Dans le cadre du programme A/L et LSH 2025, nous te proposons un article sur l’œuvre de Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, afin de savoir s’il s’agit d’un roman poétique.
Un nouveau langage
Si la tradition classique distingue roman et poésie, l’une des caractéristiques de la modernité est de rompre avec les codes et les clivages. D’ailleurs, pour Marguerite Duras, « les romans vrais sont des poèmes » (Le Monde extérieur, 1993).
Dans Le Ravissement, la tentation d’une langue poétique tient à l’insuffisance du langage traditionnel. Les mots manquent ainsi à Lol pour exprimer ses pensées et elle rêve d’un « mot-trou » capable de tout dire. Le narrateur voit également les mots se dérober quand il regarde Lol dans le salon de thé de Green Town : « Je voudrais faire, dire, dire un long mugissement fait de tous mots fondus et revenus au même magma. » C’est donc la confrontation avec l’indicible qui pousse à une recherche d’une langue nouvelle et poétique. L’image de la fusion utilisée par le narrateur rapproche d’ailleurs l’écriture et la parole d’une recherche alchimique.
Marguerite Duras crée des îlots de poésie au sein d’une narration faite d’ellipses et de ruptures dans le but de faire entrevoir ce qui ne peut jamais être vraiment expliqué. La force traumatique du bal échappe à toute explication logique, le personnage de Lol se dérobe sans cesse.
Les images poétiques permettent ainsi à la romancière de saisir l’éphémère et de dire l’indicible. La question que se pose Jacques Hold à propos de Lol, « Où va-t-on avec elle ? », pourrait être formulée par le lecteur à propos de Duras.
Les motifs poétiques
La poésie suggère plus qu’elle n’explique. Elle révèle un sens jusque-là inconnu en offrant des images fragmentées. La romancière rejette, en effet, les portraits traditionnels reposant sur un ordre précis, si bien que les personnages sont construits par touches. Marguerite Duras exploite ainsi certains motifs privilégiés par les poètes.
La romancière a exprimé sa fascination pour Baudelaire. Elle emporte deux images évocatrices : la chevelure et la fenêtre. Dans ses Petits poèmes en prose, Baudelaire écrit : « Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j’entends dans tes cheveux ! » (Un hémisphère dans une chevelure) et « Il n’a pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle » (Les Fenêtres).
La chevelure
Les chevelures de Lol V. Stein, d’Anne-Marie Stretter et de Tatiana Karl sont évoquées à plusieurs reprises dans le roman.
Anne-Marie Stretter « était teinte en roux, brûlée de rousseur ». La couleur suggère à elle seule la dimension presque infernale du personnage. Lorsque Tatiana descend du car, le regard est attiré par « cette chevelure vaporeuse et sèche sous laquelle le très petit visage triangulaire, blanc, est envahi par des yeux immenses ». Les traits du visage s’effacent ainsi au profit des cheveux. Lol rappelle également à Tatiana Karl un souvenir lointain : « Tes cheveux défaits, le soir, tout le dortoir venait voir. » La chevelure de Lol V. Stein participe, elle aussi, à la caractérisation du personnage. Par une métonymie, le narrateur désigne l’héroïne par la couleur de ses cheveux : « Tout à coup, la blondeur n’a plus été pareille, elle a bougé puis elle s’est immobilisée. »
La fenêtre
La fenêtre a également une dimension éminemment poétique. À la fenêtre de l’Hôtel des Bois, ce n’est pas tant Jacques Hold et Tatiana Karl que Lol contemple, depuis le champ de seigle, que la puissance mystérieuse de l’amour.
Pour Lol, la fenêtre devient un « miroir qui ne reflétait rien et devant lequel elle devait délicieusement ressentir l’éviction souhaitée de sa personne ». Mais le traitement poétique du motif de la fenêtre ne permet pas à Duras de donner à son personnage l’accès à un autre monde.
Les procédés poétiques
Quand les personnages parlent, ils se comprennent souvent au-delà de ce qui est dit. Dans les dialogues, dont les répliques, souvent brèves, jouent sur les répétitions, Duras fait résonner les mots comme des formules magiques et incantatoires. « Elle vient de dire que Tatiana est nue sous ses cheveux noirs […]. J’entends : ‘nue sous ses cheveux noirs, nue, nue, sous ses cheveux noirs. »
Le langage dépasse ainsi la stricte fonction informative. La recherche poétique et esthétique est constante, l’instar du bal qui est comparé à une « épave » ou à un « navire de lumière ».
Conclusion
Par conséquent, l’écriture de Duras est reconnaissable par le rythme singulier et musical de ses phrases.
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