Le sujet traité ici est “Nourrir les hommes, un enjeu géopolitique ?”. C’est très important de lire des dissertations pour bien te préparer aux épreuves, mais aussi pour t’imprégner d’exemples, de chiffres, d’ouvrages et de citations.
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4 questions à toujours se poser avant de commencer à rédiger sa dissertation:
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La dissertation “Nourrir les hommes, un enjeu géopolitique ?”
Introduction
Chaque année plus d’une centaine de suicide d’agriculteurs sont recensés en France.Il apparaît ainsi que ceux qui « nourrissent les hommes » semblent être les grands oubliés de la croissance mondiale tel que le souligne Sylvie Brunel, dans son ouvrage “Nourrir, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre” paru en 2023, en parlant des « chevaliers discrets et méconnus des territoires ». Le monde compte aujourd’hui plus d’un milliard de paysans dont une grande part sont pauvres et souffrent de la faim.Paradoxalement, les ressources agricoles sont suffisantes pour nourrir la population mondiale, les idées malthusiennes semblent dépassées, et pourtant la question du manque de ressources agricoles se pose plus que jamais.Nourrir les hommes s’apparente à garantir la sécurité alimentaire à la population mondiale, c’est-à-dire à s’assurer que tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active pour reprendre la définition du Comité des Nations Unies. Et ce défi est devenu bien plus qu’une simple préoccupation humanitaire dans la mesure où il constitue un enjeu géopolitique majeur, façonnant les relations entre les États, les dynamiques régionales et les équilibres de pouvoir à l’échelle mondiale.Dans Nourrir le monde, Sylvie Brunel parle d’une « nouvelle géopolitique de la faim », montrant que l’enjeu agricole est de plus en plus présent dans la mondialisation et de plus en plus instrumentalisé par les États et les puissances.La capacité d’un gouvernement à assurer la sécurité alimentaire de sa population est primordiale afin de garantir la paix sociale et sa légitimité.Par ailleurs, deux tiers des humains vivront en ville dans une trentaine d’années, ce qui impose de les alimenter sans qu’ils le fassent par eux mêmes.Ce sont les États et les gouvernements qui sont sollicités pour assurer la régularité des approvisionnements, et par ailleurs seuls une dizaine d’entre eux dans le monde sont de très grandes puissances agricoles et exportatrices ce qui crée des déséquilibres significatifs et des rivalités pour le contrôle des ressources alimentaires mondiales.
Problématique
Dans un contexte où l’agriculture est souvent présentée comme un secteur vital mais négligé, comment les impératifs de sécurité alimentaire façonnent-ils les relations interétatiques et influencent le Grand Jeu des puissances ?
I-La mondialisation voit émerger de nouveaux enjeux puisque la concentration croissante de la puissance agricole et des systèmes productifs crée des déséquilibres
A- Une agriculture productiviste et des exportations alimentaires croissantes
Au cours de l’histoire, les famines et les disettes ont été des fléaux dévastateurs qui ont marqué l’humanité jusqu’au XVIIIe siècle en Occident, et persistent jusqu’à nos jours dans de nombreux pays pauvres, bien que leur occurrence ait diminué. L’Occident n’a pas été épargné par ces périodes sombres, où les récoltes insuffisantes ou détruites, combinées à des systèmes de distribution inadéquats, ont conduit à des pénuries alimentaires dévastatrices pour les populations. Cependant, au fil du temps, avec le développement de l’agriculture, des systèmes de distribution plus efficaces et des progrès technologiques, les famines semblent avoir reculé dans les pays développés.Une vision parfois nostalgique de l’agriculture traditionnelle persiste, surtout parmi les urbains, mais elle ne doit pas occulter sa réalité historique. L’agriculture traditionnelle, souvent pratiquée selon des méthodes ancestrales telles que le brûlis, était peu productive, émettrice de gaz à effet de serre et insuffisante pour répondre aux besoins alimentaires croissants des populations. Cependant, grâce à l’évolution technologique, notamment la numérisation et la mécanisation, l’agriculture connaît des changements significatifs, améliorant sa productivité et sa durabilité dans certains endroits.C’est notamment après la 2ème Guerre mondiale que nourrir les hommes a été une priorité pour les États, d’abord parce que les populations européenne, japonaise ou chinoise avaient connu la faim tel que l’illustre par exemple le rationnement en France jusqu’en 1949, et ensuite parce que les gouvernants étaient pour la plupart convaincus que la paix passait par une alimentation mondiale suffisante.Même la Chine de Mao, pays communiste aligné sur l’URSS, modèle économique pourtant peu soucieux de l’agriculture, s’appuie sur la paysannerie pauvre et entend développer ce secteur.
