À peine entrée en vigueur le 7 octobre 2022, la loi « Solo sí es sí », ou autrement dit la loi sur le consentement sexuel et la liberté sexuelle, ne fait pas l’unanimité auprès des citoyens espagnols et même de la communauté internationale. Alors que la loi avait pour vocation de défendre les victimes d’abus sexuels et d’agressions sexuelles, cette dernière semblerait implicitement engendrer un effet inverse et néfaste, qui ne serait désormais plus au bénéfice des victimes mais des accusés.
Je te propose dans un premier temps d’évoquer les raisons expliquant cette polémique à propos de la loi. Ensuite, nous verrons les divers enjeux qui y sont liés. Enfin, nous expliquerons l’origine de cette loi. Cet exemple pourrait t’être utile dans des essais traitant de l’égalité, du progressisme, de la polarisation au sein du gouvernement espagnol et de la société, mais également au sein d’autres sujets divers et variés, comme le féminisme. D’ailleurs, si tu désires en savoir plus sur le féminisme en Amérique latine, tu peux consulter cet article.
Qu’est-ce que la loi « Solo sí es sí » ?
Cette loi, promulguée en octobre dernier, avait comme but premier de protéger les victimes de tous types d’abus sexuels et d’agressions sexuelles, en empêchant les accusés d’avoir des peines trop légères lorsqu’ils commettaient un abus. Ainsi, cette nouvelle loi ne fait plus la distinction entre un abus sexuel et une agression sexuelle.
En fait, l’effet voulu par le ministère de l’Égalité, sous la direction d’Irene Montero, était plutôt dissuasif. En imposant des peines « égales » aux condamnés, ils seraient probablement moins tentés de passer à l’acte. Le problème étant que le fait de supprimer la distinction entre ces deux notions a engendré, depuis l’année dernière, des effets néfastes implicites qui sont vite remontés à la surface, à la suite de la mise en application de cette loi.
Pourquoi se trouve-t-elle au cœur d’une polémique ?
À première vue, la loi « Solo sí es sí » semble être au bénéfice de la victime. En effet, ne plus dissocier les deux termes et appliquer des peines équivalentes aux condamnés, que ce soit un abus sexuel ou une agression sexuelle, permet de montrer au peuple espagnol qu’il n’y a pas d’acte considéré comme « moins grave » et « plus acceptable » dans la société. Cela permet notamment aux victimes de se sentir entendues et comprises, mais aussi de se sentir légitimes face à la société et la justice espagnoles. Cette loi permet aussi d’affirmer que le consentement sexuel doit être explicite avant tout acte.
Cependant, cette loi s’est vite révélée à double tranchant. En effet, cette non-distinction de termes a permis aux accusés des crimes les plus graves, comme des viols, de demander des réductions de peines et de les obtenir. Par conséquent, avec cette loi, il est dorénavant possible de faire l’objet de peines moins lourdes, bien que l’individu ait commis un crime d’une haute importance. Ainsi, certains délinquants sexuels ont obtenu des réductions de peines immédiates, voire des remises en liberté immédiates, puisqu’avec la nouvelle loi, leurs années de prison ont été allégées.
De plus, la justice permet de conserver le doute à l’accusé. Les avocats de la défense demandent alors une révision des peines de leurs clients conformément à la nouvelle loi, qui, bien souvent, allège les peines encourues. À l’inverse, les abus font dorénavant l’objet de peines plus conséquentes en Espagne.
Quels enjeux pour l’Espagne ?
La question du progressisme
Face à cela, la justice se trouve face à un cercle vicieux. On la qualifie dorénavant de « machiste », et cela renforce les polémiques concernant le système judiciaire, le machisme, le féminisme, etc. De nombreuses femmes ont l’impression que cette loi fait régresser leurs droits. Dans une société espagnole qui se veut de plus en plus progressiste, comme en témoigne par exemple la « loi trans », il est inacceptable et impensable de réduire les peines de crimes si graves, touchant aussi bien les femmes que les hommes.
