Il était une fois… l’argent magique est une véritable pépite pour les optionnaires « géopolitique » qui veulent enfin comprendre l’économie. Ce livre aborde les bases de nombreux concepts monétaires sur un ton agréable et stimulant. De plus, il a été écrit par Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP.
Introduction
Daniel décrit le phénomène de création « d’argent magique », c’est-à-dire créé à partir de rien. Il dépeint un retour de la croyance alchimiste considérant que l’argent est magique. Cette croyance s’illustre par les politiques de soutien à l’économie pour limiter les conséquences de la Covid. Sa thèse ? Substituer systématiquement la production privée et le travail par la dépense publique crée une illusion de richesses. Cela a pour conséquence une explosion de la dette.
La crise sanitaire n’est pas la seule cause. La dette publique française est passée de 21 % du PIB en 1980 à 100 % en 2019, par exemple.
Jean-Marc Daniel explique qu’il existe trois fonctions de la monnaie : échanger de façon pratique, attribuer un prix à chaque bien et conserver dans le temps son pouvoir d’achat. Le pouvoir d’achat peut devenir une forme d’épargne selon un laps de temps où la monnaie ne change pas de propriétaire.
Zoom sur l’or
Daniel revient sur quelques aspects historiques de la création de la monnaie. À cet égard, l’or devient une monnaie à partir du VIe siècle av. J.-C., après la décision du roi de Lydie en Asie Mineure, Crésus. C’est donc là d’où vient la fameuse expression « riche comme Crésus ». L’or a été choisi pour deux de ses caractéristiques : sa rareté et son poids. À cette époque, on parle « d’or magique » lorsque les banques créent plus de masse monétaire que l’or reçu.
Or, si le décalage devient trop manifeste entre l’or et l’or magique, il existe un risque de « bank run ». Pour éviter ce risque, les autorités jouent sur les règles prudentielles, c’est-à-dire que les banques doivent avoir un minimum de fonds propres par rapport aux crédits qu’elles concèdent.
Daniel retrace comment l’or a été éliminé en tant que monnaie. 1931 marque un premier temps dans la fin de l’or en tant que monnaie. En effet, la Banque d’Angleterre suspend la convertibilité or de la livre sterling après les attaques de change suivant la crise de 1929, ce qui a rendu la livre flottante. En 1971, Nixon rend le dollar inconvertible en or. Après plusieurs dévaluations, c’est en 1976, lors de l’Assemblée générale du FMI à Kingston en Jamaïque, que débute officiellement l’ère des changes flottants.
La création monétaire
Par ailleurs, la création bancaire suit un nouveau schéma : crédit-dépôt-crédit, résumé par la formule « les crédits font les dépôts ». Lorsqu’une banque accorde un crédit, elle crée simultanément un dépôt, et ce dépôt peut circuler à travers le système bancaire à mesure que les transactions ont lieu. Cette interconnexion entre les crédits et les dépôts est fondamentale pour comprendre la manière dont l’argent circule dans l’économie moderne. Ainsi, la monnaie est en réalité des crédits consentis par les banques.
Dans les années 1930, l’économiste américain Irving Fisher considère le mécanisme de « déflation par la dette » comme une des causes de la crise. Craignant de ne pas pouvoir rentrer dans leurs fonds, les banques exigent de leurs clients une accélération du remboursement de leurs prêts, réduisant de ce fait la quantité de monnaie en circulation. Cela conduit à une baisse générale des prix.
Ainsi, la concurrence bancaire joue le rôle d’autorégulateur, car elle conduit les banques à se discipliner dans la multiplication des prêts accordés – sinon, le taux au jour le jour (= le taux d’intérêt pratiqué entre banques pour un emprunt ne dépassant pas un jour) croît.
Une évolution historique de l’argent magique
La politique de déficit budgétaire et d’investissement public de Roosevelt du New Deal a connu un succès. Néanmoins, cette politique monétaire fait aussi l’objet de critiques. Les emprunts de l’État manquent aux entreprises. Les banques profitent de l’appétit financier de l’État pour augmenter les taux d’intérêt.
