La deuxième édition du “monde en cartes” est disponible sur Amazon. Plus de 30 cartes commentées et accompagnées d’éléments méthodologiques pour t’aider à cerner, en images, les enjeux de la mondialisation. Ce livre est écrit par Matthieu Alfré et Christophe Chabert, deux diplômés de HEC Paris passionnés de géopolitique et de cartographie.

Pour acheter le livre : lien Amazon

On te propose ce morceau choisi avec ici une carte portant sur la zone sahélo-saharienne. Un terrain géopolitique vaste, aux enjeux multiples, aussi bien en termes de protagonistes, que d’intérêts économiques et de conflits territoriaux.

La carte et l’explication

Pour le professeur émérite Roland Pourtier, les déserts du monde connaissent une évolution radicale, puisque, « longtemps aux marges du monde, les déserts ont vu leur destin bouleversé au cours du xxe siècle par la découverte des réserves de leur sous-sol en hydrocarbures et en eau, les plaçant au coeur d’enjeux géopolitiques régionaux et mondiaux » (Géopolitique de l’Afrique et du Moyen- Orient, 2017). Ces constats pour les déserts du monde s’appliquent dans le cas de la zone sahélosaharienne qui s’étend sur une bande de 5 000 km à la lisière entre le monde arabo-musulman et l’Afrique subsaharienne. En effet, le Sahara traverse une période délicate à l’aube du xxie siècle pour plusieurs raisons. Tandis que les groupes du terrorisme international y étendent leur champ d’action, les puissances s’y font concurrence pour s’approprier ses richesses minières et pétrolières. D’autant que sa géographie hostile favorise aussi bien la redéfinition des migrations clandestines que la prolifération des trafics de toutes natures. C’est dire s’il convient de s’intéresser au statut de la zone sahélo-saharienne dans le monde contemporain.

Justification de la problématique

Or, sur ce point, la zone sahélo-saharienne se caractérise par un statut ambivalent qui est bien mis en évidence par Yves Lacoste dans son article « Sahara, perspectives et illusions géopolitiques » paru dans la revue Hérodote (Géopolitique du Sahara, 2011). D’une part, au sein de cet espace, le désert du Sahara apparaît comme une barrière tant il s’agit d’un milieu hostile sur les plans géographiques et climatiques. Chaleur étouffante, aridité marquée, sols ingrats, reliefs inégaux sont autant de paramètres qui renforcent l’hostilité de la zone sahélo-saharienne. D’autant que, dans un contexte de réchauffement climatique, certains de ces traits
géographiques pourraient même être amenés à s’aggraver. Les rapports du GIEC de 2022 mettent en
évidence l’ampleur des perturbations dans la sousrégion. Pour autant, malgré ces caractéristiques, la
zone sahélo-saharienne représente peut-être moins une barrière qu’une interface. Depuis l’Antiquité,
l’interface transsaharienne se manifeste par les échanges terrestres par le carrefour de Tombouctou
à l’ouest autant que par la route du Nil à l’est. Ces routes anciennes sont à nouveau utilisées de nos
jours pour les migrations clandestines et les trafics illicites. Cette dualité et ces évolutions donnent à
penser que le rôle géopolitique de cet espace est de plus en plus affirmé. Entre barrière et interface, la
zone sahélo-saharienne est-elle devenue un espace géostratégique ?

Construction de la légende et de la carte

Pour répondre à la question posée, il importe de bien circonscrire le périmètre de la zone traitée. En effet, l’espace sahélo-saharien ne se limite pas au Sahara, ce qui implique qu’il ne faille pas se contenter
de n’aborder que l’Afrique du Nord. Car le Sahel est une bande continue qui s’étend entre les parties
septentrionales du Sénégal et de l’Érythrée, d’où le besoin d’ancrer sa réflexion dans l’Afrique subsaharienne.
Pour ne pas se contenter d’une approche statique et binaire dans la légende, entre barrière et
interface, il convient aussi de montrer les effets de l’importance géopolitique de cet espace. C’est ce à quoi répondent les éléments de légende sur l’activisme des puissances, qu’elles soient régionales, émergentes ou mondiales.
Cartographier les espaces géographiques qui font office d’interface (Sahel et Sahara) en mentionnant tous les enjeux majeurs des zones qui leur sont contiguës (Afrique du Nord et Afrique subsaharienne).

Commentaire de la carte

Il n’est pas indispensable de faire un choix entre barrière et interface tant la zone sahélo-saharienne
présente cette double caractéristique qui n’est contradictoire qu’en apparence. En effet, par
ses caractéristiques, il s’agit moins d’une barrière géographique que d’une barrière géopolitique de
nos jours. Par exemple, du fait des mouvements indépendantistes et des mouvances terroristes,
l’insécurité de la zone agit comme un repoussoir pour de nombreux acteurs géopolitiques. Les
groupes comme Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) et Boko Haram, rattaché au groupe État islamique
(EI), font régner une grande insécurité sur les marges délaissées de leurs pays d’opérations. En
outre, cet espace sahélo-saharien constitue de fait une zone d’interface millénaire entre des populations
issues de civilisations distinctes. C’est ce que montre bien le chercheur Julien Brachet dans son
texte de 2009 intitulé Migrations transsahariennes : vers un désert cosmopolite et morcelé (Niger) selon lequel « la circulation des hommes, des bêtes et des marchandises est au coeur de l’organisation
des sociétés et des économies sahariennes ». Dans ce double contexte, la sous-région est de plus en
plus regardée comme un territoire géostratégique dans un monde en quête de stabilité géopolitique.
En ce sens, la France mène des interventions à la demande de ses alliés diplomatiques dans la perspective
de renforcer les États locaux qui sont en proie à des difficultés fondamentales de fragmentation
et de fragilité. Pour autant, la politique actuelle de la France consiste bien plutôt à faire internaliser
aux États de la zone la gestion de leurs vulnérabilités, ce dont atteste le dispositif du G5 Sahel. Ainsi,
poussée par le retournement politique au Mali, sous influence russe, la France achève sa mission
Barkhane dès 2022. Quel que soit le bilan de ces interventions, la zone sahélo-saharienne est une
barrière et une interface qui polarise les intérêts des puissances.

Perspectives sur le sujet

Cette importance géopolitique de l’espace sahélo-saharien pourrait bien se renforcer davantage à
l’avenir. Comme le montre avec efficacité Bruno Lecoquierre dans l’intervention intitulée « Le Sahara
dans la mondialisation : un désert en crise » au Festival de géopolitique de Grenoble (2016) : « le
grand désert ne peut assurément plus être considéré comme un espace en marge. […] le Sahara — avec
le Sahel dont il ne peut être dissocié — est devenu à l’évidence une plaque tournante de la géopolitique
mondiale. » Par ses richesses minières et par son expansion démographique, l’espace sahélo-saharien
pourrait même en rester longtemps le principal carrefour.