Dahmer, Mindhunter, ou encore You, autant de séries qui montrent une fascination grandissante pour les serial killers. Comment expliquer cet intérêt général pour la morbidité, et surtout, comment utiliser ces exemples en colle ou en dissertation ? Cet article te propose une réflexion sur la place que prennent les serial killers dans notre société. La majorité des exemples utilisés sont issus de l’aire anglophone, ce qui te permet de les réutiliser en colle ou en essay d’anglais. Mais le thème principal de l’article tourne également autour de la question de la violence, ce qui te donne l’opportunité de travailler le thème de culture générale de cette année.
Les serial killers, nos nouvelles idoles ?
Alors que les hors-séries de Society font fureur et que la série Dahmer a cumulé plus de 300 millions d’heures de vue en une seule semaine, on se demande de plus en plus pourquoi les serial killers et autres faits divers morbides nous fascinent tant.
Les actes dépeints sont condamnables et personne n’aspire à devenir serial killer. Ces criminels ne sont pas des modèles et pourtant les médias ne cessent de les glorifier en leur accordant de plus en plus d’espace. Tandis que nous, consommateurs passifs, avons bien du mal à résister au dernier podcast morbide en vogue. Alors, comment expliquer ce paradoxe ?
La théorie de l’évolution
Selon les psychologues, la fascination pour les serial killers s’explique par la théorie de l’évolution. Elle découlerait d’une curiosité morbide nous poussant à explorer le côté sombre de la psyché humaine. L’attrait pour ces histoires macabres est ancré dans notre besoin instinctif d’identifier des menaces potentielles et de comprendre le mal pour, in fine, mieux appréhender le bien.
L’étude du comportement déviant pourrait servir d’entraînement permettant de faire face à des situations dangereuses. D’un point de vue évolutionniste, cette curiosité a contribué à la survie des communautés. Cette fascination pourrait également aider à résister à nos propres pulsions sombres en nous rendant conscients de notre côté « obscur ».
Des explications qui ne semblent pas entièrement convaincantes
En effet, si les émissions sur les serial killers font fureur, les documentaires sur les accidents de la route ne font pas les mêmes audiences. Pourtant, en suivant le raisonnement des psychologues, ils devraient nous intéresser tout autant puisqu’ils constituent un moyen d’identifier et d’éviter une situation dangereuse…
Je pense donc qu’il y a quelque chose de plus mystique à propos des serial killers. Le personnage du serial killer est ancré dans l’histoire et soulève les foules depuis des siècles. Prenons l’exemple de Jack l’Éventreur (Jack the Ripper), qui sévissait dans le quartier londonien de Whitechapel dans les années 1880. Il a aujourd’hui été érigé au rang de mythe et a inspiré de nombreuses œuvres fictionnelles ou non.
Ainsi, au-delà d’être une forme d’adaptation évolutionniste, la fascination pour ces individus malsains me semble également résulter de la construction sociale du mythe du serial killer, que j’aimerais explorer dans cet article.
Le serial killer ou le monstre des quartiers pauvres
As-tu remarqué que les serial killers opéraient notamment dans les quartiers pauvres ?
Jack l’Éventreur
Jack l’Éventreur a par exemple commis des meurtres dans un quartier économiquement défavorisé de Londres. Pour te situer le contexte, vers le milieu du XIXe siècle, un afflux massif d’Irlandais est arrivé dans l’East End de Londres. Le district de Whitechapel a été fortement touché par cette augmentation de population, menant à une surpopulation grandissante. Les conditions de travail ainsi que les logements se sont détériorés.
En parallèle, on a pu constater une hausse de la violence, de l’alcoolisme et de la prostitution. L’antisémitisme, la criminalité, ou encore le racisme ont renforcé l’idée préconçue que Whitechapel était un foyer d’immoralité. Idée que la médiatisation des meurtres de Jack l’Éventreur a fini par ancrer dans la conscience collective.
Dahmer
Il en va de même pour la série Dahmer. Le protagoniste est dépeint comme une personne à loyer modeste vivant dans un appartement relativement insalubre et dans un immeuble surpeuplé où l’intimité est limitée. La voisine de Dahmer ne cesse de se plaindre du bruit qu’il fait et des odeurs qui émanent de son appartement, montrant que les logements ne sont que peu isolés.
Encore une fois, ce n’est pas dans un quartier à l’apparence riche que le serial killer est dépeint.
