Major Prépa te propose un corrigé détaillé d’un sujet de géopolitique tombé à l’oral de HEC. Voici l’intitulé du sujet de colle que nous allons traiter : « La décomposition de l’ex-Yougoslavie est-elle achevée ? »
Introduction
Le 29 mai 2023, à la suite de son entrée en lice réussie dans le tournoi de tennis de Roland-Garros, le joueur serbe Novak Djokovic écrivait sur une caméra : « Le Kosovo, c’est le cœur de la Serbie ! Stop à la violence. » Cette sortie médiatique de l’actuel numéro un mondial de tennis intervient alors que le nord du Kosovo est le théâtre depuis plusieurs jours d’affrontements entre des membres de la Force internationale, emmenée par l’OTAN (KFOR), et des manifestants serbes, qui réclament le départ de maires albanais musulmans de la localité.
Ceci car la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo le 17 février 2008 n’est pas acceptée par la Serbie, qui considère la région du Kosovo comme le berceau national serbe. On voit donc ici à quel point les questions territoriales et identitaires dans cette région sont complexes. Si le Kosovo, ancienne province yougoslave, n’est pas reconnu par la totalité des pays, peut-on alors considérer la décomposition de l’ex-Yougoslavie comme inachevée ?
La Yougoslavie est un ancien État d’Europe du Sud-Est qui a existé sous différents noms et formes entre le 1er décembre 1918 et 1991. Cet État est composé jusqu’en 1991 de la Serbie (dont les actuels Macédoine du Nord et Kosovo), du Monténégro, de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie et de la Slovénie. Après les déclarations d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie en 1991, puis de la Bosnie-Herzégovine en 1995, il ne reste seulement de la Yougoslavie que la Serbie et le Monténégro, avant la séparation des deux pays en 2006, entérinant de facto la décomposition de cet État.
On parle de décomposition pour désigner la fin d’un ordre géopolitique ou géoéconomique, qui peut prendre la forme d’un désordre (qui s’est matérialisé ici par une guerre) entre les acteurs, dont les hiérarchies ne seraient plus clairement établies et les relations déséquilibrées. On associe souvent décomposition à recomposition, qui signifie l’émergence d’un nouvel ordre. Pourtant, alors que la guerre a officiellement pris fin à la fin du siècle dernier, les volontés indépendantistes qui animent le Kosovo ou encore l’entité serbe de Bosnie montrent que cette région est encore aujourd’hui le théâtre de rivalités qui peuvent freiner le développement et la stabilité du territoire.
Dès lors, la décomposition de l’ex-Yougoslavie a-t-elle permis l’émergence d’un nouvel ordre balkanique stable ? Ainsi, si la décomposition de l’ex-Yougoslavie a permis l’indépendance de nouveaux pays (I), ces pays restent « ballottés au gré des calculs stratégiques des grandes puissances », ce qui fragilise une recomposition durable (II). De fait, la stabilité de cette région des Balkans n’est pas pérenne, à tel point qu’elle semble avoir retrouvé son surnom de « poudrière » (III).
I/ La décomposition de l’ex-Yougoslavie a permis l’indépendance de nouveaux pays
A/ Histoire et éclatement de la Yougoslavie
La Yougoslavie a été dirigée par Tito jusqu’en 1980. Le conflit débute au début de l’année 1991, lorsque la Slovénie et la Croatie, qui craignaient le poids de plus en plus important que prenait l’entité serbe, décident de déclarer unilatéralement leur indépendance. Ces proclamations d’indépendance sont jugées illégales par le gouvernement fédéral yougoslave, dirigé à l’époque par Slobodan Milosevic, qui tente de prévenir l’éclatement du pays en entrant en guerre contre ces pays.
La Slovénie, par exemple, accédera à l’indépendance à l’issue d’une guerre de 13 jours. En 1992, c’est la Bosnie-Herzégovine qui déclare à son tour l’indépendance, qu’elle obtiendra à la suite d’une guerre de trois ans et des accords de Dayton, signés après l’intervention militaire américaine en 1995 et négociés par la diplomatie américaine et plusieurs États européens. En 2003, la Yougoslavie devient République de Serbie-et-Monténégro, qui cessera d’exister en 2006 avec la déclaration d’indépendance du Monténégro le 15 juin de la même année.