Les États semblent d’ailleurs relever le défi agricole lors de cette période étant donné que la croissance de la production agricole dépassent celle de la population. En effet, au cours d’un siècle, la production agricole a connu une progression spectaculaire, multipliée par 2,6, témoignant des efforts déployés pour accroître l’approvisionnement alimentaire mondial. Cette croissance remarquable a permis de mieux nourrir l’humanité, malgré l’explosion démographique observée principalement dans les pays en développement. De manière encourageante, la ration alimentaire mondiale a sensiblement augmenté, s’approchant même des valeurs recommandées(environ 2600 kilocalories). C’est l’agriculture productiviste qui réalise ce miracle, notamment grâce à l’amélioration des rendements principalement. D’abord, les révolutions agricoles des pays développés ont contribué au décollage agricole, et nourri la transition démographique, contrairement aux prévisions de Malthus. La première se produit avant la première Révolution industrielle, la seconde après la 2ème Guerre mondiale (mécanisation, chimie, variétés sélectionnées). L’agriculture américaine développe la mécanisation et les rendements qui caractérisent la deuxième révolution agricole. Cela s’accompagne d’une généralisation de l’utilisation d’engrais et des pesticides, des OGM,de l’ élevage hors sol ainsi que l’irrigation (20% des terres mondiales sont irriguées). Cette intensification de la production mondiale est aussi largement soutenu par la politique des États européens notamment avec la PAC.La production devient abondante, régulière et industrialisée avec l’apparition de l’agrobusiness. Le recours aux robots, satellites, drones, est de plus en plus fréquent, pour connaître le climat, l’ensoleillement, les sols. De nouvelles formes de production font leur apparitions comme les fermes verticales au Japon : production propre, autonome, économe en énergie et surtout en eau, très robotisée.Toutefois,cela n’empêche pas en parallèle le maintien de la production artisanale de masse.Enfin la place des ressources halieutiques dans l’alimentation des hommes s’accroît considérablement.En effet, le processus de mondialisation entraîne avec le développement une forte demande pour le poisson, aussi utilisé comme base pour fabriquer des farines animales. Au total, près de 100 millions de tonnes de poissons et de crustacés sont pêchés chaque année dans le monde contre 20 millions de tonnes seulement en 1950. À l’échelle mondiale, cette pêche assure à plus de 1,5 milliards de personnes 20% de leur apport moyen en protéines animales.Les ¾ des espèces sont aujourd’hui concernées par la surpêche tel que le thon rouge en Méditerranée par exemple . Elles font l’objet d’une compétition entre les États, comme la “guerre de l’anchois” entre les pêcheurs français et espagnols dans le golfe de Gascogne, la ” guerre du turbot ” entre le Canada
et l’Espagne près de Terre-Neuve.Il apparaît donc que les ressources halieutiques sont aussi de véritables sources de tensions en attisant les convoitises des puissances.
B-Une production et des exportations qui renforcent quelques puissances agricoles et se concentrent sur quelques territoires
Il semble qu’une poignée de grandes puissances contrôlent les flottes maritimes à l’échelle mondiale, engendrant une compétition croissante pour l’accaparation des ressources halieutiques afin de nourrir la population, illustrée par l’exemple du dépouillement des eaux africaines par les navires de pêche chinois. Par ailleurs, un nombre restreint de grandes puissances agricoles se distinguent par leurs exportations massives : l’Union européenne, les États-Unis, le Brésil, le Canada, l’Inde, l’Australie, ainsi que la Russie, qui occupe la première place mondiale en termes d’exportation de blé. Ces nations sont aptes à recourir à la puissance alimentaire, ou “food power”. Actuellement, l’Union européenne dispose de cet atout étant donné qu’elle détient une position de premier plan en tant que puissance agricole exportatrice, suite à l’aide conséquente reçu après la Seconde Guerre mondiale. En outre, dix pays assurent les trois quarts des exportations mondiales de céréales, et une situation similaire est observée pour le sucre, les pommes de terre, le soja et le lait.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, il suffit seulement que quelques pays exportent la majorité de leurs excédents pour réussir potentiellement à nourrir la planète: l’Union Européenne, première puissance agricole mondiale, les États-Unis, le Canada, l’Australie, l’Argentine et la Nouvelle Zélande, ainsi qu’un pays du Sud, le Brésil, un émergent agricole devenu très puissant. En effet, le processus de mondialisation s’est accompagné d’une apparition de géants agricoles et de grands producteurs au Sud (Chine, Inde, Vietnam, Thaïlande Malaisie plus quelques monoproducteurs comme la Côte d’Ivoire avec le cacao). Ils concentrent l’essentiel des exportations de céréales, viande bovine, oléagineux, produits laitiers (80 à 90%). Il paraît ainsi que la demande mondiale croît certes, mais la réponse alimentaire aussi.
