Union européenne

Dans cet article au format colle, je te propose d’étudier le sujet : « Qui décide dans l’Union européenne ? » C’est un sujet qui peut paraître difficile à la première lecture. On ne sait pas vraiment d’où partir et on pourrait se dire que l’on manque de connaissances pour le traiter. Mais quand on l’analyse bien et que l’on creuse le sens de « décider », il est en fait assez classique. Il demande bien sûr d’avoir une réflexion sur le processus de décision au sein de l’Union européenne (UE), mais il ne faut pas se cantonner aux seules institutions européennes.

Il faut aller voir plus loin. En effet, le processus de décision dans l’Union européenne est inhérent aux institutions européennes, mais il peut aussi découler des membres de l’UE (France, Allemagne par exemple), voire des acteurs hors UE (des individus comme J. Delors, des acteurs extérieurs comme les États-Unis ou la Russie, ou des entreprises et ONG). C’est aussi un bon sujet d’actualité, les élections européennes s’étant déroulées du 6 au 9 juin 2024.

Introduction : quelques concepts 

« L’Europe, quel numéro de téléphone ? » Par ces mots, H. Kissinger critiquait, en 1970, le manque de cohésion et de visibilité de l’Union européenne sur la scène internationale. Mais cette question peut aussi faire référence à la difficulté d’identifier les lignes claires de l’organisation complexe qu’est l’UE, et donc de la personne (physique ou morale) qui exactement serait en charge de prendre de telles décisions.

Le système institutionnel de l’Union européenne est souvent perçu comme un objet juridique extrêmement complexe, qui ressemble peu aux modèles classiques des États démocratiques modernes ou des organisations internationales telles que l’ONU. C’est l’idée que défend Jacques Delors lorsqu’il qualifie l’UE d’opni, un objet politique non identifié, où elle serait un organisme politique sans aucun équivalent.

Il convient aussi de rappeler l’existence de plusieurs types de législation. On parle aussi de règlements, de directives, de recommandations, d’avis, ou encore de mesures normatives. L’Union européenne adopte différents types d’actes législatifs, qui visent à remplir les objectifs fixés dans les traités européens. Tous ne sont pas contraignants, et certains s’appliquent à tous les pays de l’UE, d’autres uniquement à quelques-uns.

Mais qui décide dans l’UE ? Cette question est tout de suite ambiguë puisque, à part les institutions européennes (telles que le Conseil, le Parlement ou la Commission), personne ne peut réellement « décider ». Néanmoins, d’autres acteurs peuvent avoir un « pouvoir décisionnel » comme les membres de l’Union européenne, les acteurs extérieurs ou encore les ONG.

Quels sont les acteurs ayant un pouvoir décisionnel au sein de l’Union européenne ?

I – Du point de vue institutionnel : un processus de décision multiforme qui favorise le Conseil européen

Quand on se demande qui décide dans l’Union européenne, on pense tout de suite aux institutions européennes les plus connues, comme le Parlement ou le Conseil européen. 

A) Qui prend les décisions ? 

Une prise de décision au niveau de l’Union européenne fait intervenir plusieurs institutions européennes, et plus particulièrement :

  • le Parlement européen, qui représente les citoyens de l’UE ;
  • le Conseil européen, qui est composé des chefs de gouvernement des États membres de l’UE, et qui définit les grandes orientations de l’UE et indique la position des États au plus haut niveau ;
  • le Conseil, qui représente les gouvernements des États membres de l’UE ;
  • la Commission européenne, qui représente les intérêts de l’UE dans son ensemble.

B) Le Conseil européen, un pôle de décision essentiel pour l’Union européenne

C’est le Conseil européen qui définit la direction politique générale et les grandes priorités de l’Union européenne (orientations et impulsions politiques), mais il n’exerce aucune fonction législative. Les orientations sont traduites vers la Commission européenne, laquelle est chargée d’élaborer les textes. La Commission européenne collabore donc avec le Conseil pour aboutir à un compromis global. Quand la Commission a décidé, les textes doivent être approuvés par le Parlement européen.