B/ Ces pays se développent et regardent vers l’Union européenne et l’OTAN
Dès 1999, l’Union européenne met en place des processus de stabilisation et d’association qui visent à établir des relations privilégiées avec les pays des Balkans occidentaux et à ouvrir des perspectives en vue d’une potentielle intégration. Aujourd’hui, cinq pays anciennement membres de la Yougoslavie sont candidats à l’adhésion et préparent ainsi leur intégration.
C’est le cas par exemple de la Macédoine du Nord, qui a signé en octobre 2022 un accord de coopération avec la Commission européenne dans le cadre de Frontex et de la surveillance des frontières européennes. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a d’ailleurs réaffirmé sa volonté d’intégrer ces pays au sein de l’Union européenne. Elle a déclaré, lors de son discours annuel de l’État de l’Union, en septembre 2022 : « Vous faites partie de notre famille, votre avenir est au sein de notre Union, et notre Union n’est pas complète sans vous. »
L’OTAN progresse également dans la région (Albanie et Croatie en 2009, Slovénie en 2004, Monténégro en 2017 et Macédoine du Nord en 2020).
II/ Mais ces pays restent « ballottés au gré des calculs stratégiques des grandes puissances » (Gilles Paris), ce qui fragilise une recomposition durable
A/ Cette région est le théâtre d’influences qui ne sont pas nouvelles
Après le schisme de l’Église d’Occident et d’Orient en 1054, la péninsule balkanique est divisée en deux religions : les catholiques à l’ouest, fidèles à Rome, et les orthodoxes à l’est. Après le sac de Constantinople par les Turcs ottomans en 1453, la domination turque a incité une part importante de la population à se convertir.
Au XIXe siècle, deux empires se partagent la région : l’Empire austro-hongrois et l’Empire ottoman. Au même moment, la Russie développe, notamment avec la Serbie, le panslavisme, une doctrine politique, culturelle et sociale qui valorise l’identité commune que partageraient les différents peuples slaves. Ces influences ont durablement affecté les communautés locales, ce qui a empêché le réel développement d’un sentiment national, fragilisant dès lors leur unité. De la fin du XIXe au début du XXe siècle, cette région était appelée la « poudrière des Balkans ». L’assassinat de l’archiduc héritier François Ferdinand d’Autriche à Sarajevo fut l’étincelle qui déclencha la Première Guerre mondiale.
B/ La position singulière de la Yougoslavie pendant la guerre froide
La Yougoslavie a été un pays communiste qui, dès 1948, a rompu les liens avec le bloc socialiste. La résistance yougoslave avait libéré le territoire de l’armée allemande sans l’aide de l’URSS.
Après 1948, la rupture entre la Yougoslavie et l’URSS entraîna des purges titistes. C’est-à-dire que Moscou a demandé aux partis communistes des pays du bloc socialiste de se débarrasser de tous ceux qui pourraient être attirés par le modèle de Tito.
C/ Ces influences sont renouvelées par de nombreux acteurs
La Chine est très présente dans la région à travers son forum 17+1, qui regroupe la plupart des pays d’Europe centrale et orientale. Elle construit également de nombreuses infrastructures et use de la stratégie du piège de la dette. La Chine voit cette région comme un corridor stratégique dans le cadre de son projet des Nouvelles routes de la soie.
Le chemin de fer qui relie Belgrade à Budapest est d’ailleurs l’emblème de cette incursion dans la région. Aujourd’hui, la Chine est par exemple le premier bailleur de fonds bilatéral du Monténégro et le deuxième partenaire commercial de la région. La Chine a également conclu d’autres contrats, notamment en Bosnie, où des entreprises ont pris en charge la construction de certains tronçons autoroutiers, ainsi que l’agrandissement de la centrale thermoélectrique de Tuzla, dans l’est du pays. « Depuis dix ans, la Chine s’impose comme un investisseur majeur et agressif dans la région, devenant progressivement un acteur politique. » (Revue Défense Nationale, Jean-Paul Perruche et Nathalie de Kaniv).