A l’inverse, 150 pays importent massivement leur alimentation, ce qui les place dans une situation de péril grave en cas de rupture d’approvisionnement.De plus en plus de pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient comptent sur leurs importations alimentaires pour vivre, car ils n’ont que 6% de leurs terres cultivables avec une réduction liée au changement climatique.Dans ces régions, les importations alimentaires ont été multipliées par 20 depuis 1960 et le maïs par 100. L’Algérie est par exemple devenue l’un des premiers importateurs de blé de l’Afrique alors qu’elle disposait initialement de capacités d’exportation conséquentes (lait, sucre, huile…). Les pays exportateurs utilisent par conséquent l’arme alimentaire au lendemain de la guerre et durant la Guerre Froide.Les Etats-Unis sont dans un premier temps la 1ère puissance agricole, dépassant de très loin les capacités productives des autres pays grâce à une agriculture capitaliste, productiviste, rationalisée ainsi qu’à l’immensité des espaces et la variété des climats. Dès les années 30, après la crise provoquant la faillite de millions de farmers, les EU subventionnent leur agriculture et mettent à son service la Recherche et Développement.L’Union Européenne fait ensuite de même avec la politique agricole commune (1962). En effet, cette politique qui représente plus de 40% du budget de la CEE soutient les prix et compense les pertes, ce qui fait de l’Europe une région exportatrice mais en surproduction chronique. C’est la confirmation du poids des FTN agricoles et le développement de l’agrobusiness et du complexe agroalimentaire aux EU et en Europe : Cargill, Unilever, Nestlé, Danone, Kraft Foods… ainsi que les semenciers comme Monsanto.
C-La recherche agricole est polarisée par les puissances.
La recherche-développement est dans les mains des puissances tel qu’en témoigne l’exemple des révolutions vertes à la fin des années 60 où les puissances occidentales apportent leur savoir-faire notamment avec les Variétés à haut rendements (VHR) de l’agronome américain Norman Borlaug pour éradiquer les famines « naturelles » dans des pays du Tiers-Monde (Inde et Asie majoritairement). Ce sont ces mêmes puissances qui possèdent les dernières innovations agricoles tels que les semences, engrais, intrants, méthode d’irrigation, OGM (Novartis, Bayer, Monsanto) grâce à l’intervention de l’État. En France par exemple, l’État prend en charge la R&D pour l’agriculture (création de l’INRA, Institut National de la recherche Agronomique, après la 2ème Guerre Mondiale, création d’une grande école « agro » pour former des ingénieurs agronomes, CIRAD, CNRS) accompagné bien sûr par la FAO qui finance aussi des activités de recherche agronomique.
II-L’enjeu alimentaire met en lumière les déséquilibres et inégalités de développement planétaires
A-Des relations de dépendance planétaires
Les échanges internationaux sont déséquilibrés. Les pays qui ne produisent pas assez de ressources alimentaires sont contraints de dédier une grande partie de leur budget aux importations (exemple du blé, 135M de tonnes sont exportés soit 20% de la production mondiale, ce qui pèse très lourd sur les budgets de certains pays notamment les pays d’Afrique du Nord qui importent 80% de leurs besoins alimentaires). Les agricultures des pays en développement sont en outre pénalisées par les subventions qu’accordent les pays développés du Nord à leurs agricultures, ce qui contribue à maintenir des cours bas et à rendre les productions des pays du Nord plus compétitive. Le Groupe de Cairns créé en 1986, comprend 19 pays en développement pour la plupart et agro exportateurs luttant pour la libéralisation des échanges agricoles. En effet, malgré le cycle de l’OMC dit « Doha round » terminé en 2008, les puissances ne sont pas parvenues à un accord.
