Poutine de A à Z est un essai bibliographique écrit par Vladimir Fédorovski, ancien diplomate, interprète de Léonid Brejnev et conseiller de Mikhaïl Gorbatchev. La particularité de cette biographie tient au fait qu’il s’agit d’un abécédaire regroupant les principales notions liées au dirigeant du Kremlin. KGB, système Poutine, ou encore Ukraine et Crimée sont autant de notions présentes dans ce livre. Cette biographie consacre de nombreuses pages à la philosophie poutinienne et à sa manière, très réfléchie, de diriger la Russie. Car oui, quoi que l’on en pense, comme le résume très bien Victor Erofeev, figure de proue de la contestation littéraire moderne en Russie : « Poutine est un tsar postmoderne, mais il n’est ni fou ni idiot. »
Poutine : milieu social, vie et principales étapes de sa carrière
Vladimir Poutine est né le 7 octobre 1952 à Leningrad (ancien nom de Saint-Pétersbourg). Il est l’enfant tardif de parents tous deux nés en 1911 et rescapés du siège de Leningrad, ville qui fut soumise pendant la Seconde Guerre mondiale au blocus des troupes allemandes de 1941 à 1944. Il a grandi dans un quartier sensible de la ville, qui était en réalité une zone de non-droit, tenue par des caïds et des parrains surnommés les « voleurs en loi », car ils régnaient en maîtres absolus sur un monde marginal organisé selon ses propres règles et son économie parallèle.
Très jeune, il pratique le judo. Il est ceinture noire et membre de l’équipe russe aux JO. Comme tout Russe qui se respecte, il est aussi passionné d’échecs. Autant de techniques qu’il appliquera plus tard, particulièrement en politique étrangère. Poursuivant son rêve de devenir agent spécial, il présente sa candidature au KGB à l’âge de 15 ans, qui sera finalement éconduite. Ce n’est qu’en 1975, après l’obtention de son diplôme à la faculté de droit de Leningrad, qu’il est enrôlé dans les services spéciaux.
De 1986 à 1996, Vladimir Poutine est tour à tour conseiller aux affaires internationales, membre du cabinet du maire, puis premier adjoint du maire de Saint-Pétersbourg de l’époque, Anatoli Sobtchak. En 1996, ce dernier perd la mairie de la ville. Poutine doit venir à Moscou, où il fait une carrière politique vertigineuse en devenant le patron des services secrets de Boris Eltsine, le FSB, qui succédait au KGB. Premier ministre en 1999, il est de facto Président par intérim après le départ d’Eltsine, puis élu Président en mars 2000.
L’arrivée de Poutine au pouvoir est marquée par les débuts de la seconde guerre de Tchétchénie, une région située au sud de la Russie. Le 7 août 1999, plusieurs centaines de combattants tchétchènes entrent dans la république voisine du Daghestan, dans le but de créer un émirat islamiste dans le Caucase.
Philosophie et pratiques de management de Vladimir Poutine
Au XVIe siècle, Ivan le Terrible, premier tsar de Russie, avait établi et consolidé son pouvoir en affirmant que la Russie était une citadelle assiégée. C’est-à-dire en permanence à la portée d’une menace grave, menaçant son existence. Un message que Vladimir Poutine a repris textuellement pour conduire certaines actions précises de sa politique étrangère.
Sa pensée philopolitique repose sur trois principaux axes : le patriotisme, l’orthodoxie et l’eurasisme
La philosophie poutinienne, ou poutinisme, promeut en priorité l’unité du peuple, qui doit être le fruit de l’œuvre du chef de l’État. En témoignent le nom du parti politique de Vladimir Poutine (Russie Unie) et la popularité du Président dans son pays. Par le biais du patriotisme, il doit souder les citoyens autour de lui, à la manière d’un contrat social liant le peuple à son représentant suprême.
Cette philosophie tire directement racine des travaux d’Ivan Iline, philosophe russe du XXe siècle, très cher aux yeux du dirigeant russe actuel. Iline écrivait, dans son ouvrage Nos Missions : « La Russie a besoin d’une dictature ferme, national patriotique, et inspirée de l’idée libérale. Son chef doit être guidé par l’idée du Tout et non par des motifs particuliers, personnels ou partisans. » Iline donne la définition du dirigeant de la Russie post-communiste : « Le Guide sert au lieu de faire carrière ; combat au lieu de faire de la figuration ; frappe l’ennemi au lieu de prononcer des mots vides ; dirige au lieu de se vendre aux étrangers. » On retrouve là tout le programme poutinien, avec le modèle de la verticale du pouvoir, de la démocratie souveraine et de l’hostilité aux puissances étrangères qui en découle.
La doctrine de l’eurasisme considère que la Russie dispose d’une spécificité politique, économique et sociale, qui lui est véritablement propre. Un pouvoir fort et unique devient donc essentiel, car comme le rappelait Catherine II de Russie : « Un pays d’une telle ampleur ne peut pas se gouverner d’une autre façon que celle autoritaire. »
Un renouveau religieux
La chute de l’URSS a permis un véritable renouveau religieux qui, aujourd’hui, place le patriarche au plus proche du pouvoir politique. Par son action politique et militaire en Syrie à l’œuvre depuis 2015, Vladimir Poutine se place en protecteur de tous les chrétiens d’Orient. L’influence de la chrétienté orthodoxe en Russie explique ainsi la mise en place d’un axe de pouvoir entre le Kremlin de Poutine et l’Église orthodoxe russe, dirigée par le patriarche Kirill.