La Russie est également présente dans la région et n’hésite pas à convoquer l’histoire pour rappeler les liens historiques qu’entretiennent Russes et Slaves. La reconnaissance de l’indépendance du Kosovo par les États-Unis a par ailleurs renouvelé l’influence russe en Serbie. En témoigne la signature en 2019 d’un accord de libre-échange avec l’Union économique eurasiatique, incompatible avec une future adhésion à l’Union européenne. Également, la firme gazière russe Gazprom, décriée en Europe pour ses liens étroits avec l’appareil d’État russe, a récemment renouvelé son contrat de sponsor officiel du club de football serbe de l’Étoile rouge de Belgrade.
III/ La stabilité de cette région des Balkans n’est donc pas pérenne, à tel point qu’elle semble avoir retrouvé son surnom de « poudrière »
A/ Les plaies du passé ne sont pas encore refermées
Les épisodes de nettoyage ethnique du temps de la guerre en Bosnie-Herzégovine ont profondément marqué les mémoires. En témoigne le massacre de Srebrenica en juillet 1995, où les troupes du général serbe Ratko Mladic ont sauvagement assassiné près de 8 000 Bosniaques musulmans.
On parle de nettoyage ethnique pour désigner des épisodes de violence paroxysmique entre les communautés ethniques d’un même territoire qui s’affrontent pour créer des ethno-États. Un scénario similaire a eu lieu en Serbie dès 1999, qui, malgré les bombardements de l’OTAN en 1999, appliquera une politique de nettoyage ethnique, contribuant à la fuite de plus de 800 000 Albanais du Kosovo.
Le ressentiment entre les peuples est toujours présent et contribue à alimenter les nationalismes.
B/ La question du Kosovo cristallise les tensions entre les peuples
En 1996 apparaît au Kosovo une organisation clandestine nommée l’Armée de libération du Kosovo. Après une guérilla de 12 ans, le Kosovo, à majorité albanaise musulmane, proclame unilatéralement son indépendance, mais n’est aujourd’hui reconnu que par 56 % des États membres de l’ONU.
Cette question n’a donc toujours pas trouvé d’issue, tant la Serbie et le Kosovo restent campés sur leurs positions. En 2012, un accord signé avec l’Union européenne pose les conditions préalables à une indépendance reconnue du Kosovo. Ce dernier doit reconnaître l’autonomie de trois municipalités au nord du pays, ce qui aggravera les tensions entre Serbes et Kosovars. Seulement un mois plus tard, lorsque le Kosovo dépose sa candidature officielle à l’intégration de l’Union européenne, la Serbie réagit en massant des troupes à la frontière.
C/ Et celle de la Bosnie-Herzégovine laisse planer l’éventualité du retour d’un conflit armé
Depuis les accords de Dayton de 1995, la Bosnie-Herzégovine est divisée en deux entités (une Fédération croato-bosniaque et une République serbe de Bosnie) et gouvernée par une présidence tripartite, avec un représentant pour chaque communauté : serbe, croate et bosniaque.
Pourtant, le dirigeant de la communauté serbe a manifesté sa volonté de faire sécession en déclarant en septembre 2022 : « Je veux que l’indépendance de la République Srpska (territoire des Serbes de Bosnie) se fasse de mon vivant. » L’attitude de Milorad Dodik fait ainsi les frais de Moscou, qui cherche à déstabiliser les Balkans occidentaux de manière à avoir un moyen de pression supplémentaire sur l’Occident.
De plus, il a menacé de reconstituer les forces armées de la région semi-autonome serbe rattachée à la Bosnie-Herzégovine, démantelées en 1995. Ces déclarations alimentent la crainte d’un conflit dans ce pays. Ce qui tendrait donc à dire que la décomposition de l’ex-Yougoslavie est pour le moment loin d’être achevée.
Conclusion
La Yougoslavie a disparu principalement car cette mosaïque de peuples, de religions et de culture n’était pas vivable. Pourtant, sa décomposition apparaît complexe. L’enchevêtrement des communautés culturelles, ethniques et religieuses rend complexe l’idée que chaque communauté ait droit à son propre État.
Il en reste qu’à l’heure actuelle, l’éventualité d’un règlement des différends apparaît compromise. Pourtant, cette condition est essentielle si ces pays souhaitent un jour intégrer l’Union européenne. Comme l’a déclaré Sergueï Lavrov le 29 mai 2023 : « Une grande explosion menace le cœur de l’Europe. »
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