B-La malnutrition et la sous-nutrition perdurent voire se renforcent
En 2019 d’après les estimations de la FAO, 11% de la population mondiale (821M contre 804M en 2016) est actuellement sous alimentée soit une personne sur 9. La faim semble gagner du terrain depuis trois ans notamment du fait du Covid et de la crise climatique. Il y a eu par exemple plus de 3 millions de personnes qui ont recouru à l’aide alimentaire en France en 2022. Conflits et pandémie ont entraîné 300M d’affamés supplémentaires (sans compter les centaines d’animaux morts de faim en Thaïlande, en Inde, au Bangladesh, les animaux consomment 40% des céréales produites). En Inde une partie de la population meurt de faim à côté d’entrepôts pleins puisque seuls ceux qui peuvent payer mangent. Dans le monde, ce sont souvent les petits producteurs ruraux qui souffrent de la faim les premiers ainsi que les urbains pauvres. Alors que la production alimentaire a augmenté plus vite que la population durant la seconde moitié du XX° siècle, la sous-nutrition (insuffisance quantitative aux 2500 calories moyennes) et la malnutrition (déséquilibre de la ration alimentaire) sont les deux fléaux frappant une partie de la planète, relié la plupart du temps à un faible IDH . En effet 98% des sous alimentés sont dans les pays en développement ,le taux de prévalence de la sous-alimentation y est de 16% .
Si l’Afrique est la région ou en pourcentage on trouve le plus fort taux de personnes souffrant de la faim (21% contre 11% au niveau mondial soit 256M de personnes), l’Asie comprend en nombre les deux-tiers des personnes sous alimentées dans le monde (pourcentage 11,4%, mais 515M de personnes). Le pourcentage a baissé en Asie de l’Est mais augmenté en Asie de l’Ouest. Le taux de personne souffrant de la faim a aussi augmenté en Amérique latine (5%). La pandémie a mis en lumière le fait que se nourrir n’était pas une évidence définitive tel que l’illustre les pénuries alimentaires dans les pays développés, certes peu graves mais impressionnantes. De plus au Yémen, en Syrie, en Somalie ou même au Nigeria, des gens sont morts de faim en masse du fait de la désorganisation des systèmes.Enfin le changement climatique participe grandement à la désorganisation des systèmes agricoles, la famine de Madagascar en 2021 est présentée comme la « première famine d’origine climatique », même si cela peut être nuancée du fait du rôle de l’incurie et de la corruption du gouvernement malgache.
C-De fortes tensions sur les ressources dans certains espaces
Flambée des prix, raréfaction des terres et de la disponibilité en eau, guerres et convoitises autour de la ressource agricole, c’est le terrain de l’insécurité alimentaire qui contraint les pays à sécuriser leurs approvisionnements, et l’alimentation est devenue conflictuelle (développer ici les sanctions contre la Russie et les mesures de rétorsion qu’elle prend contre les pays acheteurs de blé). L’insécurité alimentaire constitue une réalité pour plus d’un milliard de personnes, contre 900 millions en 2019. Par exemple, au Yémen, les conflits armés et les mauvaises récoltes ont gravement perturbé l’approvisionnement alimentaire, l’aide humanitaire étant souvent coupée par la guerre. Mais depuis 2007, l’insécurité alimentaire a également pris des formes inédites et a touché des pays émergents comme le Brésil, qui possède pourtant les ressources nécessaires pour nourrir sa population ou même la Chine qui a le plus grand mal à maintenir son approvisionnement (0,07 ha/hb contre une moyenne mondiale de 0,21), c’est la première importatrice mondiale de céréales et d’oléagineux, notamment de soja, qui servent à faire de l’élevage pour la demande en alimentation carnée. Actuellement, une combinaison de forces telles que le changement climatique, les tensions géopolitiques et les crises économiques amplifie les risques d’insécurité alimentaire et exacerbe l’instabilité de nombreux pays. Cette situation met en lumière une grave défaillance des relations internationales en matière agricole, rendant urgent le besoin de coopération et de solutions globales.
III-Une gestion mondiale de ces enjeux ?
A-La demande mondiale et croissante
L’enrichissement des pays émergents (Chine, Inde, Brésil), l’apparition de classes moyennes essentiellement urbaines (passées d’environ 10% de la population indienne en 1990 à 30% aujourd’hui), a provoqué une hausse et une diversification de la demande. La consommation croissante de viande en Chine (cinq fois celle de 1980), pays naguère consommateur de légumineuses et de riz, a poussé la production (et la demande) de soja, de céréales, et de fourrage. Les tensions sur les prix s’expliquent en bonne part par cette demande croissante. Elles concernent spécifiquement le maïs , le soja et le blé , ce qui a des conséquences sur le prix de la volaille et du porc, nourris aux céréales.
