Hongrie

Le 11 juillet, la députée européenne Valérie Hayer a déclaré : « Il est temps de mettre un terme à la présidence du Conseil dévoyée de Viktor Orban. » La présidente du groupe Renew Europe au Parlement européen a ensuite poursuivi en expliquant que « le Premier ministre hongrois sape les positions adoptées par l’Union européenne et agit à l’encontre de nos intérêts […]. Sa communication isolée n’est qu’un écran de fumée pour ses propres intérêts et échoue lamentablement ». Cette déclaration forte intervient quelques jours après la visite en Russie du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, qui vient de prendre la tête de la présidence du Conseil de l’Union européenne pour les six prochains mois.

Introduction

Parmi les trois principales institutions de l’UE, le Conseil de l’Union européenne partage avec le Parlement européen le pouvoir législatif et budgétaire. L’instance réunit les ministres nationaux des 27 États membres, et ce, en fonction des différents sujets (affaires économiques et financières, justice, agriculture, pêche, etc.).

Si la présidence du Conseil de l’UE est « tournante » et qu’elle change donc tous les six mois, de nombreux pays européens, à l’instar de la France, craignent que Viktor Orban ne profite de cette tribune médiatique et politique pour affirmer ses positions pro-russes et anti-immigration. Si Bruxelles est habituée au profil très populiste de Viktor Orban, ce sont surtout les positions de son gouvernement ces derniers mois qui font débat, habitué à utiliser de plus en plus fréquemment son droit de veto à l’échelle européenne.

Ainsi, la présidence hongroise est-elle une menace pour la cohésion de l’Union européenne et sa crédibilité géopolitique à l’international ? 

Intégration européenne et dérive autoritaire

Très vite, dès la chute du rideau de fer, la Hongrie a entrepris les procédures nécessaires afin d’intégrer l’UE et les institutions démocratiques occidentales. Déjà, en 1990, le pays intégrait le Conseil de l’Europe. Le 31 mars 1994, le Premier ministre hongrois de l’époque, Péter Boross, dépose officiellement la candidature du pays auprès des instances de l’UE. Cinq ans plus tard, les Magyars intègrent l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Et en 2004, le pays d’aujourd’hui 10 millions d’habitants devient officiellement membre de l’Union européenne.

Dirigée depuis maintenant quatorze ans par le Premier ministre populiste et nationaliste Viktor Orban, la Hongrie est aujourd’hui un régime hybride, à mi-chemin entre la démocratie et l’autocratie. En 2019, Péter Kreko, chercheur et opposant à Viktor Orban, déclarait que le pays avait « quitté les rivages de la démocratie sans pour autant avoir atteint ceux de la démocratie ». En 2023, Freedom House, qui établit chaque année un classement comparant la liberté d’expression dans le monde, a placé la Hongrie dans la catégorie « partiellement libre ». Un niveau comparable à l’Inde, au Sénégal ou encore à l’Albanie.

Les points de discorde entre Bruxelles et Budapest

Lors d’une résolution datant de juin 2023, le Parlement européen condamnait la Hongrie pour son non-respect du droit et des valeurs de l’UE, ainsi que « les efforts délibérés et systématiques du gouvernement hongrois pour saper les valeurs fondatrices de l’UE ». Corruption, menaces sur la liberté d’expression ou sur les droits des personnes LGBT, tels étaient les sujets reprochés au régime d’Orban et qui inquiétaient les hautes sphères bruxelloises.

Déjà en 2022, la Commission avait lancé une procédure visant à suspendre le versement des fonds européens de relance à la Hongrie. Le pays est également sous le coup d’une procédure d’infraction liée à une loi dite de protection de la souveraineté nationale, qui met en place une autorité de surveillance, disposant d’un pouvoir illimité pour demander des données sensibles et des informations privées à quiconque. Les journalistes, les syndicats ou encore les ONG sont évidemment en première ligne de cette législation, et l’ONG Transparency International est déjà sous le coup d’une enquête.

La question de l’aide à l’Ukraine et des sanctions russes

La Hongrie est l’un des derniers pays d’Europe, si ce n’est le dernier pays, qui ne condamne pas totalement l’agression russe en Ukraine. En effet, Budapest s’oppose aux aides européennes débloquées pour l’Ukraine. À l’image du veto posé à la fin de l’année 2023 concernant une enveloppe de plus de 50 milliards d’euros pour l’Ukraine. Malgré cela, Budapest a affirmé à travers son agenda stratégique la volonté de « poursuivre les travaux en se fondant sur les décisions et les lignes directrices fixées par le Conseil européen ».

