pont

Major Prépa te propose ici un corrigé détaillé d’un sujet de géopolitique tombé à l’oral HEC. L’intitulé du sujet de colle que nous allons traiter est le suivant : « Le pont, objet géopolitique ? »

Introduction

Le 26 juillet fut inauguré le pont de Peljesac, en Croatie. Ce pont à haubans de 2,4 km enjambe la baie de Mali Ston et relie la côte septentrionale de la péninsule de Pelješac et l’exclave croate de Dubrovnik au reste du pays, en contournant la Bosnie-Herzégovine. Cette nouvelle infrastructure au bord de la mer Adriatique a provoqué l’ire de la Bosnie, considérant cela comme une violation du droit international et de la mer.

De plus, China Road and Bridge Corporation, consortium chinois, a remporté l’appel d’offres, alors que des entreprises européennes s’étaient aussi positionnées sur le dossier. Ce projet renforce la place de la Chine dans cette région des Balkans, lui permettant d’étendre les ramifications de son projet des Nouvelles routes de la soie.

On voit bien toutes les dimensions géopolitiques liées à la construction de ce pont, qui semble être devenu plus qu’un simple objet technique. On désigne par pont un ouvrage d’art dont l’objectif est de permettre le franchissement d’un obstacle naturel ou artificiel en passant par-dessus. Le franchissement supporte le passage d’humains et de véhicules dans le cas d’un pont routier, ou d’eau dans le cas d’un aqueduc. Le pont est un objet, qui plus est technique, puisqu’il permet à l’homme d’assurer un service de caractère pratique et utilitaire.

Mais, à l’image du pont de Peljesac, il est également connoté d’une dimension géopolitique, définie par Yves Lacoste comme « les rivalités de pouvoirs ou d’influence sur des territoires et les populations qui y vivent ». Il a bien été l’objet de rivalités d’influence entre la Chine, la Croatie, l’Union européenne, ou encore la Bosnie-Herzégovine. Pourtant, son objectif premier n’est pas d’être sujet aux rivalités, mais de créer du continu dans le discontinu, de rassembler plutôt que de diviser. Il semble donc avoir été détourné de sa fonction première.

Dès lors, comment les ponts peuvent-ils être utilisés par les acteurs afin de répondre à des stratégies d’influence et de domination ?

Si le pont a une finalité première qui est économique à travers la mise en relation des territoires (I), il est également un catalyseur de tensions géopolitiques (II). Il convient alors de revenir à une de ses fonctions essentielles, à savoir de rassembler les hommes plutôt que de les séparer (III).

I/ Le pont a une finalité première qui est économique à travers la mise en relation des territoires

A/ Il a été une infrastructure essentielle dans l’histoire de l’urbanisation

La fonction d’usage du pont est d’abord et avant tout de mettre en communication les territoires, séparés bien souvent par des éléments topographiques sur lesquels l’homme n’a pas ou peu de maîtrise (fleuves, vallées). Ainsi, on accorde à cette infrastructure une place centrale au cours de l’histoire.

Sous l’Empire romain, dès l’Antiquité, construisait-on des aqueducs afin d’acheminer l’eau dans des territoires qui en manquaient. Sous Napoléon fut construit le pont de pierre de Bordeaux, car la Garonne était compliquée à traverser pour aller conquérir l’Espagne. Un autre exemple intéressant est celui de la ville de Budapest en Hongrie, qui, jusqu’au XIXe siècle, était séparée en deux villes distinctes : les villes de Buda et Pest. Celles-ci se faisaient face, séparées par le fleuve du Danube. C’est le Pont des Chaînes, construit en 1849, qui permit de rassembler ces deux villes, qui n’en forment aujourd’hui qu’une.

B/ Il permet de mettre en connexion des territoires et participe d’une meilleure communication

L’une des finalités premières du pont est donc de relier les territoires. En témoigne le pont-tunnel qui relie les deux provinces autonomes de Hong Kong et Macao en Chine dans la région du delta de la rivière des Perles. Ce pont est essentiel puisqu’il permet de désengorger le trafic routier, dans une région peuplée de 70 millions d’habitants.

Les ponts sont donc des points de passage, des traits d’union, les indices d’un espace dynamique dans un paysage.

C/ Il joue un rôle économique non négligeable

Le pont peut permettre d’incarner la puissance géopolitique d’un pays. C’est le cas de la Turquie, qui, avec l’inauguration en 2016 du troisième pont du Bosphore, le pont Sultan Yavuz Selim, souhaite faire d’Istanbul un véritable hub économique et commercial entre l’Europe et l’Asie.

La construction du pont de Crimée, qui relie le kraï de Krasnodar en Russie à la Crimée, outre les considérations géopolitiques, a pour objectif de rattacher économiquement la Crimée au reste de la Russie, en favorisant la communication entre ces deux territoires.

Au nord de l’Europe, le pont de l’Oresund, qui relie Malmö en Suède à Copenhague au Danemark, s’inscrit également dans une perspective économique. Dans cet espace transfrontalier, le pont permet de dynamiser les échanges économiques entre ces deux pays et facilite les migrations pendulaires entre ces deux espaces. Le sud de la Suède étant connu pour son faible coût foncier, et le Danemark pour son importante main-d’œuvre, le pont permet ainsi de faciliter la coopération économique.