Dans la plupart des cas, le Conseil européen prend des décisions conjointement avec le Parlement européen selon la procédure législative ordinaire, également appelée « codécision ». Il y a donc un véritable processus de codécision, mais rien ne se fait sans l’aval préalable du Conseil européen.

C) Quels sont les différents types de législation ?

Il existe plusieurs types d’actes législatifs, qui ne s’appliquent pas tous de la même manière.

  • Un règlement : directement applicable et juridiquement contraignant dans tous les États membres.
  • Une directive : lie les États membres, ou un groupe d’États membres, pour la concrétisation d’un objectif, elle fixe le résultat à atteindre tout en laissant à chacun des États membres le choix des moyens pour y parvenir.
  • Une décision : elle a pour destinataires des États membres, des groupes de personnes, voire des particuliers. Elle est obligatoire dans tous ses éléments.
  • Les recommandations et avis : ils n’ont pas d’effet contraignant.

II – Du point de vue de la géopolitique interne : une question de rapport de force entre pays européens

Les États et leurs administrations interviennent également dans la prise de décision européenne, et ce, sur la base de leur poids au sein de l’Union. Les rapports de force entre les pays membres de l’UE influencent la prise de décision au sein de l’Union européenne, puisque chaque État membre a ses propres intérêts, priorités et préoccupations, ce qui peut conduire à des négociations et à des compromis.

A) Le facteur démographique, un facteur déterminant dans la prise de décision 

Il est clair que les pays avec des populations plus importantes ont plus de poids politique dans les décisions de l’UE, en raison de leur capacité à mobiliser un plus grand nombre de voix au sein des institutions européennes, notamment au Parlement européen. 

L’exemple de l’Allemagne

  • L’Allemagne est le pays le plus peuplé de l’Union européenne.
  • Cette taille de population lui confère une influence significative dans les discussions et les négociations.
  • Elle dispose d’un nombre important de représentants au Parlement européen, où les députés sont élus en fonction de la population de chaque État membre. Ce qui lui permet de faire valoir ses intérêts et de peser dans les décisions prises au niveau européen.
  • Par exemple, dans les négociations sur le budget de l’UE ou sur des questions économiques importantes, l’Allemagne joue un rôle central en raison de sa capacité à mobiliser un soutien politique à l’échelle européenne.

B) S’adapter à la majorité : nombre de pays contre nombre de pays 

Dans le processus de prise de décision au sein de l’Union européenne, il est possible que des coalitions se forment sur une question donnée. Cette situation peut refléter des divergences d’intérêts ou de priorités entre les États membres et peut influencer les décisions de l’UE.

Imaginons une proposition de politique migratoire au sein du Conseil de l’Union européenne.

  • Certains pays côtiers, comme l’Italie, la Grèce et l’Espagne, peuvent soutenir une approche plus solidaire et équitable en matière de répartition des demandeurs d’asile entre les États membres de l’UE, en raison de leur exposition directe aux flux migratoires.
  • D’autres pays, tels que l’Autriche, la Hongrie et la Pologne, peuvent adopter une position plus restrictive, mettant en avant des préoccupations liées à la souveraineté nationale, à la sécurité ou à la capacité d’intégration.

C) Le poids du couple franco-allemand 

La France et l’Allemagne ont un poids très important dans la définition des politiques européennes, du fait de leur histoire commune, mais aussi pour des raisons démographiques, économiques et géopolitiques.

Dans les années 1960, c’est la France qui possédait un pouvoir décisionnel important, car elle avait  beaucoup de légitimité. Mais dans les années 1980, le rapport de force s’est inversé au bénéfice de l’Allemagne. En effet, c’est elle qui a donné l’impulsion des politiques économiques, notamment les critères de Maastricht.