Ces deux exemples suggèrent que, dans l’imaginaire collectif, le serial killer est associé à la pauvreté. Ce qui renforce la diabolisation et la discrimination des pauvres. Cela reflète les stéréotypes et les perceptions préjudiciables sur les quartiers défavorisés.
D’autres représentations semblent néanmoins infirmer cette conclusion
Pensons par exemple à You, série télévisée qui suit l’histoire de Joe Goldberg, un libraire charmant mais perturbé qui développe des obsessions pour les femmes qu’il rencontre. À travers ses yeux, nous sommes plongés dans un monde où il utilise les réseaux sociaux et la technologie pour suivre, manipuler et parfois même éliminer ceux qu’il considère comme des obstacles à son idée de l’amour parfait.
La série explore les thèmes de l’obsession et de la manipulation, mettant en lumière les aspects sombres et inquiétants des relations modernes. Au fur et à mesure des saisons, Joe Goldberg s’enrichit, et, contrairement à Jack l’Éventreur ou à Dahmer, il n’agit pas que dans des quartiers pauvres. Il évolue dans différents environnements, interagissant avec des personnes de divers milieux socioéconomiques, des quartiers aisés aux quartiers plus modestes.
Néanmoins, tu peux noter qu’au début de la série, il habite dans un petit appartement où les symptômes stéréotypiquement associés à la pauvreté sont palpables. Son voisin de palier est alcoolique et bat son fils. En outre, les différents flash-back faisant référence à son passé signalent que lui aussi a été maltraité durant son enfance. Dès lors, même des exemples plus atypiques tels que You suggèrent que la violence est intrinsèquement liée aux comportements stéréotypiquement associés aux classes sociales plus modestes.
Cela n’est pas vrai que pour le mythe qui s’est tissé autour des serial killers
De nombreuses œuvres de fiction, à l’instar de Maggie: A Girl of the Streets de Stephen Crane, associent la pauvreté à une violence extrême. L’histoire dépeint la vie misérable de Maggie, sa famille dysfonctionnelle et sa lutte pour trouver une échappatoire à la pauvreté et à la désolation qui l’entourent. Elle est séduite puis abandonnée par Pete, un homme qui promet de l’élever socialement mais qui finit par la rejeter, donnant ensuite lieu à une fin tragique.
Cette novella retravaille le genre de la slum fiction qui, au XIXe siècle, s’intéressait à dépeindre la manière dont des individus issus des quartiers pauvres réussissaient à s’élever socialement en préservant leur vertu et leur pureté. C’est-à-dire en ne prenant pas part aux activités morbides pratiquées dans ces quartiers. Nommément, la violence, l’alcoolisme ou la prostitution. Bref, l’association de la violence aux quartiers pauvres dans la fiction ne date pas d’hier.
Bien sûr, si tu argumentes à ce sujet, prends soin de nuancer ton propos. Il est évident que les quartiers pauvres sont plus vulnérables à la violence, notamment du fait des moyens limités accordés au maintien de l’ordre dans ces lieux. Il n’est donc pas si étonnant que les serial killers agissent dans ces zones, où ils trouvent plus facilement des victimes. Mais les constatations précédentes peuvent te permettre d’initier un argumentaire à propos du lien complexe et trop souvent stéréotypé associant la violence à la pauvreté.
Le serial killer, mine d’or du capitalisme médiatique
Ce qui érige le serial killer au rang de mythe, c’est avant tout sa médiatisation. La violence et la morbidité permettent à la presse de publier des articles sensationnalistes aux consonances hyperboliques qui gonflent l’horreur des actes de ces criminels, tout en faisant grandir un sentiment de terreur. Le premier serial killer qui a marqué un tournant dans le journalisme criminel est d’ailleurs Jack l’Éventreur.
Il fut le premier à bénéficier d’une couverture médiatique internationale, à une époque où les médias peu coûteux et largement diffusés, comme The Illustrated Police News, se sont développés du fait de diverses réformes britanniques. Évidemment, les journalistes n’étaient pas autorisés à diffuser des informations sur les enquêtes en cours. Les médias spéculaient alors quant à l’identité du tueur et lui donnaient des surnoms tels que le « Tablier de cuir ».
Cela a conduit à la diffusion d’informations incertaines, voire de fake news, alimentant les débats entre journaux. D’autres tueurs ont ensuite été affublés de pseudonymes inspirés de celui de Jack l’Éventreur, alimentant ainsi la culture médiatique des tueurs en série.