Les tensions sur les prix s’expliquent également par le caractère volatile des prix agricoles, qui sont influencés par de multiples données climatiques, politique qui peuvent faire l’objet d’anticipations irrationnelles ainsi que par une forte spéculation, comme tous les marchés de matières premières et ressources rares. Avec la libéralisation des marchés agricoles depuis la fin des années 2000, la spéculation est plus intense que jamais. La hausse de la demande et le démantèlement du protectionnisme entraînent une consommation croissante de produits alimentaires importés (par exemple, le Maghreb importe des céréales et de la viande, le continent africain du riz asiatique). Les échanges de produits alimentaires progressent. Certains pays sont très dépendants de leurs importations (par exemple le Japon et la Chine). L’Arabie Saoudite a presque épuisé ses nappes phréatiques en cultivant du blé et cessera sans doute de le faire. En effet l’épuisement des ressources naturelles joue un rôle considérable dans les politiques agricoles des pays. Certains pays ont été fragilisés par la libéralisation, et voient revenir les famines, guerres des farines, disettes. Certains pays donnent aussi la priorité à l’agrobusiness, qui renforce des entreprises comme Monsanto, Kraft Foods, Unilever, Du Pont, plutôt qu’aux agricultures paysannes, pourtant aujourd’hui réhabilitée car c’est une gestion raisonnable et raisonnée des ressources.
B/ La demande alimentaire est concurrencée par la recherche de ressources énergétiques et la diminution des terres arables.
La flambée des cours du pétrole accentue la hausse, car elle produit un double effet sur les prix mondiaux de la nourriture : renchérir, d’une part, les coûts de transport internationaux, d’autre part le prix de ce qu’on appelle les « intrants » (engrais, pesticides, herbicides…) qui sont produits par l’industrie chimique à partir de dérivés pétroliers. Sans compter le carburant qui alimente les pompes pour l’irrigation, les tracteurs et les camions qui transportent les récoltes…La demande en biocarburants entraîne une réaffectation des terres vers les cultures de soja maïs canne à sucre(bioéthanol), ou colza, par exemple au Brésil et en Argentine, ou jatropha en Afrique (nombreux échecs), ce qui crée un tel conflit avec la nécessité de nourrir les hommes que la FAO recommande de ne plus utiliser ni maïs ni oléagineux pour fabriquer du carburant et de passer aux biocarburants de 2° génération qui n’entrent pas en concurrence avec l’alimentation.Les terres arables sont en régression (entre 70000 et 140000 ha/an) sur la planète. Outre le processus de désertification et le réchauffement climatique qui touche l’Afrique, l’Australie ou l’Espagne, il faut incriminer une urbanisation galopante, et l’érosion des terres arables fragilisées par la déforestation et l’abus d’engrais. Toutefois l’amélioration des rendements a largement compensé cette perte.
Le modèle productiviste semble atteindre ses limites et pourtant il reste essentiel pour nourrir les hommes tel que le souligne Sylvie Brunel dans “Nourrir,cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre” paru en 2023. Dans les pays du Sud, il a certes nourri les populations, mais aussi encouragé l’exode rural et le gonflement des mégalopoles favorisant des inégalités alimentaires fortes. La dégradation de l’environnement (disparition des abeilles, surpêche) entraîne aussi petit à petit une diminution de la biodiversité. La sécurité alimentaire reste un concept peu connu, et surtout associé à des solutions quantitatives. L’idée d’assurer un accès permanent à une nourriture en quantité et en qualité suffisante est souvent restreinte à la seule question de la production agricole (avec l’aide des progrès technologiques, augmenter la production). Or, il s’agit aussi d’une question stratégique globale, puisqu’il s’agit aussi d’assurer la stabilité des approvisionnements, ainsi que le maintien de conditions environnementales vivables.Les inquiétudes sur les OGM ravivent le sentiment qu’il faut probablement modifier le modèle alimentaire en vigueur dans le monde. Ceux ci couvrent 10% des terres arables de la planète. Beaucoup de pays européens sont très méfiants à leur égard (seuls huit pays européens les autorisent, Allemagne, Pologne, Slovaquie..). En revanche à l’échelle mondiale, la progression est constante, en Australie et au Burkina Faso (+126% car coton transgénique). Paradoxalement l’Australie est aussi le premier producteur d’agriculture biologique du monde devant l’Argentine, la Chine, le Brésil, les EU, et l’Espagne. Il faut tout de même reconnaître aux OGM une grande capacité nutritive pour huit milliards d’humains.Ce modèle productiviste reste toutefois indispensable selon Sylvie Brunel qui considère que seule une agriculture mécanisée, productiviste et industrielle est en mesure de permettre de maintenir le prix de la nourriture à un niveau relativement bas ce qui est cruciale selon puisqu’elle affirme que « dans les mégalopoles, le prix de la nourriture fait office de juge de paix ».