De ce fait, la dette publique pénalise les investissements privés et freine la croissance. Après le choc pétrolier de 1973, peu s’opposent au principe d’une relance keynésienne, c’est-à-dire à l’augmentation du déficit budgétaire pour financer des grands travaux.
La Banque centrale
Daniel dépeint un portrait de la Banque centrale et de son rôle. Son objectif initial, au XVIIe siècle, est d’être le banquier exclusif de l’État. Aujourd’hui, la Banque centrale a une double mission : elle a un rôle de prêteur de dernier ressort, mais elle doit aussi utiliser ce rôle pour contenir l’inflation. Pour ce faire, elle joue sur les volumes de crédit et les taux d’intérêt. Elle dispose de deux outils. D’une part, le quantitative easing : pour inciter les banques à prêter, les banques centrales leur rachètent des éléments des contreparties de la masse monétaire. D’autre part, la Banque centrale fait varier ses taux d’intérêt.
Étant la seule à fabriquer des billets dits « de banque », elle détient un monopole appelé le « privilège d’émission ». En d’autres termes, il est interdit de refuser les billets de la Banque centrale comme moyen de paiement. Si une Banque centrale ne parvient pas à faire respecter ce privilège (les dollars étant par exemple préférés aux billets de la Banque centrale), cela remet fondamentalement en cause son pouvoir.
Rappelons que les banques empruntent à la Banque centrale pour trois mois à un taux appelé « le taux d’intervention » (ou taux de refinancement, ou taux directeur). Quand la Banque centrale augmente son taux, les emprunteurs sont dissuadés.
Pour approfondir le rôle des banques centrales, consulte cet article.
Bonne dette et mauvaise dette
Daniel distingue la « bonne dette », c’est-à-dire la dette qui sert à financer les conditions de la croissance future, de la « mauvaise dette ».
L’argent magique est la dette qui croît dans l’actif des banques commerciales. L’argent magique ne participe pas à la multiplication d’investissements productifs débouchant sur une élévation des taux de croissance de l’économie. C’est une mauvaise dette. Ce processus se développe depuis 2009 et a été accéléré par la Covid-19. De plus, cet endettement est favorisé par des niveaux de taux d’intérêt bas voulus par les banques centrales.
Il faut noter que la dette publique n’a pas les mêmes objectifs que la dette privée. Or, contrairement à la dette publique, Daniel considère que la dette privée est légitime. En effet, s’il y a une erreur d’appréciation des entrepreneurs privés, le surplus de monnaie par rapport à la production sera tout de même supérieur à l’inflation. Pour la dette privée, les profits anticipés justifient les investissements. En revanche, pour la dette publique, ce sont les recettes fiscales futures qui justifient les investissements.
Quelques arguments en faveur de la dette publique
La théorie de l’OCDE sur la politique de relance s’appelle la « stratégie des locomotives ». Cette stratégie double se fonde sur deux éléments. Il faut relancer l’activité par des politiques expansionnistes coordonnées (même si l’ampleur de la relance ne saurait être la même dans tous les pays). Cependant, des limites de cette stratégie peuvent être constatées.
Reprenons l’exemple donné par Jean-Marc Daniel sous le gouvernement de Jacques Chirac. En 1975, le plan de soutien à la croissance par creusement significatif du déficit budgétaire s’élève à 15 milliards de francs pour les grands travaux (dont le TGV), à 5 milliards pour l’augmentation des allocations sociales et à 18 milliards en baisse d’impôts. Mais le constat de l’échec de la politique de relance a mené à la création de groupes d’experts chargés de formuler des recommandations sur la politique économique, la commission McCracken, du nom du président de la commission.
Pour l’économiste allemand Johannsen, toute dépense publique nouvelle suscite une chaîne de dépenses qui se traduit par un accroissement du revenu national. Pour les partisans de Keynes, la dépense a un rôle positif. La dette publique trouve sa légitimité dans le financement d’équipements favorisant la croissance économique.
