La pandémie de Covid-19 a été le témoin de nombreux discours critiques à l’égard de la mondialisation. Renforçant la position des adeptes de la démondialisation, la crise aura été le catalyseur de nombreux réquisitoires contre la mondialisation, dans toutes ses dimensions (économique, financière, commerciale, culturelle, etc.).
S’il semble être trop tôt pour définitivement admettre qu’il s’agit des premiers signes d’une démondialisation durable, certains indicateurs ne trompent pas. Depuis des décennies, la tendance est à la chute de l’interconnexion des pays entre eux.
Dans son ouvrage paru en 2020, Serge d’Agostino, économiste et professeur d’économie français, présente de façon complète et accessible le concept de démondialisation. Il structure son ouvrage autour de ces nombreuses questions qui traduisent la complexité de ce processus, objet d’intenses débats. Les thèmes abordés dans cet ouvrage montrent combien les forces « mondialisatrices » et « démondialisatrices » sont à l’œuvre depuis une trentaine d’années.
Introduction
Serge d’Agostino introduit son ouvrage en précisant qu’il n’est ni un plaidoyer en faveur de la mondialisation ni un dénigrement. L’ouvrage témoigne et tente de comprendre les arguments de ceux qui la promeuvent et d’en percevoir les limites. Dans Éloge des frontières (2010), Régis Debray tenait ainsi un propos qui représente bien la pensée de notre auteur :
« Toute frontière, comme le médicament, est remède ou poison. Et donc affaire de dosage. »
Le choix entre mondialisation et démondialisation est, en effet, affaire de dosage. Beaucoup d’économistes considèrent aujourd’hui que la mondialisation est allée trop loin. C’est le cas du prix Nobel d’économie Paul Krugman, qui reconnaît désormais qu’il ne faut plus intensifier le processus. D’autres auteurs, plus incisifs, préconisent un recentrage significatif des activités économiques sur les territoires nationaux.
Par conséquent, présenter la mondialisation et la démondialisation comme des choix alternatifs et exclusifs n’a pas de sens dans une société moderne et relève du mythe. La réalité est en fait un entre-deux, que la démondialisation souhaite altérer.
La crise de la Covid-19 aura illustré les failles d’une mondialisation excessive des industries pharmaceutiques et médicales. Dans ce contexte, l’usage du terme de « démondialisation » s’accentue. Dès lors, à quoi correspond vraiment la démondialisation ? Le récent tournant de la mondialisation est-il annonciateur d’une démondialisation durable ? Le cadre régional n’est-il pas plus pertinent que le cadre national pour organiser le recentrage des activités que suppose la démondialisation ?
Afin de répondre à toutes ces questions, nous te proposons une analyse de l’ouvrage de Serge d’Agostino, dont nous avons pris la liberté de sélectionner quelques passages importants pour tes révisions et d’actualiser certaines données. Tu pourras utiliser les références, citations, mécanismes et chiffres au sein de tes copies d’économie. Bonne lecture !
Mondialisation et démondialisation
Une première approche de la mondialisation
L’auteur explique que, depuis deux siècles, l’internationalisation des économies est avérée. Elle est caractérisée par l’essor des échanges internationaux résultant d’une insertion plus grande des pays dans l’économie mondiale. Ces échanges portent sur les marchandises, les services ou encore des capitaux et sur les migrations internationales des travailleurs.
Depuis les années 1970, l’internationalisation des échanges s’amplifie : elle participe du processus de mondialisation. Un vaste marché mondial de biens, services, capitaux et de travail émerge et s’affranchit alors des frontières politiques des États. L’interdépendance des pays entre eux est alors accentuée.
En outre, si mondialisation et globalisation sont souvent tenues comme synonymes, certains opèrent une différence. Ainsi, Alain Supiot, juriste et professeur au Collège de France, considère que la globalisation va au-delà de la mondialisation. Pour lui, la globalisation s’affranchit de ce qui pourrait entraver sa marche en avant, comme les frontières politiques et physiques ou les limites juridiques. Seul le rendement prévaut.
