Dans sa Logique de la philosophie, Eric Weil avance que l’origine de la philosophie provient d’un choix : celui de la raison face à la violence.
La raison se définit généralement comme la faculté humaine de connaitre et de juger, de réfléchir objectivement en faisant abstraction des émotions. L’auteur oppose ainsi cette force à celle de la violence, tout en montrant qu’elles sont intrinsèquement liées.
L’homme comme être de raison, mais aussi de violence
La philosophie nous a transmis une définition de l’Homme comme un être de raison. En effet, Aristote pense que l’homme est le seul animal doué de logos, et c’est en cela qu’il se distingue des autres : il est doté de raison. Si donc, au sens de la philosophie, l’homme devient pleinement humain s’il se conforme à la raison, on comprend que le philosophe conseille à l’homme de s’armer de la raison afin d’atteindre la sagesse. Mais la raison n’est qu’une des facettes de l’existence humaine.
L’homme est en effet également en proie aux passions et aux désirs. Ainsi, la voie de la sagesse envisagée par la philosophie n’est qu’une voie possible parmi d’autres, comme l’écrit Weil :
[La] possibilité (…) désigne ce que l’homme peut, et l’homme peut certainement être raisonnable, du moins vouloir être raisonnable. Mais ce n’est qu’une possibilité, pas une nécessité.
Une des autres possibilités est en effet la violence. Or, c’est souvent celle que l’homme choisit en premier lieu, comme l’écrit Francis Bacon :
L’homme n’est qu’un animal à demi dompté, qui pendant des générations a gouverné les autres par la fourberie, la cruauté et la violence.
Si donc la violence peut être choisie au détriment de la raison, il faut chercher les raisons d’un tel choix.
La possibilité de la violence : pourquoi la choisir ?
Selon Weil, la violence se manifeste en fait par le refus du discours d’autrui.
En effet, la violence refuse la pluralité des discours et cherche à imposer l’unicité et l’exclusivité de son propre discours. Par la violence, l’homme s’exprime donc par un discours individuel, qui ne prend pas en compte les principes communs à tous. Ainsi, la violence de l’homme
s’affirme dans [l’]être [de l’homme] tel qu’il est pour lui-même, qui ne veut que s’exprimer tel qu’il se sent.
Mais il ne faut pas pour autant opposer si radicalement la violence à la raison. La violence n’est en effet une possibilité que pour celui qui raisonne, c’est-à-dire celui qui parle et qui tien un discours de sagesse. En effet, l’homme violent ignore que la violence n’est qu’une possibilité : il ne cherche pas à comprendre, ni à savoir la vérité. L’essentiel de l’existence de l’homme violent vient donc du fait qu’il ne recherche pas la cohérence : la raison est silencieuse.
Ainsi, la violence première présente naturellement chez l’homme est un problème pour la philosophie, parce qu’elle se moque du sens. La philosophie cherche donc à donner un sens à la violence afin de parvenir à un état de non-violence, c’est-à-dire à un état où la violence devient une simple possibilité parmi d’autre. D’où Weil écrivant que “ce qui importe, c’est d’éliminer la violence” . Comment peut-on alors procéder à cette élimination ?
La raison use de la violence contre la violence
Weil envisage alors le discours comme un antidote à la violence. Mais cet antidote ne fonctionne pas toujours, et on voit alors que la violence et la raison sont encore intrinsèquement liées : en effet, le discours n’est efficace qu’entre hommes raisonnables.
Mais si la violence est en théorie inacceptable pour les hommes vivant conformément à la raison, elle est parfois nécessaire en pratique. Elle peut en effet s’avérer utile contre les déraisonnables, incapables de dialoguer, qui choisissent alors la violence comme moyen. Cette violence peut aussi être nécessaire contre des envahisseurs extérieurs qui chercheraient, par la violence, à imposer leur discours unique.
Ainsi, il convient d’user de la violence afin de contrer la violence de ceux qui refusent le discours et le dialogue. Il faut donc, parfois, ramener l’autre à la raison par la violence, ce qui peut paraitre paradoxal, mais s’impose en dernier recours, par exemple dans l’exemple de la révolution donné par Gustave Vapereau :
Dans les révolutions, la raison ne triomphe pas sans la violence, mais la violence se passe très bien de la raison.
Néanmoins, et malgré tous les efforts de la raison, la violence n’est jamais éradiquée de la société. Même lorsqu’elle semble absente, la violence est toujours prête à ressurgir. C’est ce difficile équilibre qui caractérise nos sociétés contemporaines, toujours promptes à s’embraser.
Conclusion
Weil explore la question de la violence et de la non-violence en soutenant que la parole est spécifique à l’être humain, et est le seul moyen de non-violence. Selon lui, la violence est ainsi un obstacle à la réalisation de notre propre humanité, il est donc important de l’éliminer.