Aujourd’hui, avec environ 50 000 exemplaires vendus chaque année, Society, surtout connu pour ses hors-séries sur les faits divers, illustre bien le marché florissant du journalisme criminel. Le problème, c’est que la limite entre informer le public et exploiter le drame pour en tirer des profits médiatiques est mince. Ce qui soulève des préoccupations éthiques et morales que tu peux analyser dans tes travaux écrits ou en colles.
Le serial killer comme symptôme de l’individualisme croissant
Enfin, tout l’intérêt qui s’est créé autour des tueurs en série s’accompagne d’un développement des méthodes d’analyse de ces derniers.
Par exemple, le profilage a été popularisé par l’enquête autour de Jack l’Éventreur. À la fin d’octobre 1888, la police demande en effet au légiste d’estimer les compétences médicales de la personne responsable des meurtres à Whitechapel. Le document produit par le légiste se fonde sur l’examen approfondi des victimes et des rapports d’autopsie.
Jack l’Éventreur a été décrit comme un individu probablement solitaire, sujet à des pulsions meurtrières et érotiques. Bien que rien n’indique que le meurtrier ait abusé sexuellement de ses victimes, certains experts en psychologie estiment que les actes de pénétration avec un couteau et la mise en scène des corps dans des positions sexuellement dégradantes suggèrent que l’agresseur recherchait une sorte de plaisir libidinal.
De telles analyses montrent bien que l’intérêt pour l’exploration de la psyché se développe à mesure que des tueurs en série apparaissent. Comme si l’on cherchait absolument à faire sens de leurs actions et à expliquer leur conduite.
Le profilage criminel
Plus tard, le développement de la psychanalyse (au début du XXe siècle) renforce d’autant plus l’importance du profilage.
Walter C. Langer, psychanalyste américain, est notamment le premier à avoir parlé de « profilage criminel » pendant la Seconde Guerre mondiale. Son travail visait à dresser un profil psychologique d’Adolf Hitler afin d’anticiper ses actions pour les Alliés.
Ensuite, cette méthode pionnière a ouvert la voie à l’application du profilage criminel dans d’autres contextes. Il est également intéressant de noter qu’à cette même période, les ouvrages de développement personnel se popularisent.
Psychanalyse, profilage et développement personnel marquent un tournant dans la perception du monde par l’individu. Au lieu d’utiliser la sociologie pour faire sens de ces actions morbides aux apparences irréelles, on se concentre davantage sur la psyché et sur l’histoire personnelle de chaque tueur en série. Cela dépolitise toutes les considérations à leur propos et place leur traitement au-delà des limites du corps sociopolitique. Chaque serial killer est unique, et chaque analyse est personnalisée. C’est en d’autres termes le reflet de la personnalisation de masse qui émerge avec la société individualiste.
Bien qu’elle soit utile aux enquêteurs, le problème de cette évolution est qu’elle a tendance à dédouaner le corps gouvernemental de toute responsabilité dans l’émergence de serial killers. Il peut donc être intéressant de partir de ces constatations sur les serial killers afin de te questionner sur le positionnement des politiques vis-à-vis de la violence dans notre société hautement capitaliste.
Le serial killer est une figure qui crée un court-circuit de sens
On ne comprend pas cette violence, et c’est bien la raison pour laquelle on est si fascinés par ces personnages qui s’érigent au rang de mythes. Les propos du chercheur Jean-Michel Adam, recueillis par la journaliste Sonia Arnal, le montrent d’ailleurs très bien :
« C’est là tout l’intérêt du genre. Face à une causalité déficiente (Roland Barthes parlait de causalité amputée), certains faits divers rejoignent les mythes antiques : Œdipe, Médée, l’époux monstrueux, c’est ce qu’André Breton nommait ‘l’infracassable noyau de nuit’. Ce sont ‘ces pensées prélogiques qui foisonnent dans notre monde civilisé’ que traquaient Sartre et Simone de Beauvoir en achetant Détective. Même en le développant à l’extrême, aucun récit ne répond à ce mystère : qu’est-ce qui fait que soudain, les gens passent à l’acte ? C’est la réponse à cette question que cherchent sans fin les lecteurs. »
Voilà, tu as fait d’une pierre deux coups avec ces quelques exemples issus de l’aire anglophone que tu peux à la fois réutiliser en anglais ou en culture générale.
Si tu souhaites continuer de travailler sur la violence en apprenant des choses sur le monde anglophone, consulte cet article sur les tueries de masse.