technologie

À l’occasion du 70e anniversaire de l’armistice de la guerre de Corée, célébré en Corée du Nord comme le « jour de la victoire », Kim Jong-un a présidé un défilé militaire mettant à l’honneur les nouveaux drones et missiles balistiques intercontinentaux à capacité nucléaire. Cette célébration illustre l’importance que revêtent les technologies de pointe dans la hiérarchie des grandes puissances. Dans cet article, je te propose de travailler sur le rapport entre puissances et technologies afin d’apporter des exemples précis sur de nombreux sujets traitant de la hiérarchie des puissances ou des nouvelles technologies.

Voici des exemples de sujets :

  • Les nouvelles technologies dématérialisent-elles la puissance ?
  • Des sujets comparatifs entre puissances : Chine, États-Unis : comparez.
  • Comment la technologie se met-elle au service des ambitions géopolitiques et géoéconomiques des grandes puissances ?

Les notions clés

Quelques définitions

Puissance

  • Définition classique de Serge Sur dans Questions internationales qui permet dans une dissertation de travailler sur de nombreux aspects de la puissance : « Capacité de faire, de faire faire, de refuser de faire, d’empêcher de faire. »
  • Définition de Fernand Braudel qui apporte une autre perspective sur le concept de puissance : « Capacité d’une nation à créer une conjoncture qui lui soit favorable. »

Technologie

  • Au sens général : « Ensemble cohérent de savoirs et de pratiques dans un certain domaine technique, fondé sur des principes scientifiques. »
  • Nouvelles technologies : en constante évolution, aujourd’hui, on peut qualifier ainsi l’IA, la 5G, la blockchain
  • Exemple de secteurs : l’espace, le cyberespace, Internet, les nouvelles énergies, la robotique, les technologies militaires…

Ainsi, les technologies font partie intégrante de la puissance en tant qu’elles permettent un renforcement du hard power (drones, semi-conducteurs…), mais également du soft power (image d’une « puissance verte » avec les technologies des nouvelles énergies utilisées pour la construction des voitures électriques, par exemple).

Concepts utiles et vocabulaire à employer pour comprendre le rapport puissance/technologie

Le classement des pays en fonction des dépenses R&D par PIB permet de visualiser l’importance consacrée à l’innovation et reflète souvent les ambitions de puissance des pays. Tu peux le consulter ici (classement datant de 2018).

La frontière technologique désigne le niveau le plus avancé de la recherche technologique à un moment donné. C’est l’horizon à dépasser pour chaque puissance technologique.

L’innovation peut être radicale (technologie de rupture) ou incrémentale (progressive). Cela témoigne de la pluralité des moyens pour s’imposer comme puissance technologique. On peut prendre l’exemple du Japon et des États-Unis :

  • La puissance technologique du Japon se caractérise par des innovations incrémentales qui lui assurent une capacité de résilience économique en se positionnant sur des secteurs technologiques à améliorer progressivement (le Japon avec Toyota est devenu pionnier de la technologie hybride par des innovations progressives). C’est la base du modèle économique japonais fondé sur une relation de long terme entre salarié et entreprise qui permet une accumulation de savoir-faire.
  • Le modèle des entreprises américaines, fondé sur la concurrence et sur une forte flexibilité du marché du travail, favorise des innovations radicales comme Internet ou le smartphone.

Le contrôle des instances de standardisation est crucial pour permettre à un pays d’imposer ses normes et de faire jouer en sa faveur les rapports de force (cf. la bataille géopolitique sur la gouvernance d’Internet où la Chine essaye de s’affranchir de l’ICANN, dominée par les États-Unis, en exprimant sa volonté de faire de l’UIT l’organe principal de contrôle d’Internet).

