Si tu es en CPGE ENS D1, D2, ou en B/L, tu as forcément entendu parler de la « maladie hollandaise » (ou Dutch disease) lors de tes cours d’économie. C’est la raison pour laquelle nous te proposons de te présenter ce phénomène économique.
Qu’est-ce que la maladie hollandaise ?
En 1834, le général Suter quitte sa Suisse natale, laissant derrière lui femme et enfants. À l’issue d’un long périple, il s’installe en Californie, s’apprêtant à devenir l’homme le plus riche du monde. En janvier 1848, le général arrive à Fort Suter, excité. Il vient de dénicher la première pépite d’or de Californie. Mais l’or ne le rend pas heureux. Plus tard, il dira : « La découverte de l’or m’a ruiné. »
Ce propos vraisemblablement paradoxal, tenu par le héros du roman de Blaise Cendrars (L’Or, 1925), n’est pas sans rappeler la maladie hollandaise. Né dans un article paru en 1977 dans The Economist, ce concept, aussi nommé « malédiction des matières premières » décrit le mécanisme d’après lequel la croissance de certaines ressources naturelles se fait au détriment d’autres secteurs (agriculture, manutention, etc.).
Ce terme désigne un phénomène apparu dans les années 1960, période lors de laquelle les revenus commerciaux des Pays-Bas augmentent suite à la découverte de gisements de gaz. La hausse soudaine des recettes d’exportations entraîne une hausse de la devise hollandaise, nuisant à la compétitivité-prix des autres exportations. Une situation d’autant plus compliquée que la rente disparaît progressivement. Les réserves de gaz s’épuisent, les autres secteurs n’ont pas gagné en productivité et ils ont désormais une monnaie trop forte.
Aujourd’hui, plusieurs pays dans le monde connaissent un mal similaire. C’est notamment le cas de la Mongolie, déséquilibrée par sa dépendance à l’exportation de charbon, sujet sur lequel Radio France a réalisé une émission. Mais comment comprendre ce modèle ? Quels en sont les principaux symptômes ? Et surtout, existe-t-il un remède à cette maladie ? Pour répondre à toutes ces questions, nous te proposons une analyse complète de ce phénomène, que tu pourras utiliser dans tes copies d’économie afin d’illustrer certains effets néfastes du commerce international.
Le mécanisme économique de la maladie hollandaise
Comprendre les causes et les symptômes de la maladie
Le modèle économique décrivant la maladie hollandaise est développé en 1982 par les économistes Corden et Neary (Booming Sector and De-Industrialisation in a Small Open Economy, Economic Journal, 1982).
Les auteurs partent du postulat selon lequel il existe, d’une part, un secteur très compétitif, soumis à la concurrence internationale (ex. : extraction de pétrole), et un secteur simplement compétitif. D’autre part, il subsiste un secteur non compétitif, qui n’est pas soumis à la concurrence internationale (ex. : services à la personne). Dans ce contexte, une hausse de la rentabilité de la production du secteur très compétitif entraîne deux effets :
- d’un côté, on observe un déplacement de la main-d’œuvre vers le secteur très compétitif. En effet, les rémunérations augmentent du fait d’une demande désormais plus élevée. Ce déplacement se fait, bien entendu, au détriment des autres secteurs : c’est un exemple concret de désindustrialisation. Cependant, l’effet est généralement faible, étant donné que l’industrie d’extraction de pétrole emploie plutôt peu ;
- de l’autre, les revenus supplémentaires à la disposition des agents économiques entraînent une hausse de la demande de biens. Cela entraîne donc un double phénomène inflationniste : une hausse générale des prix dans le pays concerné, accompagnée d’une hausse du taux de change réel. Et cette hausse des prix intervient, une nouvelle fois, au détriment du secteur exportateur le moins compétitif. Celui-ci devra en effet davantage payer ses fournisseurs et ses employés. Les prix à l’exportation de ce dernier secteur augmenteront donc, alors que ceux des secteurs exportateurs resteront fixés par le marché international.
Par conséquent, le secteur peu compétitif soumis à la concurrence internationale est pénalisé et se réduit donc progressivement. Dans un modèle de commerce international basé sur les dotations en ressources, comme le modèle HOS (Heckscher-Ohlin-Samuelson), la maladie hollandaise peut s’expliquer par le théorème de Rybczynski.
La maladie hollandaise et le théorème de Rybczynski
Le théorème de Rybczynski s’inscrit dans la lignée des théories néoclassiques visant à comprendre les facteurs déterminants des échanges internationaux. Il explique la composition du commerce international à partir du concept « d’abondance relative d’un facteur de production ». L’abondance de ce facteur est à l’origine de l’avantage comparatif.
Ce théorème, qui est en réalité une dynamisation du modèle de HOS, nous apprend que lorsqu’un des facteurs de production s’accumule, il y a réduction de la production de biens utilisant peu ce facteur. Parallèlement, la production des biens utilisant ce facteur intensivement augmente plus que proportionnellement à l’accroissement du revenu.
Cette situation peut s’illustrer à partir du diagramme emboîté suivant :

L’auteur de ce graphique observe un pays spécialisé dans la production de produits alimentaires et manufacturés. La dotation en travail est notée AF et celle en capital est notée AM. Les courbes d’isoproduit des produits alimentaires ont pour origine F et pour les produits manufacturés, M. La courbe des contrats est notée FPM et le point d’équilibre avant la croissance, avec PF de produits alimentaires et PM de produits manufacturés, est noté P.
Si le capital augmente pour atteindre AM’, la courbe des contrats devient AP’M’ avec le même rapport d’échange en P’ qu’en P. La production de produits alimentaires plus faible FP’ libère LL’ de travail et CC’ de capital. Mais pour utiliser CC’ de capital, la quantité de travail nécessaire n’est que LL”. Il reste donc LL” disponible pour faire fonctionner le capital additionnel MM’.
