Face aux défis incessants et aux aspirations de ses principes, l’idéal de la démocratie continue de se chercher et de s’incarner à travers le monde. En effet, cette gouvernance s’appuie sur l’implication active des citoyens face à de nombreux défis et vulnérabilités.
Dynamiques et défis de la démocratie dans un monde en transition
Le 1er mars 2022, Volodymyr Zelensky a prononcé un discours marquant, soulignant l’importance de la lutte pour la démocratie. Peu après le début de l’invasion russe en Ukraine, le président ukrainien a défendu, lors d’une visioconférence, les valeurs démocratiques telles que la liberté et les droits de l’homme. Selon lui, il est crucial que le monde entier non seulement se soucie de ces principes, mais qu’il les défende activement.
Malgré certaines faiblesses dans son fonctionnement démocratique, telles que la persistance de certaines élites de l’ancien régime et les problèmes de corruption, l’Ukraine reste un modèle alternatif précieux. Proche de la Russie dirigée par Vladimir Poutine, elle représente un symbole de résistance démocratique. Cette situation soulève des interrogations essentielles : la fragilité des démocraties est-elle inévitable ou peut-elle être surmontée ? Quelles leçons peut-on tirer de l’expérience ukrainienne pour renforcer les démocraties à l’échelle mondiale ?
Cet article explorera la résilience et les défis des démocraties contemporaines à travers le prisme de l’Ukraine, un pays en quête d’une identité démocratique complète, luttant à la fois contre des forces internes et externes menaçantes.
L’état de la démocratie mondiale : enjeux actuels et futurs
Déclin global de la démocratie et implications pour l’avenir
Selon le rapport de l’Institut de recherche économique The Economist Intelligence Unit de 2021, le monde compte 21 démocraties considérées comme “véritables”, parmi lesquelles on retrouve des pays comme le Canada, l’Islande, la Norvège, la Suède, la Finlande, le Japon, le Royaume-Uni et la Suisse.
En revanche, on dénombre 53 démocraties qualifiées de “défectueuses”. Ces pays ont des caractéristiques démocratiques, mais elles sont fragilisées et présentent des faiblesses diverses. Par exemple, le Portugal, qui est généralement perçu comme une démocratie solide, est sanctionné par un faible taux d’adhésion à des partis politiques, des syndicats ou des associations, ou encore par un taux élevé d’abstention lors des élections. L’Inde et les États-Unis font également partie de cette catégorie, où l’on constate un renforcement de l’État et une réduction des libertés individuelles, à l’image des politiques mises en place par certains gouvernements. Notamment, aux États-Unis, des lois restrictives sur le droit de vote adoptées après l’élection de 2020, comme en Géorgie, imposent des exigences strictes et limitent le vote par correspondance. Ces mesures risquent de réduire la participation électorale, notamment parmi les minorités, et soulèvent des inquiétudes sur l’affaiblissement des libertés individuelles et du processus démocratique.
Par ailleurs, il existe 34 régimes qualifiés d”‘hybrides”, qui partagent certaines caractéristiques avec les démocraties, telles que des élections et le respect de l’État de droit, mais qui demeurent marqués par une corruption importante, comme c’est le cas au Mexique ou au Paraguay, où des groupes corrompus influencent certains organes du gouvernement.
Enfin, 59 régimes sont considérés comme “autoritaires”, parmi lesquels la Russie, où l’opposition est réduite au silence et les médias indépendants sont étroitement contrôlés. Vladimir Poutine a modifié la constitution en 2020, lui permettant de potentiellement rester au pouvoir jusqu’en 2036. Ces actions ont conduit certains observateurs à qualifier le régime russe de dictature, en raison de l’absence de véritables contre-pouvoirs et de la concentration extrême du pouvoir politique.
Contrastes historiques et défis contemporains de la démocratie
Selon la dernière édition de l’indice de démocratie publiée en février 2024 par The Economist Intelligence Unit, les démocraties sont plus que jamais en danger dans le monde, en grande partie à cause des guerres et tensions politiques qui affaiblissent les normes démocratiques sur tous les continents. En 2023, la moyenne mondiale de l’indice de démocratie est tombée à 5,23 sur 10, contre 5,29 en 2022, atteignant son niveau le plus bas depuis la première publication de l’étude en 2006.
Cette situation marque un moment de vulnérabilité pour le modèle démocratique, après plusieurs décennies d’expansion et de triomphe apparent. L’évolution de ces chiffres met en lumière un recul significatif de la démocratie à l’échelle mondiale, malgré les nombreuses déclarations affirmant être de véritables démocraties.
Cette régression contraste nettement avec le panorama historique qui avait suivi la Seconde Guerre mondiale, période durant laquelle la victoire des démocraties occidentales sur le nazisme avait semblé inaugurer une ère de suprématie démocratique. Le succès démocratique a continué de s’affirmer dans la seconde moitié du XXe siècle avec la chute des régimes autoritaires en Europe du Sud – Portugal, Grèce, et Espagne – et par la suite en Amérique du Sud et en Asie avec les transitions en Argentine, Brésil, Philippines, et Corée du Sud. Le modèle démocratique atteint son apogée entre 1988 et 1991, symbolisé par la dissolution de l’URSS.
