Coup de tonnerre en 2023 : le Japon a perdu sa troisième place au classement des puissances économiques mondiales, au profit de l’Allemagne. En effet, deuxième grand pays dans les années 1980, le Japon apparaît aujourd’hui comme une puissance en déclin, à l’ombre de son grand voisin chinois. Pourtant, on ne saurait enterrer trop vite le « pays du Soleil levant », qui a su montrer par le passé sa capacité de résilience. L’ère Meiji et l’après-Seconde Guerre mondiale sont l’illustration que le Japon a été capable de se relever quand tout était contre lui. Aujourd’hui, le pays doit trouver sa place et se réinventer pour espérer peser dans un système mondial en pleine mutation.
L’après 1945 et la reconstruction de la puissance japonaise
Après la Seconde Guerre mondiale, le Japon entreprend une reconstruction remarquable, transformant un pays dévasté en une puissance économique mondiale. Sous l’égide des réformes imposées par les États-Unis et grâce à une main-d’œuvre disciplinée et innovante, le Japon retrouve rapidement son élan. Trois grandes réformes sont imposées par les États-Unis : le démantèlement des monopoles (zaibatsu), une réforme agraire et la démocratisation des relations dans le monde du travail. À la fin de la guerre, les zaibatsu concentraient 40 % des capitaux propres des entreprises. De plus, l’article 9 de la Constitution de 1946 stipule que le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu’à la menace ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux.
Malgré cela, les années 1950 et 1960 voient une croissance fulgurante, propulsée par des industries phares, comme l’automobile, avec des entreprises emblématiques telles que Toyota et Honda, et l’électronique, dominée par Sony et Panasonic. La croissance est galopante (à deux chiffres) et l’économie japonaise est l’une des plus dynamiques dans les trente glorieuses, obligeant les États-Unis à prendre des mesures face à l’invasion des modèles japonais sur leur sol et un yen très bas par rapport au dollar.
Dans les années 1980, le Japon déstabilise même l’hégémonie américaine avec des achats symboliques, comme celui du Rockefeller Center à New York et des studios Columbia Pictures à Hollywood. Les accords du Plaza en 1985 conduisent à une forte appréciation du yen et à un rééquilibrage de la balance commerciale entre les deux pays. À l’aune des années 1990, le Japon est le deuxième grand derrière les Américains, et beaucoup d’économistes et d’historiens prédisent un dépassement dans les années à venir.
Les crises des années 1990 : vers un déclin du géant nippon ?
Néanmoins, les années 1990 marquent un tournant pour le Japon, souvent qualifiées de « décennie perdue ». Après une période de croissance fulgurante, le pays est frappé par l’éclatement d’une bulle immobilière spéculative entre 1990 et 1991, entraînant une crise financière sévère. L’effondrement des prix des actifs et une déflation persistante ont plongé le Japon dans une récession profonde. Les banques, alourdies par des prêts non performants, ont vu leur stabilité mise en péril, ce qui a freiné l’investissement et la consommation.
Malgré les tentatives de relance économique par des politiques budgétaires et monétaires agressives, le pays n’a pas réussi à retrouver son dynamisme antérieur. Le PIB japonais représentait 60 % du PIB américain avant 1990, contre 17 % aujourd’hui. Les années 2000 ont été marquées par une déflation continue, exacerbant la stagnation économique. Cette période a mis en lumière les défis structurels du Japon, tels que le vieillissement de la population et une rigidité du marché du travail, qui ont entravé la reprise.
Des réformes ont été entreprises, notamment sous l’ère des « Abenomics » du Premier ministre Shinzo Abe dans les années 2010. Sur le plan économique, le Premier ministre japonais a soutenu un plan de relance économique fort, portant la dette du pays à 260 % du PIB. En parallèle, des politiques monétaires ont été instaurées, avec notamment le recours à du quantitative easing. Malgré cela, le Japon a peiné à retrouver une croissance robuste, illustrant la fragilité persistante de son économie face aux chocs internes et externes.
Les défis économiques d’aujourd’hui pour la puissance japonaise
Aujourd’hui, le pays semble décrocher économiquement à cause notamment de certains éléments structurels propres au modèle japonais. La question du vieillissement est centrale pour le pays le plus vieux du monde, qui refuse d’autant plus le recours à l’immigration pour relever le taux de natalité. La faible efficacité des politiques natalistes pose question et les dirigeants peinent à trouver des solutions. Un habitant sur dix a plus de 80 ans, ce qui entraîne une baisse de l’offre de travail, de l’épargne privée, du dynamisme du marché intérieur.
Le Premier ministre Kishida déclarait il y a peu que « le Japon est sur le point de ne plus pouvoir fonctionner en tant que société ». Le déficit public du pays s’accroît sous le poids du système de santé et du système de retraite par répartition. Le Japon tente d’impulser des politiques visant à améliorer la productivité des travailleurs, à reculer l’âge de départ à la retraite et à inciter l’innovation (IA et Internet), notamment dans le domaine de la silver économie (ensemble des marchés, activités et enjeux économiques liés aux personnes âgées de plus de 60 ans).