Par conséquent, il en résulte que l’accumulation du capital accroît la production de produits manufacturés et diminue celle de produits alimentaires. Le résultat de ce théorème nous confirme donc que le développement d’une ressource naturelle peut retarder le développement d’autres produits.
Focus : le cas du Venezuela
Bien que sa production de pétrole ait chuté depuis une dizaine d’années, le Venezuela a longtemps été un cas d’école du mal hollandais. Le pays sud-américain a ainsi subi de nombreux effets négatifs issus de sa rente pétrolière.
En effet, malgré sa place parmi les plus grands extracteurs de pétrole au monde, faute de raffineries, l’essence disponible pour les Vénézuéliens était en fait importée et subventionnée par l’État, à hauteur de 10 milliards de dollars par an. Malgré l’existence d’un monopole public sur le pétrole, plusieurs plans d’éducation, de santé et de construction sont abandonnés. L’industrie vénézuélienne, quant à elle, comptait en 2012 deux fois moins d’entreprises qu’au début des années 2000. En conséquence, 45 % de la population active était employée dans le secteur informel, d’après l’économiste José Todo Hardy.
Autre conséquence néfaste de cette dépendance à la rente pétrolière : les exportations ne cessent de reculer depuis 2007. Les haciendas (exploitations rurales) sont à l’arrêt. Une très grande majorité des produits alimentaires est importée. Et pour cause, la dépendance du Venezuela envers l’or noir est flagrante : 96 % des recettes proviennent du pétrole. Et cette dépendance se fait ainsi au détriment des autres industries du pays.
Pire encore, pour diverses raisons, l’État restreint l’importation de voitures neuves. De fait, la maladie hollandaise conduit les travailleurs à s’orienter vers les métiers du pétrole. Par conséquent, le marché de l’automobile ne s’anime que du côté de l’occasion. Cela n’est pas sans rappeler les travaux d’Akerlof en la matière. Dans n’importe quel autre pays, une fois sortie d’usine, la voiture perd environ 15 % de sa valeur. Le Venezuela est probablement le seul pays au monde où les prix des voitures d’occasion s’envolent avec le temps.
Quel remède contre la maladie hollandaise ?
Dans une telle situation, quelles politiques publiques peuvent permettre de limiter les symptômes de la maladie hollandaise ?
L’approche la plus évidente à mettre en place afin de prévenir les symptômes de la maladie hollandaise est sans doute le ralentissement de l’appréciation du taux de change réel. Et la première solution consiste à ralentir les flux financiers entrants, en épargnant une partie des revenus issus des rentes dans des fonds à l’étranger.
À ce titre, certains pays, comme les Émirats arabes unis, ont créé des fonds souverains spéciaux. Ceux-ci sont chargés de transformer la rente pétrolière en placements internationaux. Cette solution ingénieuse et particulièrement efficace leur a permis de freiner l’appréciation de la monnaie nationale. De plus, la part des hydrocarbures dans leur économie a drastiquement diminué. Cette dernière ne représente plus que 34 % du PIB des Émirats arabes unis, contre près de 70 % au milieu des années 1970. Cependant, il est important de noter que cette solution ne peut s’appliquer à tous les pays. En effet, les pays en développement peuvent subir une pression pour dépenser ces revenus immédiatement, afin de réduire la pauvreté.
En outre, le freinage de l’entrée des revenus issus de la rente permet d’assurer un flux de revenus stable. La certitude relative à l’évolution de la croissance économique du pays dans les années à venir est donc renforcée. De même, dans un contexte globalement incertain, il serait opportun d’économiser une partie des revenus pour les générations futures.
Enfin, il est possible d’accroître l’épargne afin de réduire les entrées de capitaux susceptibles d’apprécier le taux de change réel. C’est notamment le cas lorsque le pays enregistre un excédent budgétaire. À cet égard, l’État peut inciter les agents économiques à l’épargne en réduisant l’impôt, afin de réduire les besoins en financements dédiés aux déficits publics.
Conclusion
La maladie hollandaise semble donc bel et bien dangereuse. Elle fait courir de nombreux symptômes aux pays qui en sont victimes (dépendance économique, désindustrialisation, inflation, déséquilibres économiques, etc.). Heureusement, des remèdes existent, même s’ils ne peuvent pas forcément s’appliquer à tous les États, notamment aux pays en développement.
Malgré cela, il demeure important de noter qu’il est difficile d’être certain qu’un pays souffre de la maladie hollandaise. En effet, il est compliqué d’établir la relation entre l’augmentation des revenus des ressources naturelles, le taux de change réel et le déclin du secteur en retard. À cet égard, une appréciation du taux de change réel pourrait très bien être due à d’autres facteurs. L’effet Balassa-Samuelson pourrait par exemple expliquer cette appréciation.
Il faut donc manier cette notion avec prudence, comme l’ont d’ailleurs déjà fait de nombreux auteurs. Certains ont ainsi démontré l’effet immédiat de la découverte de gisements sur l’appréciation du taux de change réel et le déclin des secteurs en retard (Boom Goes the Price: Giant Resource Discoveries and Real Exchange Rate Appreciation, T. Harding, R. Stefanski, G. Toews, 2020).
C’est sur ce point que s’achève notre analyse de la notion de maladie hollandaise. Nous espérons qu’elle t’aura permis d’en cerner les grands enjeux et d’appréhender sereinement ce sujet complexe et d’actualité. Tu pourras ainsi utiliser cet exemple afin d’illustrer les effets néfastes du commerce international et de certaines stratégies commerciales.
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