En 1946, à Zurich, Winston Churchill affirme : « Il nous faut créer quelque chose comme les États-Unis d’Europe. » Alors que le vieux continent est considérablement affaibli au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’union des États européens apparaît comme la seule solution pour que l’Europe connaisse enfin une paix pérenne et puisse retrouver son rang sur la scène internationale. Dans cet article, on te détaille les principales étapes ayant conduit à la naissance de la Communauté économique européenne en 1957.
Le Printemps de l’Europe (1945-1951)
Les premiers projets sous l’aile protectrice des États-Unis
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est complètement détruite. En 1947, la guerre froide qui oppose les États-Unis et l’URSS commence. Les États-Unis ont alors peur de l’avenir de l’Europe occidentale, en difficulté, qui pourrait potentiellement tomber dans le joug de l’URSS. Par conséquent, les Américains réagissent et proposent d’accorder une aide financière majeure destinée à la reconstruction des pays européens qui le souhaitent. C’est ce qu’on appelle le plan Marshall (1947). Pour répartir l’aide financière américaine de 16,5 milliards de dollars (l’équivalent de 175 milliards d’euros aujourd’hui), une première institution est fondée en 1948 : l’Organisation européenne de coopération économique (OECE). Celle-ci est renommée Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en 1961.
L’aide économique s’accompagne également d’une aide militaire. En 1948, le traité de Bruxelles est signé et les États-Unis garantissent la sécurité de plusieurs pays : France, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas et Royaume-Uni. Un an plus tard, cinq autres pays se joignent à cette protection américaine : le Canada, le Danemark, l’Islande, l’Italie et la Norvège. Les 12 pays signent un traité le 4 avril 1949, créant ainsi l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Les premiers rapprochements des pays européens après la Seconde Guerre mondiale se font donc sous l’égide des États-Unis.
Le Congrès de La Haye (1948)
En 1948, plusieurs Européens se réunissent à La Haye pour parler de l’avenir du continent européen. Le Congrès de La Haye prend place du 7 au 10 mai 1948 et réunit plus de 750 personnes issues du monde politique et intellectuel, sous la présidence d’honneur de Winston Churchill.
Denis de Rougemont, philosophe suisse présent à la conférence, déclare : « Jamais la guerre, la peur et la misère n’auront été mises en échec par un plus formidable adversaire. » On voit donc que ce Congrès met en lumière la volonté des Européens de construire un projet commun. On peut toutefois noter une opposition idéologique sur la forme du projet européen entre les Britanniques en faveur d’une simple union (Europe des nations) et les Français et Belges, plutôt favorables à une Europe communautaire et fédérale.
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Le Conseil de l’Europe (1949)
Dans le même temps, certains pays européens souhaitent défendre de manière pérenne les droits de l’homme. Le 5 mai 1949, 10 pays européens se réunissent à Londres (Belgique, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Suède et Royaume-Uni) pour signer le traité de Londres. Celui-ci institue le Conseil de l’Europe (qui réunit aujourd’hui 46 États européens), avec pour objectif de promouvoir la défense de la démocratie et des droits humains. Chaque État membre du Conseil de l’Europe s’engage à respecter la primauté du droit sur l’usage de la force à l’égard de ses citoyens.
Le Conseil de l’Europe est à l’origine de la création de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) en 1950. La CEDH permet la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Les désaccords sur la forme du projet européen persistent
Les deux pays moteurs de cette première étape de la construction européenne sont la France et le Royaume-Uni. Mais rapidement, les oppositions entre unionistes et fédéralistes se font de plus en plus ressentir.
Le Royaume-Uni, étant très attaché à sa souveraineté, préfère une simple union d’États, alors que la France est plutôt favorable à un projet européen qui unit les pays par un lien fédéral. La France finit par abandonner ses projets de construction européenne avec le Royaume-Uni et se tourne vers d’autres pays : la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Italie et l’Allemagne de l’Ouest (RFA).
Vers la création de la CECA (1950-1954)
Les pères de l’Europe et la stratégie des petits pas
Le cycle 1950-1954 marque un tournant fondamental dans la construction européenne, puisque la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) est fondée. C’est le résultat d’un travail de plusieurs hommes politiques européens, aujourd’hui connus sous le nom des « pères fondateurs de l’Europe ».
Les six pères fondateurs de l’Europe sont Jean Monnet (Français), Robert Schuman (Français), Alcide de Gasperi (Italien), Paul-Henri Spaak (Belge), Johan Willem Beyen (Néerlandais) et Konrad Adenauer (Allemand). Ceux-ci ont la volonté de créer une fédération d’États unis politiquement et économiquement. Ces hommes anticipent toutefois les potentielles réticences de l’opinion publique au sujet de la création trop rapide d’un projet politique commun. La stratégie des petits pas est alors adoptée : il s’agit de développer le projet européen étape par étape, en commençant par les projets d’ordre économique.
La création de la CECA (1951)
Le 9 mai 1950, Robert Schuman énonce un discours aujourd’hui ancré dans l’Histoire : le discours de l’horloge. À ses yeux, le projet européen ne va pas assez loin. Il propose alors la création d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier rendant, selon lui, « la guerre non seulement impensable, mais matériellement impossible ».
En 1951, la CECA est créée par la France, la RFA, la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. Cette communauté permet le transfert de souveraineté des six pays signataires pour une durée de 50 ans dans le domaine du charbon et de l’acier à une instance supranationale chargée d’assurer la croissance de la production et la libre circulation des produits concernés. La CECA se distingue également des autres organisations européennes par son caractère fédéral. Par ailleurs, plusieurs institutions sont créées (Haute Autorité, Assemblée commune, Conseil des ministres), qui serviront toutes de base aux institutions européennes actuelles.
