Les élections salvadoriennes du 4 février ont sans surprise conduit Nayib Bukele au pouvoir pour un second mandat, non sans enfreindre la Constitution. En effet, cette dernière interdit dans six articles distincts la réélection. Le Président sortant du Salvador a largement gagné les élections, avec plus de 85 % des voix. Son parti, Nuevas ideas, a remporté au moins 58 des 60 sièges à l’Assemblée. Ce qui constitue selon lui « un record dans toute l’histoire démocratique du monde entier ».
Comment en arrive-t-on à considérer que la seule façon d’arranger les choses est de donner au Président un pouvoir illimité ? À partir de quel moment les promesses d’une démocratie n’ont plus d’importance ?
Qui est Nayib Bukele ?
Élu pour la première fois sur un programme populiste en 2019, Nayib Bukele se donnait pour mission de s’attaquer à la double malédiction de la violence des gangs criminels et de la misère.
Nayib Bukele, ou le « roi philosophe », aime se décrire comme « le dictateur le plus cool du monde ».
Élu le Président le plus populaire d’Amérique latine, il devient un exemple, une inspiration, voire une référence pour ses voisins. Si bien que Xiomara Castro (Honduras) et Daniel Noboa (Équateur) ont évoqué la « méthode Bukele » comme modèle à suivre. Dina Boluarte a aussi dit vouloir appliquer le « modèle Bukele » pour lutter contre la criminalité patente sur son territoire péruvien. Certains en viennent même à parler de « bukélisation » pour définir l’extension de cette politique autoritaire sur le sous-continent latino-américain.
Le rejet de la politique traditionnelle
Néanmoins, selon certains experts, Nayib Bukele est l’expression du rejet de la politique traditionnelle. Il est complètement éloigné de la société, de ses demandes et de ses besoins, et obnubilé par sa politique dictatoriale. Il a remis en cause le principe de séparation des pouvoirs. Il détient un contrôle total des trois pouvoirs publics et gouverne avec un régime policier imposé par décret législatif. Ainsi, plusieurs gouvernements et ONG se sont naturellement opposés à son régime et ont sanctionné son gouvernement.
Les États-Unis ont, par exemple, condamné l’arrêt de la Cour suprême du Salvador du 3 septembre, qui autorisait le Président Nayib Bukele à se représenter en 2024, considérant qu’il contrevenait à la Constitution du pays. Mais en vain, rien ne peut le freiner. Il a bien été réélu en violant la Constitution, laquelle établit qu’une réélection immédiate n’est pas autorisée. Cet affaiblissement de l’indépendance du pouvoir judiciaire est le signe d’une démocratie en déclin au Salvador.
Ses récentes déclarations à l’Assemblée générale des Nations unies, selon lesquelles « le débat est clos » et « les décisions que nous avons prises étaient correctes », montrent clairement que son administration n’a pas l’intention de mettre fin à ces abus.
Mais qu’a-t-il fait pour être aussi idolâtré par son peuple, alors qu’il mène une politique dictatoriale répressive ?
Bilan de quatre ans de bukélisme : la sécurité au prix de la démocratie
Quand il a pris ses fonctions, le taux d’homicides au Salvador était l’un des plus élevés d’Amérique latine, les droits des femmes étaient gravement menacés (la législation antiavortement étant l’une des plus strictes au monde) et les victimes du conflit armé attendaient toujours justice et réparation, près de 30 ans après la signature des Accords de paix.
Accusé de transformer son pays en état prison, Nayib Bukele s’est construit une popularité en menant une guerre intense contre les gangs, notamment celui des Maras, le plus prolifique d’Amérique latine. L’objectif fondamental de Bukele étant de réduire la criminalité, il a utilisé tous les moyens nécessaires pour arriver à ses fins. Ayant commencé par des négociations pacifiques, il a fini par en arriver à la répression pour combattre les violences endémiques. Un sacré paradoxe. Ainsi, en l’espace de quelques mois, la capitale, qui était réputée comme l’une des plus dangereuses du monde, est devenue l’une des plus sûres. La politique de Nayib Bukele a en effet fait chuter de 70 % le nombre d’homicides dans le pays. Mais à quel prix ?
L’état d’urgence
L’état d’urgence, permettant des arrestations sans mandat et le déploiement de l’armée dans les rues, a été prolongé dix fois depuis 2019. Cela a permis d’envoyer derrière les barreaux quelque 75 000 personnes, soit près de 1 % de la population totale du pays. Le Salvador compte déjà plus de 170 morts suite aux mesures répressives appliquées par le gouvernement. Assauts contre les Maras, répressions brutales, fusillades, enlèvements, tortures… tous les moyens ont été utilisés. Le « Président millenium » a ainsi fait construire la plus grande prison du monde : le CECOT, Centre de confinement du terrorisme, pouvant accueillir 40 000 détenus.
La lutte contre la criminalité s’est ainsi faite au détriment de la démocratie. Une « méthode Bukele » qui a ses failles et s’effondrera sûrement, puisque, selon Marta Lagos, directrice de l’ONG Latinobarometro, « les attentes de la population vont au-delà de la sécurité ».
Nouveau mandat : les prémices d’une crise sociale et économique
En effet, pour certains, son deuxième mandat sera beaucoup plus problématique, car les attentes du peuple ne seront pas satisfaites aussi bien sur le plan économique que social. Il pourrait y avoir de la déception, et Bukele pourrait alors perdre son élan de popularité.
Situation économique
Bien que la situation sécuritaire se soit améliorée, l’économie reste mal en point, avec une dette publique d’environ 80 % du PIB et un pays incapable d’attirer des investissements.
Pour tenter de revitaliser l’économie dollarisée, en 2021, Bukele a fait du bitcoin une monnaie officielle. Et ce, malgré les avertissements sur l’extrême volatilité de la cryptomonnaie par le FMI et la Banque mondiale qui demandent son retrait. Ce projet est aujourd’hui considéré comme un véritable échec.
Situation sociale
Des secteurs comme la santé ou l’éducation restent peu pris en compte par l’actuel Président. Près de 30 % des Salvadoriens vivent dans la pauvreté et près d’un sur dix dans l’extrême pauvreté, selon les chiffres 2022 de la Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC). Plus de 70 % des emplois se situent dans le secteur informel, symbole d’une précarité étatique.
Cet article a été rédigé par Marine Bach, en collaboration avec Call’ONU, l’association de géopolitique de l’ESCP.