Le conservatisme s’inscrit notamment comme un vecteur du renouveau de l’orthodoxie en Russie. Vladimir Poutine reprend pour ce faire les considérations de Constantin Leontiev, philosophe russe qui fait de la Russie une civilisation à part entière et un rempart contre un Occident jugé décadent. Leontiev promet une Russie qui est et demeure russe. Ainsi, Poutine reprend certains de ces préceptes en rappelant que la doctrine conservatrice russe est un moyen de contenir la pensée occidentale. Dans La Russie et l’Europe, Nikolaï Danilevski déclare : « La lutte contre l’Occident est le seul moyen salutaire pour la guérison de notre culture russe. »
L’unification des Slaves
Eurasisme et panslavisme correspondent au concept d’unification et de rassemblement des Slaves, destinés à se regrouper dans un espace économique ou politique commun, par leurs ressemblances culturelles, religieuses, linguistiques et historiques. L’eurasisme est une vision du monde panrusse, opposée à l’atlantisme. Elle s’appuie notamment de manière assez nette sur les religions traditionnelles et bénéficie de ce fait de la bienveillance du patriarcat orthodoxe. Dès le début de la guerre en Ukraine, par exemple, le patriarche de Moscou, Kirill, a exprimé son soutien à la guerre menée par Vladimir Poutine.
Alexandre Douguine, homme politique influent proche du Kremlin, reprend cette idée de l’eurasisme en promouvant la création d’un continent entre Europe et Asie, un pont entre l’Orient et l’Occident. Douguine est considéré comme le « Raspoutine de Poutine », surnom forgé sur un jeu de mots universel dont se délectent les journaux. Chantre du panslavisme et de l’ultra-nationalisme, il conseille de manière occulte Vladimir Poutine. Il est le père du concept de Nouvelle-Russie, ou Novorossia, un projet confédéral non reconnu internationalement, destiné à réunir les deux États ukrainiens sécessionnistes de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Lougansk, qui recouvrent le territoire du Donbass.
L’Eurasie se veut être, pour la Russie, ce qu’elle qualifie également d’étranger proche. C’est à-dire un espace d’intérêts privilégiés et dans lequel toute intervention étrangère serait combattue. La Russie redoute de ce fait l’éclatement de son État et la déstabilisation de ses frontières. C’est dans cette optique que Vladimir Poutine tient à préserver l’intégrité de son pays et de l’espace qui l’entoure.
La politique de Poutine
Poutine a par la suite fondé son pouvoir sur un réseau de services spéciaux à sa solde, mais aussi un environnement financier et économique oligarchique qu’il supervise de près. Il a également réussi à verrouiller le système politique en laissant entrer au Parlement une opposition (composée des communistes, du Parti libéral démocrate et du Parti de la justice), qui n’en est en réalité pas une. En effet, ces formations le soutiennent sur les questions essentielles, comme la grandeur de la Russie et sa place sur l’échiquier géopolitique international.
L’action et la politique de Vladimir Poutine au début de son mandat partent d’un constat simple. Les années Eltsine ont créé en Russie une situation délétère. Déjà frappée par l’inflation, le chômage et les salaires impayés, la population est durement touchée par la crise économique de 1998. Poutine va ainsi jouer la carte de l’humiliation qui s’est répandue dans la société à la fin des années 1990, sentiment dont il va faire un thème porteur de sa campagne.
Le rétablissement de la puissance étatique
Sa stratégie de rétablissement de la puissance étatique passe notamment par deux axes : le contrôle des médias et la mise au pas des oligarques. Pour ce qui est des oligarques (personnalités de premier plan du monde des affaires, en lien avec le pouvoir politique, qui se sont rapidement enrichies dans les années 1990 via les privatisations qui ont suivi la dissolution de l’Union soviétique), Poutine déclare qu’il est prêt à fermer les yeux sur leurs activités douteuses et sur la manière (souvent à la marge de la légalité) dont ils se sont enrichis, s’ils sont enclins, en échange, à consacrer une partie de leurs bénéfices à la reconstitution de la puissance du pays. La plupart obtempèrent, certains comme Boris Berezovsky décident de s’exiler, quand d’autres, plus courageux, décident tant bien que mal, de résister. C’est le cas de Mikhaïl Khodorkovski, magnat pétrolier, qui sera arrêté en 2003 et condamné à onze ans de prison.
Son offensive idéologique passe notamment par le portail internet Sputnik International, dont la section française a ouvert en 2015, et fermé en 2022. Multimédia diffusé en 30 langues, Sputnik, dont le nom signifie « compagnon de route » a pour objectif affiché de « dire ce qui n’est pas dit » et de faire apparaître les conceptions russes comme une solution d’avenir. Poutine s’appuie également sur une partie de sa diaspora, avec la main tendue du patriarcat de Moscou vers les églises de l’émigration, de même que vers le monde associatif.
Te voilà donc au point sur toute la philosophie poutinienne et ce que les géopolitologues appellent « système poutine ». Tu peux évidemment mobiliser ces références pour parler de la Russie et de Vladimir Poutine, mais aussi pour traiter des relations entre la Russie et l’Occident, ainsi que pour analyser les différentes conceptions des paradigmes des relations internationales.
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