Exemple historique de l’utilisation de la technologie dans la compétition entre les puissances

La guerre froide est l’exemple typique de la course à la technologie. La course à l’espace est lancée suite au choc provoqué au sein du gouvernement américain par le lancement soviétique du satellite Spoutnik en 1957. Le gouvernement fédéral décide donc d’investir massivement dans la R&D, avec notamment la création de la NASA en 1958 et le lancement de la mission Apollo.

Une course à l’armement, doublée d’une escalade nucléaire, est initiée par le projet Manhattan, puis la première bombe atomique soviétique en août 1949. Les « Deux Grands » utilisent ainsi la technologie pour assouvir leurs ambitions de puissance et espérer gagner la course pour la suprématie mondiale.

Témoignant de la nécessité d’être une puissance technologique pour compter dans l’ordre mondial, Antony Blinken, secrétaire d’État du gouvernement Biden, déclare fièrement : « C’est ainsi que nous avons gagné la course à l’espace, inventé le semi-conducteur, construit l’Internet. »

Des exemples actuels

La compétition États-Unis-Chine

La compétition technologique qui oppose Washington à Pékin est un des arguments permettant de parler de « nouvelle guerre froide ». Cet antagonisme s’illustre par :

  • l’affaire Huawei : embargo américain, le Canada arrête sous mandat américain la fille du fondateur de Huawei, illustrant la pression américaine sur les alliés (l’Italie intègre OBOR en 2019, mais se ravise en 2021 par exemple) ;
  • la question des semi-conducteurs : le CHIPS and Science Act voté par l’administration Biden est un plan de 280 milliards de dollars, dont 50 milliards pour soutenir la production de semi-conducteurs, destiné à renforcer l’avance technologique américaine sur la Chine.

La Chine, par un investissement massif suivant la volonté de Xi Jinping exprimée dans le plan Made in China 2025 (passage de la Chine comme « usine du monde » à grande puissance industrielle), s’inscrit clairement comme une puissance technologique. À ce titre, elle rattrape les États-Unis dans les domaines de l’IA, de l’ingénierie génétique et des senseurs quantiques, et dépasse même son rival américain dans la 5G, les petits drones, les logiciels de reconnaissance faciale et les technologies de l’énergie propre.

Par ailleurs, même si les États-Unis restent la première puissance en termes de dépenses R&D, la Chine est devenue le premier dépositaire de brevets (quantitativement). Il convient de noter que la structure actuelle de la mondialisation maintient une interdépendance entre les deux pays, empêchant une escalade des embargos et des sanctions.

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Taïwan : expression de la rivalité entre Chine et États-Unis

La France, symbole d’une perte d’autonomie stratégique européenne

Malgré une tradition gaullienne de scepticisme à l’égard de l’atlantisme, la France a peu à peu perdu en autonomie stratégique. Cela peut s’analyser du point de vue restreint de la compétitivité technologique :

  • Après un échec relatif de la volonté d’incarner une puissance d’équilibre par le retrait du commandement intégré de l’OTAN en 1966, la décision du président Nicolas Sarkozy de réintégrer cette organisation en 2009 symbolise une adhésion à la stratégie et aux intérêts américains. Le système ITAR (International Traffic in Arms Regulations), qui permet d’interdire la vente d’un système d’armement s’il contient du matériel américain, témoigne de l’importance stratégique et du rapport de force que joue la technologie.
  • La dépendance française aux technologies américaines fait craindre une perte d’indépendance opérationnelle : la technologie nécessaire à la fabrication des catapultes présentes sur le porte-avions Charles de Gaulle, pièces indispensables pour le décollage des aéronefs, est détenue par Washington.

