Major-Prépa te propose ici un corrigé détaillé d’un sujet de géopolitique tombé à l’oral de HEC. L’intitulé du sujet de colle que nous allons traiter est le suivant : « Quatre Europe vraiment : Nord, Sud, Est, Ouest ? »
Introduction
« Je suis profondément attristé pour l’Europe. » C’est en ces termes qu’Edi Rama, Premier ministre albanais, a réagi à l’officialisation par Ursula von der Leyen des candidatures d’adhésion à l’Union européenne de la Moldavie et de l’Ukraine, en juin 2022. Le fait est que, depuis 2009, le Pays des Aigles a déposé sa candidature auprès de Bruxelles, sans de majeures avancées à l’heure actuelle. Rama dénonce dès lors une différence de traitement entre les différents pays, devant l’officialisation « express » des deux pays cités plus haut. Il évoque une Europe du Sud « mise de côté », mettant comme en évidence le fait qu’il y aurait « plusieurs Europe ».
L’Europe est une partie du continent eurasiatique composé de 45 à 50 États (selon les classifications). Si le continent européen est délimité à l’Ouest par l’océan Atlantique et au Sud par la mer Méditerranée, les limites à l’Est sont plus floues. Une commission d’enquêteurs mise sur pied par le tsar russe Pierre Le Grand au XVIIIe siècle fixe les frontières orientales de l’Europe au niveau des montagnes du Caucase et de l’Oural.
Mais l’Europe est également une construction politique amorcée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, composée de 27 pays : c’est l’Union européenne. La construction européenne s’accompagne d’une double dimension : politique, à travers les élargissements, et institutionnelle, à travers l’approfondissement. Alors que le but premier de l’Union européenne est l’intégration politique et économique, le développement économique et la réduction des inégalités entre les pays membres, il en reste que les réalités sociopolitiques du terrain font subsister un certain nombre de gradients entre ces quatre ensembles différents : l’Europe du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest.
À l’Europe du Nord, particulièrement stable et prospère, oppose-t-on l’Europe du Sud, plus pauvre et en retard économiquement. De plus, si l’Europe souhaite construire une identité commune, celle-ci ne peut se faire sans prendre en compte la diversité culturelle notable du continent. Le sujet pose ici la question de la pertinence d’une telle classification.
Ainsi, la division du continent européen en quatre Europe permet-elle de rendre compte plus justement des réalités et des mutations géopolitiques à l’œuvre sur le continent ? Si l’Europe a progressé au cours de l’Histoire à travers les clivages entre Nord, Sud, Est et Ouest (I), cette polarisation, vectrice de fragmentations, percute dès lors de plein fouet le projet politique européen (II). Mais si l’identité de l’Europe est « sa diversité et sa complexité » (Edgar Morin), une telle classification apparaît en réalité bien plus simplificatrice qu’énonciatrice des réalités du terrain (III).
Plan
I/ L’Europe a progressé au cours de l’Histoire à travers les clivages entre Nord, Sud, Est et Ouest
A/ Géographiquement parlant, le continent européen est le théâtre de territoires disparates
Le climat européen est connu pour être assez différent en fonction de l’endroit où l’on se trouve. Si les hautes latitudes du Nord de l’Europe offrent un climat polaire, l’Ouest du continent est traversé par un climat océanique. Alors que l’Est et le Sud ont respectivement un climat continental et méditerranéen.
Le Sud de l’Europe est traversé par de très hauts massifs montagneux, comme les Alpes et les Pyrénées à l’Ouest, et le Caucase à l’Est. Au Nord, le continent européen est traversé par les Alpes scandinaves (Norvège, Suède et Finlande), tandis que la grande partie de l’Ouest de l’Europe est composée d’un vaste plateau central.
On peut également souligner la diversité culturelle et linguistique de l’Europe. L’Europe est l’héritière d’un clivage entre la chrétienté catholique et protestante à l’Ouest, et l’orthodoxie et l’islam à l’Est.
B/ Mais l’Histoire nous renseigne que l’Europe est également au cœur de logiques polarisantes Nord-Sud et Est-Ouest
L’Europe aura d’abord été ballottée entre des influences venant du Sud, puis du Nord. Si l’Empire romain marquera la domination du Sud sur le Nord et aura été une première tentative d’unifier le continent, cet Empire sera détruit par les Barbares germaniques venant du Nord.
Ces derniers prendront ensuite un ascendant sur le Sud, notamment technologique, grâce à l’invention de l’imprimerie et aux différentes révolutions industrielles, qu’ils conserveront par la suite. Plus tard, la dichotomie Est-Ouest s’exercera sur le terrain des régimes politiques, entre d’un côté les États-nations à l’Ouest, et de l’autre, les Empires à l’Est.
