Dans un contexte d’urgence climatique, les énergies, et notamment les énergies fossiles, sont au cœur des débats, car elles sont la principale cause du réchauffement climatique. En effet, le GIEC a constaté que 90 % des émissions mondiales de CO2 viennent des combustibles fossiles. Mais malgré les engagements répétés de la communauté internationale à réduire sa dépendance aux énergies fossiles, ceux-ci ne suffiront pas à endiguer le réchauffement de la planète. Les prévisions de production de charbon, de pétrole et de gaz pour 2030 sont toujours plus de deux fois supérieures à une production compatible avec les Accords de Paris (2015). De plus, la guerre en Ukraine rappelle l’importance stratégique des énergies qui ont pu agir comme levier de développement économique ou instrument d’indépendance pour certains pays, mais aussi comme malédiction pour d’autres.
« N’oublions pas que l’enjeu n’est pas, comme on le dit souvent, la survie de la planète, mais la survie de l’humanité. » Claude Lévi-Strauss a écrit en substance dans Tristes Tropiques que « le monde a commencé sans l’homme et pourrait bien se poursuivre sans lui ». C’est ce qui est en jeu avec les dérèglements climatiques : la survie d’une partie importante de l’humanité.
Les énergies fossiles, arme géopolitique
On distingue deux types d’énergies : les énergies fossiles et les énergies renouvelables. Les énergies fossiles représentent aujourd’hui 80 % de la consommation d’énergie mondiale. Les principales sont le charbon, le pétrole et le gaz.
La sécurité énergétique étant cruciale pour les pays, ceux-ci tentent de diversifier leurs sources d’approvisionnement pour minimiser leur dépendance.
Les énergies restent dominées par quelques États qui en font une arme géopolitique
C’est le cas du pétrole, né aux États-Unis (Pennsylvanie) au milieu du XIXe siècle. Il est dominé historiquement par sept grandes compagnies pétrolières, « le cartel des Sept Sœurs » (Standard Oil of New Jersey maintenant ExxonMobil, Royal Dutch Shell, BP, Gulf Oil, Chevron, Socony devenu Mobil et Texaco). Ces dernières avaient un contrôle considérable sur l’industrie pétrolière, car elles pouvaient influencer les prix et les niveaux de production.
Toutefois, elles vont perdre leur pouvoir face aux vagues de nationalisation dans les années 1970 qui vont déplacer la domination du pétrole vers le sud avec l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et rendre les pays du Nord plus vulnérables. Cette vulnérabilité a poussé des pays, comme les États-Unis, à exploiter de nouvelles ressources. Ainsi, l’exploitation des gisements de schiste aux États-Unis dès 2005 a créé une véritable révolution géopolitique, les plaçant en première position en termes de production depuis 2018.
Quant au gaz, il est dominé par la Russie (Gazprom) et les États-Unis (ExxonMobil). Il illustre les rapports de force mondiaux avec des projets communs de gazoduc tels que Force de Sibérie reliant la Russie à la Chine. Ce projet est le moyen pour la Russie de diversifier ses partenaires historiquement occidentaux, notamment dans un contexte de sanctions économiques liées à la guerre en Ukraine. Et c’est le moyen pour la Chine de réduire sa dépendance aux importations de gaz en provenance du Moyen-Orient. Ce projet renforce leur partenariat stratégique face aux puissances occidentales.
Les énergies et leur intérêt géostratégique majeur
La géopolitique objectale est un terme qui fait référence aux stratégies d’approvisionnement des États dans un contexte de dépendance énergétique. L’exemple des États-Unis illustre parfaitement cette volonté de sécuriser les approvisionnements en énergie. En 1945, le pacte du Quincy conclu avec l’Arabie saoudite lui permet d’assurer un approvisionnement régulier en pétrole, en échange d’une protection militaire et d’une assistance à l’Arabie saoudite.