L’auteur ajoute, en outre, que la mondialisation n’est pas seulement économique. Dans cette perspective, elle concerne également les flux d’informations, de connaissances et de données. Elle concerne également le droit, puisque la mondialisation économique suppose une forme de mondialisation juridique. Des institutions internationales (FMI, OMC) contribuent ainsi à l’institution d’un cadre réglementaire et juridique mondial. La mondialisation est également culturelle, même si la globalisation de la culture n’est pas son homogénéisation. En ce sens, de nombreuses enquêtes confirment que les spécificités culturelles nationales persistent malgré quelques rapprochements.
Qu’est-ce que la démondialisation ?
La démondialisation connaît une grande popularité après la publication de l’ouvrage Deglobalization: Ideas for a New World Economy (W. Bello, 2002). Depuis, de nombreux auteurs se fondent sur cette référence.
L’auteur démontre l’existence de deux niveaux de démondialisation :
- le premier niveau est celui de chaque État qui établit sa stratégie de réduction de sa dépendance à l’égard du reste du monde. Il négocie son indépendance avec les autres États ;
- le second niveau est celui du monde entier. Certains pays s’inscrivent dans le processus de démondialisation, tandis que d’autres maintiennent leur insertion dans la mondialisation.
Pour Karl Polanyi (La Grande transformation, 1944), la démondialisation consiste à « réencastrer » l’économie et le marché dans la société. Cela a alors pour but d’en finir avec la prééminence de la logique marchande nuisant à l’intégration sociale. En outre, pour un pays, démondialiser suppose d’ériger des barrières face aux différents flux mondiaux et de cesser de privilégier la réduction des coûts lorsqu’elle conduit à la déstabilisation sociale et écologique.
Cela suppose alors de répondre à une série de questions : quels sont les flux concernés ? Faut-il freiner les importations et/ou les exportations de biens et services ? Quel doit être le niveau des barrières aux échanges et quelle doit être leur nature ? Faut-il recentrer les échanges sur l’État-nation ou faut-il envisager un cadre plus large, tel qu’un bloc régional ? Enfin, quels sont les effets négatifs prévisibles de la démondialisation ?
À court terme : démondialiser impose de franchir plusieurs obstacles
Les conséquences légales de la démondialisation
D’abord, l’auteur précise qu’enfreindre les règles internationales n’est pas sans conséquences. Par exemple, s’ils relèvent les droits de douane frappant à leurs importations de voitures européennes, les États-Unis s’exposent à des sanctions prévues par l’ORD (Organe de règlement des différends) de l’OMC, car il jugera ces droits de douane contraires aux règles du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade).
De la même manière, un investisseur étranger peut attaquer un État si ce dernier a pris des mesures nuisant à son investissement. C’est notamment le cas de contraintes financières, écologiques ou sociales excessives. Et les sanctions sont souvent lourdes : le tribunal arbitral statue souvent en sa défaveur, ce qui advient dans près de 60 % des cas.
En outre, les pays s’engageant dans une démondialisation financière risquent de s’exposer au risque de ne plus pouvoir accéder aux ressources de financement provenant d’institutions internationales (FMI, Banque mondiale, BPI, etc.). Ils pourraient de même se voir supporter des conditions plus rigoureuses si ces institutions conditionnent leurs prêts à une ouverture des économies.
Les (dangereuses) conséquences économiques, sociales et politiques de la démondialisation
La démondialisation coûte également très cher économiquement, socialement et politiquement. Et l’inflation semble être un des nombreux effets négatifs de la démondialisation. En effet, on peut s’attendre à une chute du taux de change du fait de l’inquiétude des investisseurs. Les importations devenant alors plus coûteuses, les coûts de production augmentent mécaniquement, ce qui se répercutera sur une hausse des prix.
