sommets est donc toujours la même : les nouvelles régulations ne sont pas pour aujourd’hui, mais tous les pays s’engagent fermement à « faire de leur mieux » pour la croissance et l’écologie.

D’autre part, qu’est-ce qui nous garantit que, si elle est possible, cette gouvernance mondiale serait alignée sur les idéaux français ? Notre philosophie collective sur la place du travail dans la vie, sur la répartition des richesses, sur les droits des minorités, sur la légitimité des grandes fortunes, sur l’importance de la liberté face au collectif est radicalement différente de celle du reste du monde. Et la puissance de notre économie ne nous permet pas d’imposer ces idéaux sur la scène mondiale. Pourquoi alors se faire le fer de lance d’une gouvernance mondiale qui s’opposerait à nos racines éthiques ?

Mot de fin

Une première conclusion s’impose : les thèses avancées dans ce livre, publié en 2013, demeurent brûlantes d’actualité. Surtout dans un contexte où l’inflation redevient un problème, puisqu’on retrouve les enjeux inflationnistes en filigrane dans certaines des idées explorées. Notamment : la concurrence, l’investissement public, les subventions à l’industrie, l’importance des marchés financiers. On peut faire une exception pour le passage sur l’Europe, où l’idée des Eurobonds (projet réalisé en 2020, soit sept années après la sortie du livre) est qualifiée d’irréaliste.

Une deuxième, encore plus intéressante pour un élève d’ECG : on en revient souvent aux théories économiques. Ce n’est pas parce qu’un sujet est actuel et discuté par la sphère politique qu’il faut oublier les concepts discutés en cours d’ESH. Pour le financement des PME, on en revient aux aléas moraux, pour la concurrence, on en revient au concept de prix d’équilibre (et, plus largement, à la loi des avantages comparatifs). Et pour la concurrence managériale, on en revient au concept d’incitation !

Alors, la prochaine fois que tu te retrouveras face à un sujet déroutant, pense à te raccrocher aux concepts économiques fondamentaux.