Au cours des années 1970, les États-Unis font face à une série de crises pétrolières (embargo de l’OPEP à la suite du soutien à Israël dans la guerre du Kippour) qui ont mis en évidence la vulnérabilité des États-Unis face au marché pétrolier. Dans ce contexte, la doctrine Carter (1980) met en place des mesures de sécurisation qui ont pour objectif d’assurer que les flux pétroliers entre producteurs et consommateurs circulent sans entrave.
Dès lors, toute tentative de contrôle du golfe Persique entraînera des représailles américaines. Plus récemment, l’extraordinaire révolution du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis marque la revanche éclatante des énergies fossiles. Samuele Furfari parle de « contre-révolution énergétique » dans Vive les énergies fossiles ! : la contre-révolution énergétique (2019), rappelant la difficile transition énergétique qui relèverait d’un idéal-type difficile à atteindre.
La difficile transition énergétique vers des énergies renouvelables
Face aux dégâts causés par ces énergies fossiles, la transition énergétique, désignant toutes les transformations du système de production, de distribution et de consommation d’énergie effectuées sur un territoire dans le but de le rendre plus écologique, vise à transformer le système énergétique pour diminuer son impact environnemental par l’utilisation d’énergies renouvelables.
Parmi ces énergies, on trouve l’hydroélectricité, le nucléaire, l’éolien, le solaire ou encore la géothermie. Toutefois, plusieurs facteurs rendent la transition énergétique complexe : la dépendance aux énergies fossiles, le coût parfois très élevé des énergies renouvelables ou le risque de certaines énergies (accidents nucléaires, par exemple).
La volonté de transition énergétique vers des sources d’énergie plus propres pose la question du devenir des économies primarisées dans les énergies fossiles. On considère qu’une économie est primaire si la part de ses exportations de produits primaires dans les exportations totales est prédominante. C’est le cas de plusieurs États du Moyen-Orient qui ont entrepris des stratégies de diversification économique. Car si l’énergie a été un moyen de développement économique et d’indépendance, une trop forte spécialisation dans celle-ci pourrait bien la transformer en « malédiction » (Philippe Chalmin).
Les énergies, de la bénédiction à la malédiction
Le contrôle de ressources stratégiques telles que les énergies a plongé certains pays dans une monoculture économique. C’est-à-dire que l’économie se concentre sur un produit au risque d’empêcher la diversification économique.
En effet, l’exploitation d’une unique ou de plusieurs ressources naturelles est intrinsèquement liée au déclin de l’industrie manufacturière. Ainsi, ces économies sont fragiles et dépendantes de l’évolution des cours, très volatils lorsqu’ils concernent le marché des commodités (matières de base).
Le cas de la guerre en Ukraine et du grand retour du charbon
Le charbon est l’énergie fossile la plus polluante de la planète, sa combustion est responsable d’un quart des émissions de CO2 dans l’atmosphère. Depuis une dizaine d’années, son utilisation était en baisse en Europe grâce aux différents plans d’action de l’Union européenne pour réduire son utilisation d’énergies fossiles dans un contexte d’urgence climatique.
Pourtant, depuis 2020, l’utilisation du charbon repart à la hausse. La première raison de cette hausse n’est pas la guerre en Ukraine, mais bien le coût faible de cette énergie. L’invasion russe en Ukraine a ensuite accéléré cette tendance, car les sanctions envers la Russie se sont multipliées et donc les importations depuis la Russie ont été très largement réduites.
Face à la menace de pénurie énergétique et à la fermeture de trois centrales nucléaires en 2021, l’Allemagne a rouvert temporairement, en 2022, 27 centrales à charbon. Alors que la coalition au pouvoir avait annoncé vouloir sortir du charbon au plus tôt en 2030 et au plus tard en 2038. Mais aujourd’hui, l’Allemagne produit encore un tiers de son électricité grâce au charbon. Ce qui est bien supérieur à ses voisins européens qui, pour certains, ont fait le choix du nucléaire.
Ce qui est certain, c’est que la guerre en Ukraine a bouleversé le marché de l’énergie et a créé une « période de turbulences extraordinaires », selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
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