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Ce sont plus d’un million de personnes qui manifestent depuis vendredi 19 janvier, en réaction à la montée en force électorale de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le parti d’extrême droite allemand. À quelques mois des élections européennes et régionales dans l’est du pays, l’AfD entend imposer ses convictions, notamment concernant l’immigration et la place de l’Allemagne au sein de l’Union européenne. Revenons en détail sur les positions politiques de l’AfD et sur les facteurs ayant déclenché de telles manifestations.

Qu’est-ce que l’AfD ?

De sa création à sa montée en puissance 

Fondée en 2013, l’Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland) est d’abord un parti libéral et eurosceptique, surtout anti-euro. Il se caractérise par ses attaques contre l’Union européenne.

C’est un parti d’extrême droite. Il est devenu aujourd’hui la deuxième force politique du pays, avec 22 % des intentions de vote, et plus de 30 % dans les Länder de l’est de l’Allemagne, en ex-RDA. Cela place le parti juste derrière les conservateurs et devant le Parti social-démocrate de l’actuel chancelier allemand Olaf Scholz.

Pourquoi le parti est-il si populaire en ex-RDA ? 

On pourrait voir trois raisons à cela :

  • Tout d’abord, l’Allemagne de l’Est a été sous le joug soviétique pendant près d’un demi-siècle, privée de l’expérience de la démocratie libérale et habituée à un régime politique autoritaire et répressif.
  • Deuxièmement, le passage à la démocratie a été douloureux pour la population est-allemande. Contrairement à l’Europe occidentale, où l’avènement de la démocratie au XXe siècle s’est accompagné de l’État-providence et d’une croissance économique spectaculaire, le changement politique dans l’est de l’Allemagne s’est produit en même temps qu’une grave crise socioéconomique. 
  • Finalement, la région est beaucoup plus pauvre que le reste de l’Allemagne, ce qui la rend particulièrement vulnérable à l’inflation croissante de ces derniers mois. Ces conditions socioéconomiques difficiles ont un impact positif sur le soutien à l’extrême droite.

Le parti entend donc de plus en plus imposer ses convictions lors des prochaines élections. D’abord pour les Européennes, en juin 2024, et ensuite lors des législatives en 2025.

L’AfD constitue une force significative au Parlement européen

Le parti compte aujourd’hui neuf eurodéputés au sein du groupe Identité et Démocratie (ID, le groupe d’extrême droite du Parlement). Il espère en obtenir une vingtaine, compte tenu de sa cote de popularité dans les récents sondages d’opinion. C’est Maximilian Krah, membre sortant du Parlement européen, qui a été élu pour mener la campagne électorale de l’AfD aux élections européennes en 2024.

D’autre part, les prochaines élections législatives allemandes auront lieu en 2025 et l’AfD y présentera, pour la première fois, un ou une candidate à la chancellerie.

Une ligne politique « anti-immigration » 

Le principal objectif affiché par l’AfD est en effet de stopper l’immigration. Le parti est fermement opposé aux politiques migratoires et d’accueil des réfugiés de la chancelière Angela Merkel. Dans le cadre de ces dernières, plus de 1,5 million de personnes sont arrivées dans le pays pour déposer une demande d’asile depuis 2015.

L’argument principal de l’AfD pour une fermeture des frontières est souvent une supposée menace à l’identité nationale allemande. Le parti affirme que la politique migratoire de l’Europe est « un danger pour la civilisation européenne ».

Un parti climatosceptique 

Le parti d’extrême droite allemand qualifie d’hystérie la politique climatique européenne, et ses membres alertent sur ce qu’ils appellent le « délire écolo ».

L’AfD travaille à une désinformation active sur le changement climatique et prône la poursuite de l’exploitation du charbon ainsi que de l’utilisation du diesel. Ainsi, l’AfD a affirmé que le climat était le « troisième thème majeur » du parti, après l’euro et la crise des réfugiés.