De plus, cette loi impliquerait un risque que ce ne soit pas réellement le consentement qui soit au cœur du sujet, mais plutôt l’usage de l’intimidation et de la violence. Il est effectivement possible de réduire les peines des accusés s’il n’a pas été fait usage de violence ou d’intimidation, par exemple. Par conséquent, la justice doit redorer son image, cette image qui a pu être effleurée par la mise en application de cette loi.
L’enjeu de la polarisation en Espagne
De plus, la loi « Solo sí es sí » peut aussi diviser la population espagnole. Nous avons pu percevoir cette polarisation lors des élections législatives, par exemple, où le vote des femmes et des plus progressistes pourrait faire basculer le scrutin. D’ailleurs, cette nouvelle loi a provoqué de nombreuses manifestations dans tout le pays, comme celles lors de la Journée de la femme, le 8 mars 2023, à Barcelone ou encore à Madrid.
Alors que la coalition gouvernementale de gauche avait fait de cette loi une promesse électorale, cette polémique a engendré des frictions entre le PSOE et Unidas Podemos. Cela a également porté atteinte à la popularité de Pedro Sánchez, le Président du gouvernement espagnol. Le parti Podemos a lui-même accusé les juges, qui avaient interprété la loi ainsi, de « machistes ». Pedro Sánchez et son parti, le PSOE, ont affirmé que le consentement sexuel n’était pas supprimé. Au contraire, pour beaucoup, la protection des victimes a reculé avec cette loi, comme le dénonce Unidas Podemos, qui montre que la responsabilité semble désormais revenir aux victimes…
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Pourquoi la loi « Solo sí es sí » ? Dans quel but l’a-t-on mise en application ?
Cette loi a été pensée et votée à la suite de l’affaire de la « manada ». En 2016, lors des fêtes de San Fermín à Pampelune, une jeune femme de 18 ans a subi un viol collectif par cinq hommes. Cette affaire a provoqué de nombreuses manifestations en Espagne, avec des slogans comme « No es no, y punto ».
En effet, ces hommes avaient été condamnés à neuf ans de prison pour « simple » abus, alors qu’ils avaient commis un viol. Puis, ils avaient été remis en liberté provisoirement. La justice estimait que cette jeune femme n’avait pas exprimé d’opposition explicite. En 2019, ces manifestations ont permis la condamnation de ces agresseurs sexuels à quinze ans de prison par la plus haute juridiction espagnole.
C’est à la suite de cette affaire que le gouvernement de gauche a décidé d’éliminer la distinction entre abus et agression, afin qu’il n’y ait plus de malentendus et de remises de peines trop faciles pour les agresseurs sexuels, en faisant passer leurs actes pour des abus, et non des agressions.
Conclusion
Bien que la loi soit très controversée, c’est sur elle que s’appuie pour le moment la justice espagnole. Cette loi devra sans doute encore faire l’objet de révisions afin de mieux répondre aux attentes du peuple et aux principes de consentement, de liberté sexuelle et de volonté de progressisme. Le maintien de Pedro Sánchez comme Président du gouvernement espagnol dépendra également de ce facteur, l’issue et la révision de cette loi pouvant diviser son électorat. D’ailleurs, le Sénat a corrigé cette loi afin de mettre fin à ces réductions de peines, en avril, et le Premier ministre s’est même excusé. Cela montre qu’il y a eu quelques avancées concernant cette loi.
La coalition gouvernementale parviendra-t-elle à trouver un terrain d’entente face à ce sujet ? Le gouvernement parviendra-t-il à réviser et à réformer cette loi dans l’espoir qu’elle soit plus unanime au sein de la société espagnole ? Quoi qu’il en soit, il semble peu probable que cette loi passe inaperçue à l’avenir. Elle fera encore sûrement l’objet de critiques et de revendications en Espagne, et même à l’international.
Pour approfondir le sujet, tu peux regarder cette vidéo.