Découvrez l’analyse du sujet de culture générale HEC 2017 :
Résumé de la réflexion : comme presque chaque année pour HEC, l’énoncé n’est pas une question, de telle sorte que la problématisation est l’enjeu crucial de l’épreuve. S’il ne comporte aucun terme compliqué (pas d’enjeu de définition), le sujet est, de mon point de vue, très difficile pour deux raisons : 1° il est excessivement précis par rapport au thème, car il se concentre exclusivement sur le rapport de l’oral et de l’écrit ; 2° il recèle un piège : le candidat peut être tenté d’y réfléchir dans l’absolu, en mettant son pragmatisme au placard, ce qui risque alors de le conduire par exemple à se lancer dans des considérations sur l’interprétation littéraire (des réflexions sur la philologie).
En effet, « faire parler » quelqu’un (un accusé, par exemple), c’est le pousser à dire ce qu’il ne veut ou ne semble pas pouvoir dire. Or, cette piste est beaucoup trop compliquée pour être empruntée de manière efficace (de surcroît, en quatre heures) par un élève qui a raisonnablement travaillé le thème de culture générale au cours de l’année. Il fallait donc plutôt anticiper que beaucoup d’élèves allaient tomber dans le panneau, et commencer par se demander, comme Kant, « Que puis-je espérer ? ». Dans cette configuration, il faut être extrêmement pragmatique et partir de ses armes.
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Par exemple, étant donné que même la parole écrite est probablement un sous-thème trop précis pour la majorité des élèves sérieux, il était opportun de s’appuyer sur l’imprécision de la métaphore pour élargir le traitement du sujet. « Faire parler le texte », cela peut être l’interpréter, le relire pour mieux le comprendre, le déclamer, le rendre vivant, lui donner un style parlé, privilégier, lorsque l’on écrit, le discours direct au discours indirect, etc.
En termes de problématisation, il fallait focaliser l’expression sur l’opposition entre l’oral et l’écrit en prenant pour point de départ de la réflexion le fait que, dans l’usage courant de l’expression, on « fait parler » une personne douée de la parole – en vertu de quoi la métaphore semble inappropriée pour décrire un phénomène réel.
Problématique : dans quelle mesure l’usage d’un texte pourrait-il recourir à une forme de parole (orale) issue du texte lui-même ?
I/ Si la parole au sens strict semble de prime abord impropre à décrire l’usage d’un texte…
- La parole est anthropologiquement antérieure à l’écriture (Discours sur l’origine de l’inégalité, Rousseau) : le fameux « cri de la nature» de Rousseau montre que la parole serait même à l’origine de la capacité à conceptualiser qui rend possible l’écriture.
- La parole est une faculté naturelle en apparence inapplicable à la lecture, qui est elle une faculté artificielle (De la nature, Lucrèce) : la démonstration de Lucrèce consiste à montrer, notamment par l’analyse des organes, que la parole n’est pas le fruit de conventions, contrairement à l’écriture.
- Un texte est dépourvu de toute dimension non verbale (La synergologie, Philippe Turchet) : une grande partie (la grande majorité, disent les synergologues) de ce que véhicule la parole orale avec la présence physique (regard, posture, mouvement des mains, etc.) est forcément totalement absente d’un texte. De ce point de vue, il est impossible de « faire parler» un texte.
II/ …il apparaît cependant qu’elle possède un rôle fondateur à l’égard de la parole écrite…
- L’écriture est l’enregistrement de la parole orale : Bouddha, Socrate et Jésus n’auraient par exemple jamais pu diffuser leur enseignement – qui était uniquement oral – s’ils n’avaient pas eu des disciples les consignant à l’écrit pour les conserver. Dans cette perspective, « faire parler le texte» pourrait vouloir dire retrouver la dimension que le message avait à l’oral, étant donné que c’est à ce medium qu’il est adapté.
- La parole orale semble bien être à l’origine de la parole écrite (La vie de Céline, Frédéric Vitoux) : le biographe de Louis-Ferdinand Céline (souvent considéré comme le plus grand écrivain du XXe siècle) explique comment il a réussi à revivifier le français écrit en lui inoculant des doses de français parlé, en s’inspirant de l’argot, en mélangeant les registres soutenu et vulgaire, etc. Dans un certain sens, l’écrivain a fait évoluer le français en faisant parler ses textes.
- L’écriture peut être conçue comme une forme de parole intérieure méditative (Contre Sainte-Beuve, Marcel Proust) : pour écrire, l’écrivain a besoin de se parler à lui-même en toute sincérité, et c’est à ce prix qu’il parviendra à transcender sa subjectivité. Dès lors, « faire parler le texte» pourrait signifier tenter de retrouver la parole intérieure qui en serait à l’origine.
III/ … c’est pourquoi elle rend tout de même possible des usages de la parole écrite qui révèlent une forme d’oralité au sein même du texte.
- La poésie semble la plus à même de garantir qu’il soit possible de « faire parler» un texte (Romances sans parole, Verlaine) : en donnant à ses vers une dimension musicale, en les façonnant précisément dans la perspective de leur déclamation, le poète permet au lecteur de « faire parler » le texte.
- « Faire parler un texte » est peut-être aussi possible par l’éloquence (Vie de Démosthène, Plutarque) : refusant de parler sans avoir appris son discours, le grand orateur de l’Antiquité Démosthène s’entraînait intensivement pour libérer avec le plus de puissance possible le potentiel de conviction de son support écrit. Son exemple laisse entendre que c’est la maîtrise de la parole qui permet de « faire parler un texte ».
- La parole performative peut également, dans une certaine mesure, donner à un texte la capacité de parler lui-même (Quand dire c’est faire, John Austin) : comme la dimension performative se fixe à l’écrit, la personne qui lit simplement le texte (un acte juridique, notamment) le fait parler dans le sens où elle en libère la performativité, contenue en puissance à l’écrit dans une perspective orale.
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Par Romain Treffel, fondateur du site 1000 idées de culture générale : http://1000-idees-de-culture-generale.fr/
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