À savoir : le 9 mai est aujourd’hui la Journée de l’Europe, en hommage au discours de l’horloge de Robert Schuman.
L’échec de la Communauté européenne de défense (1954)
En 1950, les troupes soviétiques sont à la frontière de la RFA. Mais il y a un problème : celle-ci est privée d’armée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et souhaite donc se réarmer. Les membres de l’OTAN sont favorables au réarmement allemand, à l’exception de la France et de la Belgique. René Pleven, ministre de la Défense nationale française, propose alors un plan, le « plan Pleven », visant à créer une armée européenne incluant des troupes allemandes. L’objectif est de permettre à la RFA de se réarmer, tout en encadrant sa future armée alors intégrée au sein d’une organisation commune.
Le plan Pleven sert de base à la création d’une Communauté européenne de défense (CED). Le projet de CED prévoit la création d’un état-major européen et d’une armée de défense commune. Le traité de la CED est signé par les États de la CECA le 27 mai 1952 : il faut alors le ratifier. La ratification se fait soit par référendum, soit à l’Assemblée. Mais la France semble extrêmement divisée sur ce sujet et l’Assemblée nationale ne ratifie pas le traité en 1954 (319 voix contre).
Les conséquences de l’échec de la CED sont multiples. Premièrement, la RFA se remilitarise tout de même (sous le contrôle de plusieurs institutions). De plus, la RFA est autorisée à rejoindre l’OTAN en 1955. Enfin, l’URSS fonde la Pacte de Varsovie la même année et y intègre la République démocratique d’Allemagne (RDA). On peut résumer cet échec par une citation de Robert Marjolin, ancien conseiller de Jean Monnet, qui affirme dans ses Mémoires que : « L’incapacité de l’Europe à s’unir résulte d’une décision prise implicitement par les Européens après la fin de la Seconde Guerre mondiale, celle de s’en remettre aux Américains pour leur défense. »
La création de la CEE (1955-1957)
L’échec de la CED ayant consacré l’abandon d’un projet d’union politique et d’harmonisation militaire, la seule option possible demeure la poursuite de l’association dans les domaines économiques et commerciaux.
Mais les pères fondateurs veulent aller plus loin et les discussions reprennent, aboutissant à la signature des traités de Rome en 1957.
La conférence de Messine (1955) et le rapport Spaak (1956)
Le Conseil des ministres des Affaires étrangères des membres de la CECA se réunit en Italie, à Messine, en juin 1955. L’objectif de cette rencontre est de relancer le projet européen après l’échec de la CED. Après de longues discussions, la « résolution de Messine » est adoptée et est retenu l’élément suivant : « Les gouvernements croient le moment venu de franchir une nouvelle étape dans la voie de la construction européenne. »
Mais plusieurs questions restent en suspens et divisent les membres de la CECA. Un comité intergouvernemental présidé par Paul-Henri Spaak est alors créé en juillet 1955. Un an plus tard, le rapport Spaak est remis aux gouvernements et insiste sur un point : les pays européens se doivent de s’unir pour conserver leur rang sur la scène internationale. Le rapport Spaak propose alors deux pistes : créer un marché commun et créer une Communauté européenne de l’énergie atomique. Le rapport Spaak sert clairement de base aux négociations qui aboutiront finalement à la signature des traités de Rome en 1957.
Les traités de Rome (1957)
Le 25 mars 1957, deux traités sont signés à Rome entre les six membres fondateurs de la CECA. Ces deux traités entrent en vigueur en janvier 1958.
Le premier traité permet de fonder la Communauté économique européenne (CEE). La CEE a pour mission de stimuler l’activité économique des États membres tout en rapprochant leurs économies. Pour ce faire, un marché commun doit être créé. Plusieurs institutions accompagnent la CEE (s’inspirant de celles de la CECA) : la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil des ministres. La CEE s’est ensuite élargie en accueillant de nouveaux membres (on en compte aujourd’hui 27), puis approfondie en devenant l’Union européenne en 1993.
Le deuxième traité concerne la création de la Communauté Euratom. C’est un organisme public européen chargé de coordonner les programmes de recherche sur l’énergie nucléaire. Il vise notamment la formation et la croissance rapide des industries nucléaires des États membres.
Ces deux traités de Rome apparaissent comme une avancée majeure dans la construction européenne.
Un succès retentissant
La CEE rencontre rapidement un succès économique majeur. Entre 1958 et 1970, le commerce intracommunautaire (entre les États membres de la CEE) est multiplié par neuf. Les échanges entre les États membres de la CEE et les pays non membres sont multipliés par trois. Pendant ces 12 années, en particulier marquées par la période des Trente Glorieuses, les six pays fondateurs de la CEE connaissent un taux de croissance moyen de 5,3 % (2,8 % au Royaume-Uni et 3,5 % aux États-Unis). La CEE fonctionne donc très bien.
En parallèle, le Royaume-Uni avait choisi la coopération économique sans vouloir aller plus loin (et avait donc délaissé les projets de CEE). En 1960, le Royaume-Uni, l’Autriche, le Danemark, la Norvège, le Portugal, la Suède et la Suisse fondent l’Association européenne de libre-échange (AELE). Mais cette association ne rencontre pas le même succès que la CEE. Par conséquent, le Royaume-Uni, poussé par son pragmatisme économique, dépose sa candidature d’adhésion à la CEE dès 1961. Le Royaume-Uni rejoint officiellement la CEE en 1973.
C’est la fin de cet article et j’espère qu’il t’a permis de bien comprendre les étapes majeures de la construction européenne, qui sont à maîtriser dans l’optique des concours. Tu peux retrouver ici toutes nos ressources en géopolitique.