Israël ou le pari de la technologie pour peser dans son espace régional

Très modeste en termes de superficie, de ressources naturelles lucratives et de démographie, Israël compense ses trois faiblesses structurelles par une politique déterminée (4,2 % du PIB pour la R&D) pour confirmer sa place de pôle industriel et technologique. Cette capacité d’innovation dans les technologies de pointe lui assure un avantage multiple et conséquent :

  • Israël est l’un des quatre pays (avec l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord) à disposer de l’arme nucléaire sans avoir signé le TNP. Cela lui permet de faire valoir ses intérêts, souvent conflictuels, avec les acteurs régionaux, notamment face à son voisin iranien.
  • Israël travaille actuellement à la création d’un centre d’informatique quantique de pointe, afin de permettre au pays de rester dans la course aux technologies quantiques et de maintenir sa position de leader technologique.

L’Inde, une puissance qui cherche à préserver son autonomie stratégique

La « politique du ni-ni », théorisée par Christophe Jaffrelot, incarne cette volonté proprement indienne de ne pas suivre aveuglément les directives de Washington ou de Pékin. La récente officialisation par le ministère de la Défense indienne de l’achat de 26 rafales Marine et de trois sous-marins Scorpène démontre la recherche d’une position stratégique alternative.

De plus, l’Inde de Narendra Modi développe un modèle spécifique pour peser dans la compétition technologique :

  • Les Mahindra World Cities, des ZES gérées par des entreprises privées.
  • Bangalore se présente comme une « Silicon Valley » indienne. Ce pôle de compétitivité spécialisé dans les hautes technologies a attiré l’installation des centres R&D de Microsoft, d’Airbus ou encore d’Apple.
  • Sa diplomatie du « ni-ni » lui permet de bénéficier de transferts de technologies sans limite, un avantage comparatif face à la Chine qui voit ses transferts de technologies duales limités depuis Tian’anmen.
  • Le programme Digital India, lancé en 2015, vise à accélérer le développement du pays par une économie technologique compétitive.

Il convient d’ajouter que, malgré une approche indienne innovante des relations internationales, l’Inde peine à s’imposer comme puissance technologique en passant de la 42e à la 43e place en 20 ans dans le classement des pays selon leur indice de complexité économique.

Taïwan ou la résilience technologie comme garantie d’existence

Au-delà d’une situation géopolitique complexe (Taipei étant au cœur des tensions entre Chine et États-Unis), cette île de 23 millions d’habitants a su se hisser au sommet de la technologie grâce aux semi-conducteurs.

Avec le géant TSMC, Taïwan exerce une influence considérable qui place le pays au sommet du rapport de force. Selon le rapport du CEPA, Taïwan fabrique plus de 90 % des microprocesseurs les plus avancés au monde (moins de 10 nanomètres).

Cependant, son instabilité géopolitique fait craindre non seulement une rupture inquiétante des chaînes d’approvisionnement mondiales, mais aussi une perte de parts de marché conséquente pour les industries taïwanaises. On peut citer ces quelques exemples :

  • Alors que la Chine accentue la pression militaire et économique sur l’île, la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, a surnommé TSMC la « montagne sacrée protectrice de la nation ». En cas d’invasion chinoise, une pénurie des semi-conducteurs, nécessaires à la fabrication de tout objet connecté, serait à craindre. Certains déclarent même que l’économie mondiale repose sur TSMC, ce qui transforme l’entreprise taïwanaise en rempart contre l’envahisseur.
  • Modèle de démocratie axée sur le numérique et la connectivité, Taïwan fait face à une multiplication de cyberattaques provenant principalement de la Russie et de la Chine. Durant la visite officielle de Nancy Pelosi l’été dernier, l’île a été la cible de nombreuses cyberattaques quotidiennes, déstabilisant la gouvernance interne.

Conclusion

Par conséquent, il est difficilement envisageable de penser le concept de puissance sans la technologie. S’intéresser à l’aspect technologique d’un pays permet également d’étoffer l’étude des caractéristiques d’un pays pour se démarquer en dissertation.

Ce sujet apparaît d’autant plus d’actualité avec les crises liées à la guerre en Ukraine et à la Covid, déstabilisant les chaînes d’approvisionnement mondiales et insistant sur une indépendance technologique (médicaments, semi-conducteurs…).

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