Pour autant, seulement cinq jours après avoir pris ses fonctions, Orban s’est rendu en Russie dans le cadre d’une « mission de paix 3.0 » pour rencontrer Vladimir Poutine. Il s’agissait là de la première visite d’un dirigeant européen en Russie depuis la visite du chancelier autrichien, Karl Nehammer, en avril 2022. Charles Michel, président du Conseil européen, a immédiatement réagi en déclarant que « la présidence tournante de l’UE n’a pas de mandat pour engager le dialogue avec la Russie au nom de l’UE ». Viktor Orban est ainsi accusé, à juste titre, de saper la crédibilité de l’Union européenne, dans un contexte où elle doit être unie et agir de concert face à la Russie.

Le système de carte nationale hongrois

Le 2 août 2024, Viktor Orban a encore décidé de faire cavalier seul en autorisant en Hongrie l’assouplissement des exigences en matière d’obtention de visas pour les ressortissants russes et biélorusses. Le système de carte nationale hongrois simplifie les procédures de visa pour les travailleurs étrangers invités à travailler dans des secteurs spécifiques, et la Hongrie l’a étendu aux citoyens de Russie et de Biélorussie. Cette carte leur permet de séjourner aussi longtemps qu’ils le souhaitent, de faire venir leur famille et de potentiellement avoir accès à l’espace Schengen. La Commission européenne a immédiatement réagi en demandant des explications en la matière, car cela pourrait compromettre les normes de sécurité au sein de l’espace.

Malgré la guerre en Ukraine, les citoyens russes sont toujours autorisés à se rendre dans l’UE et l’espace Schengen, mais de nombreuses mesures, comme l’interdiction pour les compagnies aériennes russes d’opérer dans l’espace aérien de l’UE, ont rendu plus complexes les conditions d’accès pour les ressortissants russes.

La politique migratoire sera observée de très près

Orban est connu pour son discours anti-migratoire, lui qui en 2015 s’était opposé à l’accueil et au partage de réfugiés au sein des pays de l’UE afin de préserver les « racines chrétiennes de l’Europe ». La question des migrations et de l’asile sera au cœur des préoccupations affichées par Budapest pour ce mandat. La Hongrie s’oppose également à un nouveau plan européen adopté en mai 2024, le Pacte sur la migration et l’asile. Ce dernier prévoit notamment un mécanisme de solidarité en matière d’accueil entre les États membres. Ainsi, en juin dernier, la justice européenne a condamné le pays à une amende exceptionnelle de 200 millions d’euros pour « violation inédite du droit de l’Union », les autorités hongroises ayant construit des clôtures aux frontières du pays.

Coordonnée par Janos Boka, ministre hongrois des Affaires européennes, et Zoltan Kovacs, Secrétaire d’État chargé de la communication internationale, la présidence hongroise s’est lancée avec le slogan « Make Europe Great Again ». Celui-ci a évidemment provoqué l’ire des autres pays européens, qui y voient là une référence directe à Donald Trump, et surtout à l’autocratie vers laquelle Orban souhaite diriger l’UE. Pour rassurer ses partenaires, le gouvernement hongrois a présenté au courant du mois de juin un agenda stratégique dans lequel il présente ses objectifs pour les six prochains mois. Des thématiques comme les migrations, l’agriculture ou encore un futur élargissement de l’UE sont au centre des priorités.

La lutte contre l’antisémitisme et le droit des minorités

La Hongrie souhaite également mettre l’accent au cours de son mandat sur la lutte contre l’antisémitisme et sur le droit des minorités nationales. Elle entend approfondir les relations avec le Royaume-Uni et la Suisse, qu’elle considère comme des partenaires essentiels. Par le biais de son ambassadeur auprès de l’UE, Odor Balint, le gouvernement hongrois s’est ainsi employé à rassurer ses partenaires européens en déclarant que cette présidence « sera une présidence comme les autres. Nous serons des médiateurs honnêtes et nous essaierons de coopérer sincèrement avec les États membres et les institutions de l’UE ».

Quels sont les réels pouvoirs d’Orban à la tête du Conseil ?

En réalité, les pouvoirs d’Orban à la tête du Conseil de l’UE restent assez limités et, en seulement six mois, il ne pourra pas réellement bouleverser les équilibres européens. En effet, le programme des présidences est fixé à long terme et la Hongrie pourra, tout au plus, poser quelques jalons. D’autant plus que cette présidence intervient à un moment charnière, à savoir juste après l’élection du nouveau Parlement européen.

En effet, quelques semaines après les élections, l’heure est à la transition au sein des institutions. La nomination de la nouvelle Commission européenne va occuper les esprits au cœur des prochains mois et l’activité des eurodéputés sera nettement plus calme. Par conséquent, Orban ne pourra donc pas réellement s’imposer dans les négociations tripartites entre la Commission, le Conseil et le Parlement.

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