En 2015, la compagnie pétrolière américaine ExxonMobil annonçait la découverte d’importantes réserves de pétrole au bord des côtes guyaniennes. Ces découvertes sont porteuses d’espoir, car elles pourraient faciliter le développement économique d’un pays resté parmi les plus pauvres d’Amérique du Sud. Or, pour l’instant, ces découvertes n’ont fait que susciter l’intérêt de son voisin vénézuélien en ravivant un conflit historique. Le Guyana s’inquiète aujourd’hui des conséquences que pourrait avoir cet or noir sur son intégrité territoriale.
Un ancien conflit
Pour mieux comprendre ce conflit, analysons d’abord l’histoire.
Le statut de l’Essequibo
Le Venezuela revendique de longue date l’Essequibo, un territoire anciennement vénézuélien, mais devenu anglais en 1899 puis guyanien au moment de son indépendance. Depuis 1777, le Venezuela considère le fleuve Essequibo comme sa « frontière naturelle ». La preuve en est qu’en 1811, au moment de son indépendance, l’Essequibo fait bien partie du Venezuela, même si la frontière reste poreuse.
Presque trente ans plus tard, en 1840, ce sont les Britanniques, installés sur le plateau des Guyanes, qui modifient le tracé de la frontière occidentale de leur seule colonie en Amérique du Sud et qui s’emparent de l’Essequibo, malgré les protestations vénézuéliennes. Les États-Unis interviennent ensuite dans le différend en soutenant le Venezuela au nom de la doctrine Monroe (« l’Amérique aux Américains »). Mais ils parviennent difficilement à se faire entendre, le Royaume–Uni étant à cette époque la première puissance mondiale. La France est alors sollicitée et, en 1899, l’arbitrage de Paris donne raison aux Britanniques : l’Essequibo leur appartient. En 1966, la région restera Guyanienne au moment de son indépendance.
Ainsi, s’il y a un sujet qui rassemble encore aujourd’hui la majorité des Vénézuéliens, c’est bien le statut de l’Essequibo. Presque aussi grand que la Floride et occupant les deux tiers de la superficie de l’actuel Guyana, l’Essequibo a longtemps fait l’objet d’un statu quo. Or, c’est précisément dans la zone économique exclusive (ZEE) du Guyana, au large de cette région, qu’ont été découvertes de nombreuses ressources pétrolières. Ces dernières n’ont cessé depuis de raviver les tensions et le risque d’un conflit militaire.
L’impopularité de Nicolás Maduro
Considéré comme un dictateur par beaucoup d’organisations internationales, ceci est aussi un sujet de préoccupations. En effet, certains craignent que ce dernier puisse initier le lancement d’un conflit armé. Compte tenu de l’opinion commune des Vénézuéliens au sujet de l’Essequibo, il pourrait tenter de fédérer un peuple qui depuis quelques années ne cesse de fuir le pays.
Selon les Nations unies, ce sont en effet plus de sept millions de Vénézuéliens qui ont quitté leur pays en quête de protection et d’une vie meilleure. Cela constitue notamment une rupture avec son prédécesseur Hugo Chávez. En effet, se revendiquant du bolivarisme, le président du Venezuela de 1999 à 2013 avait abandonné les revendications historiques sur l’Essequibo. Il avait préféré soigner son image de leader panaméricain rassembleur et pacifiste.
Un conflit ravivé par les découvertes pétrolières
L’Essequibo semblait promettre au Guyana un développement économique fulgurant. Les chiffres étant par ailleurs déjà impressionnants, car le Guyana a battu des records de croissance du PIB en affichant + 86 % en 2020, + 60 % en 2022 et + 38 % en 2023.
Mais la découverte par ExxonMobil de pétrole offshore au large de l’Essequibo a également relancé le contentieux avec son voisin vénézuélien. En effet, il apparaît clairement que la montée des tensions coïncide avec le début de l’exploitation pétrolière. On peut alors légitimement comprendre les craintes de ce petit pays d’environ 800 000 habitants, en comparaison avec les 28 millions de Vénézuéliens, quand le Venezuela a renforcé sa présence militaire à la frontière à partir de 2018.
Le Guyana fait alors appel à la Cour internationale de justice (CIJ) dans l’espoir de régler le conflit. Mais cela n’a pas empêché le Venezuela de se mettre plusieurs fois dans l’illégalité en franchissant la ZEE du Guyana sur la mer et dans les airs. En 2023, les tensions se multiplient, malgré les appels au calme des organisations régionales, à l’instar de l’Organisation des États américains (OEA), de la Communauté caribéenne (CARICOM) et de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), qui invitent les deux pays à trouver un accord diplomatique. Mais c’est surtout en décembre de la même année que la tension devient réellement palpable.
Le référendum sur l’Essequibo
Le 1er décembre, Maduro maintient l’organisation d’un référendum, dont le résultat diffusé le 3 décembre sera largement en faveur de l’indépendance de l’Essequibo (95 % d’opinion favorable). Et ce, malgré la décision de la CIJ qui appelait le Venezuela à « s’abstenir de toute action qui modifierait le statu quo dans l’Essequibo ».
Le 6 décembre, après avoir remis en cause la compétence de la CIJ, le Venezuela s’octroie lui-même des licences pour que sa compagnie pétrolière nationale, la PDVSA, puisse exploiter le pétrole de la région. La menace devient de plus en plus inquiétante. Le lendemain, les États-Unis décident d’effectuer des exercices militaires aériens dans la région et le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva déclare ne pas vouloir de guerre sur le continent sud–américain.
Le 8 décembre se tient une réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU durant laquelle les États-Unis et le Royaume-Uni affirment leur « soutien inébranlable à la souveraineté du Guyana ». Le Royaume-Uni ira même jusqu’à envoyer un navire de guerre dans les eaux guyaniennes, qu’il justifiera par l’appartenance du Guyana au Commonwealth.
Conclusion et questionnements
Dans un continent où les conflits interétatiques sont plutôt rares, le dernier en date étant la guerre des Malouines entre l’Argentine et le Royaume–Uni au cours de l’année 1982, ces dernières tensions géopolitiques inquiètent pourtant les voisins et les organisations internationales. Notamment en raison du contexte politique au Venezuela.
Avec l’approche des élections présidentielles en 2024, l’Essequibo pourrait bien être perçu par Nicolás Maduro comme un moyen de masquer les difficultés économiques internes qui n’ont cessé d’empirer depuis le début de sa présidence. De son côté, le Guyana espère échapper à cette nouvelle malédiction de l’or noir, qui pourrait remettre en cause le statut des deux tiers de son territoire. De plus, il semblerait intéressant de comprendre quelles stratégies le Guyana souhaite mettre en place pour exploiter ses ressources en évitant le syndrome hollandais.
Cet article a été rédigé par Marc Legrand, en collaboration avec Call’ONU, l’association de géopolitique de l’ESCP.
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