L’expansion démocratique s’est également manifestée par la formation de nouveaux États en Europe centrale et orientale qui ont majoritairement adopté les valeurs démocratiques promues par l’Union Européenne. Un exemple notable est la Pologne. Après la chute du communisme en 1989, la Pologne a entrepris une série de réformes politiques et économiques pour intégrer les standards démocratiques occidentaux. En 2004, la Pologne a rejoint l’Union Européenne, consolidant ainsi son engagement envers les principes démocratiques, la protection des droits de l’homme et l’État de droit.
Cependant, ce tableau relativement positif a été assombri par les interventions militaires américaines en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003, qui ont marqué les limites et les échecs de l’implantation de la démocratie par la force. Un autre revers majeur pour le modèle démocratique a été les “printemps arabes” en 2010. Bien que la chute de dictateurs tels que Ben Ali en Tunisie, Kadhafi en Libye ou Moubarak en Égypte ait initialement suscité un espoir démocratique, l’évolution politique ultérieure, notamment en Tunisie, a démontré la précarité de ces transitions.
Crise de confiance et polarisation dans les démocraties modernes
Au début du XXIe siècle, nous observons donc un arrêt net de l’expansion des démocraties, trente ans après leur triomphe marqué par la chute du mur de Berlin en 1989. À l’extérieur, les démocraties se trouvent dans une situation périlleuse, avec des tensions rappelant la Guerre froide, tandis qu’à l’intérieur, elles sont fragilisées par leurs propres contradictions et les défis posés par leur ouverture. De plus, le double mouvement de mondialisation et de désindustrialisation a fragilisé les démocraties occidentales, engendrant un sentiment de déclin et une défiance populaire accrue.
Par exemple, en 2013, en France, on observe une corrélation entre un indice d’inégalités – élaboré à partir de données compilant chômage, pauvreté, absence de diplôme et familles monoparentales – et le vote pour le Front National au premier tour des élections de 2012. Cette méfiance envers les élites se manifeste également par un taux d’abstention croissant, contribuant ainsi à fragiliser la démocratie. En juin 2021, lors des élections régionales, l’abstention dépasse les 65%. Un sondage réalisé par Ipsos en octobre 2021 révèle que 72% des français estiment que leurs opinions ne sont pas prises en compte par les dirigeants politiques. Le mouvement des Gilets jaunes de 2018 en a déjà été une illustration manifeste.
Par ailleurs, l’élection présidentielle de 2022 au États-Unis illustre une montée des extrêmes, entraînant une radicalisation du débat public et une légitimation croissante de la violence, comme en témoigne l’invasion du Capitole aux États-Unis le 6 janvier 2021 par les partisans de Donald Trump, contestation qui a fait cinq morts.
Tensions internes et adaptation démocratique face aux crises
Les démocraties sont menacées de l’intérieur par un risque de morcellement, que ce soit à travers des mouvements séparatistes, des tensions intercommunautaires ou des revendications identitaires. En Espagne, la tentative de sécession de la Catalogne en 2017 a engendré une crise institutionnelle autour de la légalité d’un référendum d’autodétermination sans accord du gouvernement central.
Les démocraties doivent naviguer à travers des crises exceptionnelles, comme les attentats en France en 2015 et la pandémie de COVID-19. Par exemple, les attentats ont conduit à l’état d’urgence, avec des assignations à résidence, soulevant des préoccupations sur les libertés individuelles. De même, pendant la pandémie, des confinements et des restrictions de mouvement ont été mis en place, perçus comme des atteintes aux libertés fondamentales. Ces crises montrent comment les démocraties doivent équilibrer sécurité publique et droits fondamentaux.
La pandémie a aussi révélé la rapidité de propagation des fake news et des théories complotistes via les réseaux sociaux, un phénomène d’autant plus préoccupant que ces plateformes constituent une source majeure d’information pour une majorité d’adultes dans des pays comme le Chili, l’Argentine, la Grèce ou la Bulgarie.
À Taïwan, les 23,5 millions de citoyens utilisent un portail numérique pour interagir avec le gouvernement, simplifiant les démarches administratives et renforçant la participation civique, notamment dans la gestion des lois et de la pandémie. Ce modèle souvent cité comme un exemple de collaboration efficace entre le gouvernement et la population, malgré les pressions continues de la Chine sur l’île, et représente un véritable laboratoire de démocratie directe.