II/ Mais le pont est également un catalyseur de tensions géopolitiques

A/ Les ponts sont des infrastructures stratégiques dans le cadre de conflits

Dans le cadre de guerres, la destruction des infrastructures, dont les ponts, est stratégique dans le sens où elle permet d’asphyxier l’économie adverse. Le pont de Kertch a ainsi été en première ligne du conflit russo-ukrainien, car c’est une voie logistique clé permettant d’approvisionner les troupes russes dans le sud-est de l’Ukraine.

Ainsi, le 8 octobre 2022, une partie du pont fut bombardée par ce que l’on pense être des missiles ukrainiens. Le général de division des forces armées ukrainiennes, Dmytro Marchenko, déclarait alors que le pont était devenu la cible numéro un des forces russes. 30 ans plus tôt, au cours des guerres en ex-Yougoslavie, le pont de Mostar fut détruit en 1993 par les forces croates, afin de ralentir la progression des troupes bosniaques.

B/ Ils permettent de renforcer la domination d’un territoire sur un autre

C’est le cas notamment du pont de Kertch (ou pont de Crimée) qui fut inauguré en 2018, soit quatre ans seulement après l’annexion de la Crimée. Son objectif est simple : réaffirmer la domination russe sur la péninsule de Crimée.

L’exemple de la chaussée du roi Fahd, pont reliant Manama au Bahreïn à Dharan en Arabie saoudite, est également intéressant. C’est ce pont qui fut emprunté par les troupes du ministère de l’Intérieur saoudien en 2011 pour soutenir le régime sunnite bahreïni lors des Printemps arabes.

L’envoi de troupes du ministère, et non de l’armée, est également symbolique. Cela montre que l’Arabie saoudite considère cette affaire comme une affaire intérieure, et donc le pont permettrait de renforcer la « vassalisation » de Bahreïn à l’égard de l’Arabie saoudite.

C/ Ils servent également l’identité d’un peuple et sont des outils de propagande

En Pologne, par exemple, le pont de Breslau (ville aujourd’hui polonaise mais faisant auparavant partie du territoire allemand), inauguré par Guillaume II en 1910, fut rebaptisé en 1947 Grunwalski Most, ou « pont de l’Empereur », lorsque cette partie du territoire redevint polonaise, en référence à la victoire des troupes polonaises sur l’Ordre Teutonique en 1410.

Évoqué plus haut, le choix du nom du port Sultan Yavuz Selim à Istanbul est tout sauf anodin. Ce sultan est tristement connu pour avoir persécuté les minorités chiites du temps de son règne de 1512 à 1530. Ainsi, cela permet de rappeler aux éventuelles minorités qu’elles sont turques avant d’être kurdes, par exemple.

III/ Mais dont le rôle doit être avant tout de rassembler les hommes plutôt que de les séparer

A/ Le pont a pour vocation de relier, réconcilier les peuples

C’est ce que relate Ivo Andric dans son roman intitulé Le Pont sur la Drina, où il dépeint une société balkanique, divisée de par son caractère multiethnique et multiculturel. L’auteur y décrit la place inaliénable qu’occupent les ponts dans cette région. En effet, en dépit du temps qui passe et des civilisations qui se succèdent, le pont reste là, tient tête au courant.

Dans les Balkans, les ponts ne relient pas seulement deux rives, mais aussi les hommes. Le pont dont il est question dans le roman, situé à Visegrad en Bosnie-Herzégovine, est décrit par l’auteur comme le lieu où les hommes, quelles que soient leur confession ou leur appartenance ethnique, prenaient place pour discuter, fumer, échanger.

Le pont est ici le symbole d’un cosmopolitisme et d’un vivre-ensemble. L’éditorialiste turc Nedim Gürsel dans le journal Libération reprend ces éléments symboliques incarnés par le pont et dénonce les bombardements de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine en 1999. Ces derniers, non seulement détruisent les ponts, mais réduisent aussi à néant tout espoir de dialogue entre les peuples balkaniques.

B/ Il s’accompagne également d’une fonction mémorielle

Prenons le cas de l’Allemagne. Les ponts sont des infrastructures qui, figées sur les cartes postales, ont pour fonction de contrebalancer dans la mémoire collective allemande avec l’image des ponts détruits pendant les guerres.

En 1972, des délégations est-allemandes et polonaises se sont rejointes sur le pont de Francfort sur l’Oder pour acter la réconciliation entre les deux nations, mais également pour faire du pont un lieu symbolique, symbole d’une mémoire commune.

C/ Il participe également d’un certain prestige, de la diffusion d’un soft power au rayonnement mondial

De par sa démesure et ses coûts astronomiques, le pont est avant tout symbole d’une prouesse technique. Il incarne la capacité à réaliser des projets ambitieux et est un outil diplomatique fort, à l’image du Golden Gate à San Francisco ou encore du pont de Brooklyn à New York. Ces derniers participent indéniablement du soft power américain.

Les ponts sont également présents sur les billets de banque de l’euro, symbolisant ouverture et rayonnement de l’Union européenne.

Conclusion

Ainsi, si le pont est devenu au cours du temps un objet géopolitique, c’est parce qu’il a été utilisé par les acteurs afin de servir leurs intérêts. Il n’échappe donc pas aux rivalités de pouvoir et d’influence, ADN de la géopolitique.

Dans la littérature, l’allégorie du pont est également très répandue. Dans son poème Le Pont Mirabeau, Guillaume Apollinaire dépeint ce pont qui enjambe la Seine, qu’il empruntait pour rejoindre son amante. Il symbolise ici l’allégorie d’un amour terminé, mais aussi les bras des amants qui s’enlacent au-dessus du temps qui passe.

En géopolitique comme en littérature, le pont est donc cet élément qui permet de figer l’histoire dans le temps.

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