C/ Que la guerre froide a contribué à exacerber
La guerre froide, amorcée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, marquera l’apogée de la polarisation entre l’Est et l’Ouest. Le rideau de fer qui « s’étend de Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique », d’après le célèbre discours de Winston Churchill en 1946, scindera dès lors en deux le continent européen.
Les pays de l’Ouest de l’Europe, du « monde libre », à économie de marché, face aux pays de l’Est, communistes. Ces derniers ne connaîtront un réel développement qu’à la chute de l’URSS. Alors que les pays d’Europe de l’Ouest connaîtront une véritable croissance et une prospérité économique, à l’image de l’Allemagne et de la France.
L’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale (PECO), lors des élargissements de 2004 et de 2007, fait émerger un gradient de développement entre l’Est et l’Ouest de l’Europe. C’est que les pays de l’Est, marqués par le communisme, sont pour la plupart indépendants depuis peu et engagés dans des processus de transition démocratique et économique. Ces régions sont donc plus pauvres que les régions occidentales et requièrent, pour réduire le gradient de développement, des aides de l’Union européenne. Par exemple, le salaire mensuel moyen avoisine les 300 euros en Bulgarie, ce qui en fait de loin le « parent pauvre de l’Union européenne ».
II/ Cette polarisation, vectrice de fragmentations, percute dès lors de plein fouet le projet politique européen
A/ La crise de 2008 a précipité le passage d’un clivage Est-Ouest à un clivage Nord-Sud
La crise de 2008 et la gestion du budget européen qui suivra entérineront l’apparition d’un clivage entre le Nord et le Sud de l’Union européenne, entre les pays dits « frugaux », pays contributeurs nets attachés à la rigueur budgétaire et opposés à la communautarisation de la dette, et les pays du Sud, comme la Grèce, le Portugal ou Chypre, jugés laxistes (à la fin des années 1980, l’ex-chancelier allemand, Helmut Kohl, les avait qualifiés de pays du « club Med »), et qui bénéficieront des plans de relance de l’Union européenne.
Ce clivage existait déjà auparavant, mais était en réalité moins prégnant. Le refus de la monnaie unique par la Suède en 2003 ou du projet de Constitution européenne par les Pays-Bas en 2005 illustrait déjà une vision différente de la construction européenne. Ce qui témoignait ainsi pour ces pays d’un attachement important à la souveraineté ainsi que du refus de prendre part de manière intégrale à un projet politique supranational.
B/ Tandis que la crise migratoire a révélé la persistance de ces deux logiques
Les vagues de migrants que connaît le continent européen dès 2014 mettent en évidence un clivage entre l’Est et l’Ouest sur la question de la solidarité (les pays de l’Est, fraîchement souverains, sont eux plus réticents à l’idée d’accueillir des réfugiés). Mais également entre le Sud et le Nord de l’Europe, entre les pays riverains de la Méditerranée par où affluent les migrants, et les pays du Nord qui craignent d’être la destination des migrants.
Cette dichotomie entre l’Est et l’Ouest de l’Europe s’explique en partie par le poids des représentations. La crainte de l’islam dans les pays de l’Est tels que ceux du groupe de Visegrad peut s’expliquer par la domination de l’Empire ottoman sur ces territoires à un moment donné de leur histoire.
C/ Ces fragmentations du territoire européen sont d’autant plus fortes qu’elles sont alimentées par des acteurs endogènes et exogènes
La Russie apparaît comme le seul acteur endogène qui profite des fragmentations à l’œuvre sur le Vieux Continent. Vladimir Poutine considère « la chute de l’URSS comme la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle » et n’hésite pas à convoquer l’histoire pour rappeler les liens historiques entre la Russie et la majeure partie des pays de l’Est de l’Europe.
Ainsi, il justifie l’agression perpétrée contre l’Ukraine par des liens historiques entre Russes et Ukrainiens. Si la Serbie est également proche de la Russie, c’est en raison des racines slaves que partagent les deux pays. À tel point que la Serbie a signé en 2019 un accord de coopération avec l’Union économique eurasiatique, rendant dès lors caduque toute perspective d’adhésion à l’Union européenne.
Également, alors même que les États-Unis sont alliés de l’Europe, Zbigniew Brzezinski révèle dans son ouvrage Le Grand échiquier (1997) que les États-Unis ont tout intérêt à ce que l’Europe soit divisée, car cela favorise la vassalisation du continent à l’égard des États-Unis et la domination de ces derniers sur le monde. C’est suivant ce précepte que les Américains ont toujours soutenu, et continuent de soutenir, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Favorisant ainsi l’élargissement au détriment de l’intégration, qui aurait rendu l’Union européenne plus forte.