Nouvelles frontières du pouvoir : Économie, technologie et autoritarisme en conflit avec la démocratie
Stratégies d’expansion et influence des régimes autoritaires dans la mondialisation
Les tensions contemporaines entre démocraties et régimes autoritaires rappellent, par certains aspects, les conflits idéologiques de la Guerre Froide. Toutefois, une différence majeure réside dans l’intégration économique des nouveaux régimes autoritaires au sein du système mondial. Prenons l’exemple de la Chine : depuis son intégration à l’Organisation Mondiale du Commerce le 11 décembre 2001, sa montée en puissance économique a remis en question l’idée occidentale selon laquelle l’intégration économique mène nécessairement à l’adoption du modèle démocratique. Le régime chinois, caractérisé par un parti unique, l’absence de contre-pouvoirs, une presse de propagande, des arrestations arbitraires et des camps de concentration pour les minorités ouïgoures, démontre les limites de cette théorie.
Depuis 2013, avec le lancement de son initiative des “Nouvelles Routes de la Soie”, la Chine ne se contente pas de renforcer sa présence économique, notamment en Europe de l’Est. Elle y investit massivement dans les infrastructures et détient une part importante de la dette de plusieurs pays de la région, à l’instar des 20 % de celle de la Macédoine du Nord et des 40 % de celle du Monténégro en 2018. Sur le plan politique, Pékin promeut l’efficacité de son modèle autoritaire en mettant en avant, selon son point de vue, l’inefficacité de la démocratie européenne, tout en promettant ordre et prospérité.
L’impact des technologies numériques dans le conflit entre démocraties et autoritarismes
Au 21e siècle, les régimes autoritaires disposent également de nouvelles armes technologiques. Les avancées dans ce domaine leur permettent de s’immiscer plus aisément dans les affaires des démocraties, qui sont par nature plus ouvertes. Ils peuvent espionner et perturber le fonctionnement des sociétés démocratiques à travers le piratage informatique et la production massive de fausses informations. Selon le Digital Defense Report couvrant la période de juillet 2020 à juin 2021, 58 % des cyberattaques étaient attribuées à la Russie. En février 2022, avant son invasion de l’Ukraine, la Russie a été accusée par cette dernière d’avoir mené des cyberattaques contre des sites militaires officiels et des banques publiques.
Ces observations illustrent que, malgré les avancées économiques et technologiques, les tensions entre régimes autoritaires et démocraties continuent de façonner notre paysage géopolitique, posant des défis complexes pour l’avenir des relations internationales.
Confrontations mondiales : La montée de l’autoritarisme et la technologie dans un monde divisé
Nouvelles dynamiques de pouvoir : Autoritarisme et influence globale en contexte de mondialisation
Au cœur des tensions internationales actuelles, la lutte entre démocraties et régimes autoritaires rappelle les dynamiques de la Guerre Froide. Toutefois, un changement significatif s’observe : contrairement à cette période historique, les nouveaux régimes autoritaires, tels que la Chine, cherchent à s’intégrer activement à l’économie mondiale. La montée en puissance de la Chine, notamment accélérée par son adhésion à l’OMC le 11 décembre 2001, met en évidence les limites de la théorie occidentale qui associait libéralisation économique à démocratisation. En effet, le régime chinois, caractérisé par un parti unique, l’absence de contre-pouvoirs, une presse sous contrôle et des pratiques répressives, telles que les camps de détention pour les Ouïgours, défie cette hypothèse.
Depuis 2013, avec l’initiative des “Nouvelles Routes de la Soie”, la Chine tente également de propager ses valeurs autoritaires, notamment en Europe de l’Est, en investissant massivement dans les infrastructures et en acquérant une part importante de la dette de pays comme la Macédoine du Nord et le Monténégro. Politiquement, Pékin critique l’inefficacité des démocraties européennes et promeut la supériorité de son modèle, qu’elle présente comme un garant d’ordre et de prospérité.
Cyberattaques et rivalités géopolitiques à l’ère numérique
Au XXIe siècle, les régimes autoritaires disposent d’une nouvelle arme : les technologies numériques. Celles-ci leur permettent d’intervenir plus aisément dans les affaires des démocraties, naturellement plus ouvertes, par des moyens tels que l’espionnage, le piratage informatique et la production de fausses informations. Selon le Digital Defense Report, entre juillet 2020 et juin 2021, 58% des cyberattaques provenaient de Russie, et en février 2022, l’Ukraine a subi des cyberattaques russes visant des sites militaires et des banques, peu avant l’invasion du pays par la Russie.
L’actuelle guerre en Ukraine illustre aussi cette confrontation entre démocratie et autoritarisme. La résolution adoptée le 2 mars 2022 par l’Assemblée générale de l’ONU, approuvée par 141 pays et rejetée par cinq régimes autoritaires (Russie, Biélorussie, Corée du Nord, Érythrée, Syrie), sanctionne l’agression russe, montrant ainsi le clivage entre démocraties et dictatures.
En conclusion, dans le contexte des années 2020, la démocratie mondiale est menacée par des régimes autoritaires qui diffusent leur modèle à travers des moyens militaires, économiques et numériques. La guerre en Ukraine a revitalisé la vigilance démocratique en Occident, rappelant les paroles de Václav Havel en 1990 : « le meilleur gouvernement, le meilleur parlement et le meilleur président ne peuvent à eux seuls faire grand-chose. La liberté et la démocratie signifient avant tout la participation et la responsabilité de tous. »
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