Le Brexit : un « modèle » pour l’AfD

S’inspirant du Brexit, la codirigeante de l’AfD, Alice Weidel, a annoncé, lundi 22 janvier, vouloir organiser un référendum sur une sortie de l’Allemagne de l’Union européenne, un “Dexit”, si le parti parvient au pouvoir.

Pour eux, « cette Union doit mourir pour que la véritable Europe puisse vivre ». Le parti d’extrême droite allemand estime en effet que l’Union européenne est « un projet en faillite », irréformable et qui nécessite une transformation radicale, alors que la classe politique allemande est unanimement pro-européenne. En effet, selon le dernier eurobaromètre, seuls 18 % des Allemands ont une image négative de l’Union européenne.

L’euroscepticisme de l’AfD est aussi marqué par son rejet de l’euro et son aspiration à un retour au mark.

Pourquoi ces manifestations ont-elles éclaté ?

Le mouvement a été déclenché après la révélation début janvier, par la presse, d’une réunion secrète à Potsdam entre les élus de l’AfD, où un projet d’expulsion de personnes d’origine étrangères a été discuté. Des membres de l’AfD, du parti chrétien-démocrate CDU, d’une organisation ultraconservatrice, ainsi que des représentants de la mouvance identitaire y ont débattu les détails de ce projet de « remigration » vers un « État modèle » en Afrique du Nord, qui pourrait concerner près de deux millions de personnes.

La ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, a estimé que cette réunion rappelait « l’horrible conférence de Wannsee », où les nazis planifièrent en 1942 l’extermination des juifs européens.

Si l’AfD a confirmé la présence de ses membres à la réunion, il a en revanche nié adhérer au projet de « remigration » porté par l’Autrichien Martin Sellner.

Les 20 et 21 janvier, des manifestations contre l’AfD ont été organisées dans plusieurs villes allemandes : Berlin, Munich, Francfort, Bonn ou encore Cologne. Plus de 1,4 million de personnes ont manifesté contre le parti d’extrême droite et son idéologie radicale.

Un débat autour de l’interdiction de l’AfD

Le tollé suscité par la révélation du projet porté par Sellner a rouvert le débat d’une éventuelle interdiction constitutionnelle du parti AfD en Allemagne.

Une étude de l’Institut allemand des droits de l’homme analysant la possibilité d’interdire l’AfD a fait beaucoup bruit. L’étude affirme que le parti d’extrême droit représente désormais un tel danger pour l’ordre démocratique du pays que « le parti pourrait être interdit par la Cour constitutionnelle fédérale ».

La Cour constitutionnelle allemande ayant interdit, en début de semaine, au parti La Patrie (ex-NPD) de toucher des aides de l’État, en raison de ses positions politiques, certains estiment que des mesures identiques pourraient s’appliquer à l’AfD.

L’interdiction de l’AfD a néanmoins déjà été envisagée. En effet, l’année dernière, un tribunal allemand a jugé que le parti d’extrême droite constituait une menace pour la démocratie. Ce qui lui a valu d’être désormais surveillé par les services de sécurité du pays.

Et actuellement, près de la moitié de la population allemande se dit favorable à l’interdiction de l’AfD.

Mais il convient de se demander si le fait d’interdire un parti politique, que ce soit ici le parti extrémiste, ou un parti politique en général, est moralement réalisable, et si cela ne va pas justement à l’encontre de l’idée de démocratie.

Conclusion

Dans le contexte actuel, l’ascension de l’extrême droite en Allemagne ne peut pas être perçue uniquement comme une résurgence d’idéologies propres à ce pays, malgré sa relation historique complexe avec ce mouvement. C’est plutôt un phénomène qui s’étend à travers toute l’Europe, comme on peut le constater en France, en Pologne, en passant par l’Italie et l’Espagne.

Cet article a été rédigé par Marine Bach, en collaboration avec Call’ONU, l’association de géopolitique de l’ESCP.