Par exemple, l’entreprise nippone Oji Holdings a annoncé qu’elle arrêterait de produire des couches pour bébés afin de se concentrer sur les couches pour adultes. Pour pallier le manque de main-d’œuvre sur le marché du travail, le Japon mise sur la robotique et l’intelligence artificielle. On voit se développer ces dernières années des restaurants, des hôtels ou encore des usines où les employés sont remplacés par des robots humanoïdes, comme l’illustre l’Exposition internationale de robots au centre d’exposition international de Tokyo en 2023, où un robot trie et place des morceaux de poulet dans des boîtes.
Un déclin de son influence technologique
Le Japon fait face à une concurrence de plus en plus accrue de la part de certains pays, comme la Chine ou la Corée du Sud, dans certains domaines où il était auparavant leader, comme l’électronique, l’automobile ou la robotique. Par exemple, le Japon s’est vu rattrapé dans le secteur de l’automobile électrique, où le géant chinois BYD domine le marché mondial (premier producteur mondial de voitures électriques) et où le japonais Toyota peine à se démarquer. Selon une étude de l’université de Tokyo, l’archipel serait en retard d’un an et demi par rapport aux pays concurrents.
Cet affaiblissement serait dû à un écosystème de start-up « sous-développé » au pays du Soleil levant. En effet, ces dernières représentent un vivier d’innovation non négligeable pour un pays, renforçant ainsi la naissance de nouvelles technologies. La culture d’entreprise japonaise est souvent décrite comme étant rigide et hiérarchique. Cela peut entraver l’innovation, car les employés sont moins encouragés à prendre des risques ou à exprimer des idées nouvelles. La prise de décision lente et l’aversion au changement limitent également la capacité des entreprises japonaises à s’adapter rapidement aux nouvelles tendances technologiques. Le manque d’ingénieurs logiciels en matière d’intelligence artificielle fragilise par exemple le leadership technologique japonais. Le pays devrait connaître un déficit de 789 000 ingénieurs d’ici 2030.
Il existe tout de même des signes d’espoir. Le gouvernement et les entreprises japonaises ont commencé à prendre des mesures pour encourager l’innovation et la flexibilité, telles que la promotion des start-up, la réforme des réglementations et l’augmentation des investissements dans la recherche et le développement. De plus, le Japon a toujours un avantage dans des domaines comme la robotique, la fabrication de haute précision et la technologie verte, qui pourraient l’aider à regagner du terrain sur la scène technologique mondiale.
Un nain géopolitique
Au niveau géopolitique, le Japon est ce que l’on peut nommer un « nain géopolitique ». La Chine l’a remplacé dans sa zone d’influence (bien que voulu dans une certaine mesure, comme en témoigne le refus de leadership lors de la création de l’APEC). Les États-Unis sont chargés de la défense de l’archipel (article 9 de la Constitution), posant le problème de souveraineté, gage de puissance. Shinzo Abe a pourtant tenté de remédier à cela. Il s’est notamment engagé dans une modernisation de l’armement et de la capacité de projection du pays avec la construction de porte-avions ou encore l’achat de missiles Tomahawk aux États-Unis, et une révision de l’article 9 de la Constitution pour élargir la zone d’intervention japonaise et augmenter les capacités militaires du pays.
Le Japon a ouvert sa première base militaire à l’étranger depuis 1945 à Djibouti en 2011. Il a également mené une diplomatie active en Asie centrale et en Afrique, avec un engagement fort dans la Tokyo International Conference on African Development (TICAD), permettant un investissement de 30 milliards de dollars sur trois ans, et ainsi tenté d’incarner un partenaire de premier plan pour les pays africains, stratégiques pour la sécurisation des matières critiques. Néanmoins, le Japon ne peut rivaliser avec les grandes puissances, comme les États-Unis, la Chine, ou encore l’Inde.
« Géant économique, mais nain politique » : telle fut longtemps la formule magique japonaise qui lui avait permis une ascension fulgurante dans la deuxième moitié du XXe siècle (doctrine Yoshida). Or, dans un contexte de cristallisation des relations internationales, d’une arsenalisation du commerce et d’un retour de la realpolitik, le hard power redevient un élément central de la puissance contemporaine, ce qui nuit fortement à la puissance japonaise.
Conclusion
En résumé, le modèle japonais doit se réformer et se réinventer pour redevenir la puissance que le pays espérait être dans les années 1980. Il dispose d’avantages indéniables dans les hautes technologies, qu’il doit mieux exploiter pour dynamiser sa croissance économique. La question de la démographie est essentielle et l’ouverture semble inéluctable.
Enfin, l’ascension de la Chine fait de l’ombre à l’archipel, mais les difficultés récentes et l’image de « carnivore géopolitique » du géant chinois pourraient constituer une fenêtre d’opportunité pour le Japon afin de redevenir une puissance complète capable de se faire craindre. Le récent renforcement des liens militaires et de défense avec les États-Unis face à la menace chinoise pourrait aller dans ce sens, le pays constituant un allié de premier rang dans la zone pour les Américains.
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