Le rôle de l’État
Daniel cite l’économiste américain Richard Musgrave qui décrit les trois fonctions économiques pour l’État dans The Theory of Public Finance (1959). La première fonction de l’État est la fonction d’allocation : l’État intervient sur l’allocation des ressources et utilise la fiscalité pour encadrer certaines consommations (comme le tabac et le pétrole). Sa deuxième fonction est celle de redistribution : l’État corrige la répartition initiale des revenus pour réduire les inégalités. Enfin, l’État a une fonction de stabilisation : il doit assurer une croissance économique équilibrée, c’est-à-dire assurer le plein-emploi sans inflation et sans déficit extérieur. De fait, il semblerait qu’il appartiendrait à l’État de favoriser la croissance, par la dette.
Toutefois, vouloir assimiler l’État à une entreprise pose problème. En effet, l’État a souvent un statut monopolistique dans certains domaines. Il ne perd pas de parts de marché de la même manière qu’une entreprise dans un environnement concurrentiel.
« On détruit un pays par l’épée ou par la dette »
Cette phrase est une citation de John Adams, deuxième Président des États-Unis. La dette publique serait un fardeau pour les générations futures. Daniel rappelle qu’en 2020, cinq pays se sont déclarés incapables de rembourser leur dette extérieure : l’Argentine, l’Équateur, le Liban, le Suriname et la Zambie.
Pour l’économiste britannique David Ricardo, la dette publique n’est pas un transfert entre les générations. Elle est en réalité un transfert social dans la génération qui suit celle qui a émis les emprunts. Par conséquent, la dette publique serait un mécanisme antiredistributif. Ce phénomène s’appelle le « Robin Hood Reversed », prenant l’argent des pauvres pour le donner aux riches.
Il existe trois arguments principaux contre la dette publique : l’inflation, l’éviction et la dollarisation.
Inflation
D’après le principe 9 de l’essai Principes de l’économie de l’économiste américain Gregory Mankiw, « les prix augmentent lorsque les autorités publiques impriment trop de monnaie ».
Or, l’inflation s’explique par un excès de la demande par rapport à l’offre. Ainsi, l’argent magique peut conduire à des dérives inflationnistes. L’argent magique peut potentiellement conduire à une inflation incontrôlée, ce qui aurait des implications négatives sur la stabilité économique, la confiance dans la monnaie et la capacité du système économique à fonctionner efficacement.
Toutefois, il est abusif d’associer toute demande excessive à de l’inflation.
Éviction
L’augmentation de la dette publique provoque des anticipations négatives chez les acteurs privés. Ces anticipations se traduisent par des évictions de la dépense privée, de consommation ou d’investissement. Pour contrer cela, les keynésiens proposent de financer le déficit non pas par un appel à l’épargne, mais par le crédit bancaire, et donc la création monétaire.
La « nouvelle macroéconomie classique », dont le principal théoricien est Robert Lucas, remet en cause cette idée. L’augmentation de la dette publique débouche sur une baisse de la dépense privée. Autrement dit, cette augmentation change la nature de la dépense, mais pas son volume. Cela rend la dette publique problématique.
Dollarisation, ou la disparition de la monnaie
Pour Jean-Marc Daniel, la dollarisation est un argument en défaveur de l’argent magique. En effet, elle implique une perte de souveraineté monétaire. Elle conduit à l’abandon de la monnaie nationale au profit du dollar américain.
Lorsqu’un pays adopte le dollar comme sa monnaie officielle, il renonce en grande partie à sa souveraineté monétaire. Cela signifie que la politique monétaire du pays n’est plus déterminée par sa propre Banque centrale, mais plutôt par la Réserve fédérale américaine (Fed).
Si tu veux en savoir plus sur les réflexions de Jean-Marc Daniel, c’est par ici. N’hésite pas à consulter tous nos articles de géopolitique !