III/ Mais si, selon Edgar Morin, l’identité de l’Europe est « sa diversité et sa complexité », une telle classification apparaît en réalité bien plus simplificatrice qu’énonciatrice des réalités du terrain
A/ La construction européenne a permis d’unifier un ensemble géopolitique complexe
Adoptée en 2000, la devise de l’Union européenne, « Unie dans la diversité », rend dans un premier temps compte du projet politique européen qui, par définition, a souhaité échapper aux logiques clivantes pour fonder une communauté de destin. Dès le début du XXe siècle, Richard Coudenhove-Kalergi, homme politique d’origine austro-hongroise, prônait une union paneuropéenne, terreau du Conseil de l’Europe, qui sera lui fondé en 1949.
Si 27 pays appartiennent à l’Union européenne, cette dernière réalise également des projets qui mêlent des pays n’appartenant pas à l’Union, afin de dépasser la polarisation du continent. Dans cette perspective, l’initiative « Ciel unique européen » a été mise en place en 1999. Cette dernière vise à harmoniser les règles de transport aérien sur le continent. Et en 2015, l’Union énergétique a été créée avec pour objectif d’assurer l’indépendance énergétique du continent.
La guerre en Ukraine aura plus récemment mis en exergue la dépendance cruciale du continent à l’égard des hydrocarbures russes, obligeant l’émergence d’une solidarité de fait entre les différents États. Aujourd’hui, tous les pays d’Europe (hormis la Russie et la Biélorussie) sont favorables à une alliance avec les États-Unis. 31 pays d’Europe appartiennent à l’OTAN, et la classification Nord/Sud/Est/Ouest ne rend plus compte de la réalité géostratégique du continent.
B/ Le terme de relations « centre-périphérie » témoigne davantage des logiques à l’œuvre sur le continent
Aujourd’hui, l’Europe, au sens politique du terme, s’apparente davantage à un noyau dur autour duquel gravitent des pays qui souhaitent intégrer ce projet plutôt qu’à quatre ensembles disparates. Édouard Balladur parlait par exemple « d’Europe des cercles ». Plus de 10 pays sont aujourd’hui reconnus par Bruxelles comme candidats officiels à l’entrée dans l’Union européenne, qu’ils soient des Balkans ou de l’Est de l’Europe, dont les derniers en date sont la Bosnie-Herzégovine, la Moldavie et l’Ukraine. Ces deux derniers pays souhaitent ainsi se détourner du giron russe et se débarrasser de la domination de « pays de l’Est » qui leur est conférée.
Comme le disait déjà Mikhaïl Gorbatchev en 1989, l’Europe est de plus en plus une « maison commune », même s’il existe néanmoins une résurgence des nationalismes. Si l’Europe rhénane, considérée comme le centre de gravité du continent, est la région la plus riche d’Europe, la solidarité européenne permet d’importants échanges avec les pays en périphérie, à l’image des plans d’aides, mais également avec les pays en marge de l’Union européenne. Par exemple, le processus de Barcelone de 1995 (qui deviendra partenariat Euromed en 2005) et le Partenariat oriental de 2009 sont des initiatives dont l’objectif est de réduire les gradients de développement entre les différentes régions, afin de préparer à l’intégration européenne.
C/ « L’Europe se fera dans les crises et sera la somme des solutions apportées à ces crises », Jean Monnet
Malgré la réticence de certains pays à une mutualisation de la dette, la crise des subprimes de 2008 aura permis la consolidation d’une solidarité européenne, poursuivie lors de la pandémie de Covid, et la mutualisation du matériel de santé entre les pays européens.
C’est la guerre russe en Ukraine qui plus récemment aura donné encore plus de poids à la citation de Jean Monnet. Elle aura accéléré la volonté de nombreux pays d’Europe, de la Bosnie aux confins du Caucase, d’intégrer l’Union européenne, essentielle pour dépasser les fragmentations du Vieux Continent. Daniel Kelemen a théorisé le falling forward pour caractériser le fonctionnement de l’Europe, consistant à se servir des erreurs et des divisions passées comme tremplin pour avancer.
Conclusion
Ainsi, la division en quatre Europe est certes partiellement valable d’un point de vue culturel, mais ne rend pas totalement compte des équilibres géopolitiques du continent, qui apparaît plus uni que cela. Comme l’a déclaré Joe Biden en 2022 : « Vladimir Poutine voulait une finlandisation du continent. Au lieu de cela, il a eu une otanisation du continent. »
Cette division en quatre Europe pose en réalité la question de l’identité européenne, qui apparaît alors comme essentielle. Dans son ouvrage La Constitution de l’Europe, paru en 2011, Jürgen Habermas écrit : « Ou nous parvenons à forger une identité européenne, ou le Vieux Continent disparaît de la scène internationale. »
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