Sans compter les anticipations des agents économiques. D’un côté, les consommateurs prévoient une accélération de l’inflation et anticipent alors leurs achats, faisant croître l’écart inflationniste. De l’autre, les producteurs ont tout intérêt à différer leur offre afin de profiter de l’augmentation future des prix.
De surcroît, certaines productions ne pourront répondre à la demande, faute d’un approvisionnement national suffisant étant donné les délocalisations antérieures. Et la relocalisation demande du temps. Le recul de la production ralentira alors l’emploi, en plus de la disparition des emplois dépendant des exportations. Une multiplication des faillites est donc à craindre. La démondialisation financière réduit également les flux de capitaux entrants, ce qui complique le financement des entreprises. Ces dernières pourraient alors être amenées à réduire leurs investissements et l’emploi. Enfin, les départs des travailleurs les plus qualifiés sont un risque majeur pour les pays optant pour la démondialisation.
Et toutes ces difficultés économiques pourraient conduire à des conflits sociaux de très grande ampleur, accentuant en retour ces difficultés. Les problèmes de financement des services publics consécutifs au recul de la croissance économique nationale participent au climat social délétère. Enfin, politiquement, la poussée des mouvements nationalistes identitaires altère l’unité nationale et alimente les conflits sociaux internes.
À long terme, des changements fondamentaux sont nécessaires
Les perspectives de démondialisation à long terme sont source de débats pour les économistes. Ainsi, le prix Nobel Joseph Stiglitz se méfie du protectionnisme, qui est au cœur des propositions des promoteurs de la démondialisation, en raison des risques de guerres commerciales qui en découlent.
D’autres, tels que Michel Aglietta, envisagent la possibilité d’un futur caractérisé par la démondialisation. Dans Capitalisme : le temps des ruptures (2019), l’économiste français considère que le capitalisme a connu dans l’histoire des régimes de croissance séparés par des époques de rupture. Lors de ces périodes, les sociétés se transforment pour inventer de nouvelles institutions capables d’organiser de nouveaux modes de régulation socioéconomique.
Ainsi, pour Walden Bello, la démondialisation ne consiste pas à se retirer de l’économie mondiale. Pour lui, la démondialisation consiste à :
« Réorienter les économies d’une focalisation sur la production pour l’exportation vers la production pour le marché local. » (La Démondialisation : idées pour une nouvelle économie mondiale, 2011)
Encore faut-il, cependant, trouver un équilibre viable entre l’économie nationale et l’économie internationale, sans repli nationaliste. Dès lors, les mesures destinées à mettre en œuvre une stratégie de démondialisation s’articulent autour de plusieurs axes :
- produire pour le marché intérieur plutôt que pour l’exportation. Cela suppose d’appliquer un principe de subsidiarité stipulant que l’échelon supérieur (mondial ou régional) prend en charge les problèmes que l’échelon inférieur (national) ne peut régler efficacement ;
- mettre en place une politique industrielle active. Il serait nécessaire de revitaliser l’industrie, le protectionnisme pouvant alors y contribuer d’après les personnes plaidant pour une démondialisation ;
- réduire les inégalités de revenus et de patrimoines. Une telle réduction de ces inégalités est nécessaire, car elle permet de stimuler le marché intérieur. En outre, d’après W. Bello, la réduction des inégalités permet de contrer les déséquilibres environnementaux.
Conclusion
C’est déjà la fin de la première partie de cette fiche de lecture de l’ouvrage très complet de Serge d’Agostino. Nous espérons qu’elle t’aura permis de cerner les grands enjeux de la démondialisation et les risques qu’elle pourrait porter. La deuxième partie de l’article arrivera très prochainement.
En attendant, n’hésite pas à consulter les articles d’économie des prépas ECG ainsi que ceux du pôle littéraire ! Nous te proposons d’ailleurs toute cette année des articles en lien avec les prépas ENS D1 et D2, alors reste connecté·e !