  • L’Allemagne et la France sont respectivement les première et deuxième économies de l’Union européenne.
  • Alors que l’Allemagne est aujourd’hui leader en la matière, la France reste le pays moteur de l’Union concernant la diplomatie et la défense.
  • Ces deux pays possèdent également le plus grand nombre de députés au Parlement européen (96 pour l’Allemagne et 79 pour la France, sur un total de 705).

III – Du point de vue non institutionnel : les acteurs hors Union européenne

A) Les personnalités qui peuvent avoir une certaine « aura »

En tant que président de la Commission européenne, Jacques Delors a joué un rôle clé dans la promotion de politiques et d’initiatives importantes, telles que l’Acte unique européen et la création du marché unique. Son autorité morale et son expérience ont fait de lui une voix respectée dans les cercles européens et nationaux, lui permettant d’exercer une influence indirecte sur les politiques et les orientations de l’Union européenne.

La création du poste de Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, par le traité de Lisbonne (2007), avait pour objectif principal de rendre plus cohérente l’action de l’Union européenne sur la scène internationale. Elle a été perçue comme une réponse aux mots de Henry Kissinger : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? » En effet, avec ce poste, la politique étrangère de l’Europe est désormais incarnée par une seule personne : aujourd’hui, c’est Josep Borrell qui a ce rôle.

On peut citer ici d’autres personnalités :

  • Thierry Breton : commissaire européen au marché intérieur
  • Angela Merkel : ancienne chancelière allemande
  • Ursula von der Leyen : présidente de la Commission européenne
  • Mario Draghi : ancien président de la Banque centrale européenne
  • Margrethe Vestager : commissaire européenne à la Concurrence
  • Guy Verhofstadt : ancien Premier ministre belge et actuel membre du Parlement européen

Et bien d’autres …

B) Les acteurs extérieurs à l’Union européenne

  • Les États-Unis : les décisions des États-Unis en matière de tarifs douaniers, de sanctions économiques et de négociations commerciales peuvent avoir des répercussions sur les politiques commerciales de l’UE. Aussi, les priorités de sécurité des États-Unis et leurs engagements militaires dans des régions du monde telles que le Moyen-Orient et l’Asie-Pacifique peuvent influencer les décisions européennes en matière de politique étrangère et de défense.
  • Le Canada : l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA) a suscité un débat intense au sein de l’UE sur des questions telles que la protection de l’environnement, les droits des travailleurs et les investissements étrangers.
  • La Russie : influence sur l’UE, principalement dans des domaines tels que l’énergie (approvisionnements en gaz naturel) et la sécurité régionale (conflits en Ukraine et en Géorgie). La pression de la Russie contre l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale à l’UE dans les années 2000 en est un exemple.
  • La Chine : les politiques commerciales chinoises (pratiques commerciales déloyales ou violations présumées des droits de propriété intellectuelle) et les risques potentiels liés à la dépendance vis-à-vis des technologies chinoises ont des répercussions sur les décisions commerciales et réglementaires de l’UE.

C) Les entreprises lobbyistes et les ONG

C’est le premier élargissement de la CEE au Royaume-Uni, en 1973, qui marque l’entrée en scène du lobbying à Bruxelles, cette pratique étant assez développée dans les pays anglo-saxons. Venu des États-Unis, le lobbying fait depuis longtemps partie du processus d’élaboration des lois en Europe.

Selon les évaluations de la Commission européenne, plus de 10 000 lobbyistes travaillent à Bruxelles pour 3 000 groupes d’intérêt enregistrés. Les groupes de pression et les lobbyistes représentant une variété d’intérêts, tels que les entreprises, les groupes d’intérêt, les ONG, les syndicats, etc., jouent un rôle important dans le processus décisionnel de l’Union européenne. Ils cherchent à influencer les politiques et les réglementations de l’UE en faisant pression sur les institutions européennes et en participant aux consultations publiques.

Conclusion

Ainsi, le processus décisionnel au sein de l’Union européenne est multiforme et fait intervenir de nombreux acteurs, qu’ils soient institutionnels, étatiques ou non institutionnels.

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