Kanayo F. Nwanze, ancien président du Fonds international pour le développement agricole, propose quant à lui de transformer l’agriculture paysanne en agriculture commerciale, mais en tirant les leçons de la “révolution verte” et sans se calquer sur le modèle occidental d’agriculture industrielle.En ce sens il prône l’inauguration d’une croissance verte au service de la sécurité alimentaire mais cela demande toutefois une volonté politique forte et un engagement des États.
C/ La nécessité d’une gouvernance mondiale à l’appui d’une gestion nationale
L’échelle nationale reste primordiale pour régler les problèmes alimentaires d’une population : le choix politique sur l’alimentation reste le principal levier de l’amélioration de la question alimentaire.Pourtant, les ONG jouent un rôle de plus en plus considérable : Action contre la Faim fournit des semences et des outils aux agriculteurs locaux, organise des formations sur les pratiques agricoles durables et aident les agriculteurs à accéder aux marchés. En plus d’agir par l’aide alimentaire, OXFAM, TechnoServe, Heifer International incitent les agriculteurs des pays en développement à développer des pratiques durables.
Les organisations mondiales ou régionales (UE avec la PAC, FAO, IFAD, PAM), jouent un rôle important en termes de régulation. En 2020 le prix Nobel de la Paix a été accordé à une organisation mondiale, le Programme Alimentaire Mondial (World Food Program) qui a pris en charge 100M de victimes de crise alimentaire aiguë (un des pays qui compte le plus d’affamés est la très riche RDC ravagée par la guerre ou le Soudan également riche en bonnes terres). Il existe aujourd’hui un système de veille mis en place par le G20 et l’ONU, le Système d’Information sur les Marchés Agricoles, qui sert à coordonner les politiques et éviter les mouvements de panique en cas de stress alimentaire, ainsi qu’un Forum de réaction rapide, mis en place en 2010 par le G20 pour répondre aux crises alimentaires. Le Comité des Nations Unies sur la sécurité alimentaire mondiale (CSA) s’est tenue à Rome, ville mondiale de l’alimentation, en octobre 2013, avançant vers la définition d’un droit à l’alimentation. La FAO recommande, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors, la constitution de stocks stratégiques de nourriture ainsi que le soutien des petits agriculteurs et de l’agriculture de subsistance. Elle souligne régulièrement le rôle des femmes et des petits agriculteurs dans la sécurité alimentaire mondiale (maintien de l’emploi, gestion durable). La FAO souligne aussi la necessité d’un rétablissement de programmes agricoles durables dans des pays devenus dépendants des importations alimentaires.Il existe des initiatives et des accords internationaux qui visent à réguler le commerce des produits agricoles, tels que l’Accord sur l’agriculture de l’OMC et l’Accord de Paris sur le changement climatique. Mais la gouvernance mondiale de l’agriculture se heurte aux désaccords sur les subventions agricoles (blocage du Round de négociations de Doha), la propriété intellectuelle sur les semences et les OGM, l’accès à l’eau et la réglementation des pesticides, etc…
Conclusion
Nourrir les hommes est plus que jamais un enjeu géopolitique au lendemain de la pandémie de COVID. Si l’homme semble amplement possèder les ressources pour le faire, la situation n’est pas si simple, car la question révèle les déséquilibres du monde : déséquilibre des puissances d’abord, peu ayant la maîtrise du food power, déséquilibre des richesses et des savoirs, ceux qui souffrent le plus de la faim restant les millions de paysans pauvres de la planète et déséquilibre des systèmes productifs enfin, de nombreux pays s’étant rendus dangereusement dépendants de l’importation de ressources alimentaires quand bien même ils étaient capables de les produire. L’appel à la gouvernance mondiale ne suffira vraisemblablement pas, et il semble qu’aussi paradoxale que cela puisse paraître qu’il faille revenir à une forme de bon sens paysan couplé aux possibilités immenses offertes par les nouvelles technologies.
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