franc CFA

Dernier legs de l’époque coloniale française pour certains, formidable outil de stabilité économique pour d’autres, le franc CFA n’en finit plus d’alimenter les débats économiques en Afrique. La tendance est plutôt au pamphlet qu’à l’éloge au sein des milieux politiques africains et même internationaux. La plupart des pays utilisant cette devise monétaire cherchent à s’en débarrasser. Dernier exemple en date, le Sénégal et son nouveau président, Bassirou Diomaye Faye, ex-opposant de l’ancien président Macky Sall, semblent vouloir se détourner du franc CFA. Ce dernier semble donc plus que menacé dorénavant. Toutefois, ses alternatives plausibles sont-elles viables pour les 14 pays qui l’utilisent ?

Le franc CFA : c’est quoi ?

Créé en 1945 par la France, le franc CFA est la monnaie commune de 14 pays africains répartis en deux unions monétaires :

  • l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), avec le Bénin, le Togo, le Niger, le Mali, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau et le Sénégal (Dakar étant le siège de la BCEAO, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest) ;
  • la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), avec le Congo, le Gabon, la Centrafrique, le Tchad, la Guinée équatoriale et le Cameroun (Yaoundé étant le siège de la BEAC, Banque des États de l’Afrique centrale), représentant environ 160 millions d’Africains.

 

De 1960 à 1999, la monnaie est arrimée au franc et, depuis 1999, à l’euro avec un taux de change fixe de 655,97 francs CFA pour 1 €. Cette libre convertibilité assure au franc CFA une certaine stabilité économique et reste un argument de taille pour les investisseurs étrangers. Néanmoins, l’État français doit pour cela se porter garant en cas de défaillances des banques centrales africaines, car imprimer du franc CFA revient donc à imprimer de l’euro en raison de l’indexation.

Ainsi, en échange de cette garantie, les pays de la zone CFA sont dans l’obligation de déposer 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor français. En 2023, cela représentait environ huit milliards d’euros. C’est précisément cet accord qui est fustigé par les pays africains, qui estiment que la France cherche à garder la main sur leur économie dans une démarche paternaliste, voire néocolonialiste.

Une devise sous le feu des critiques

Les critiques comparant le franc CFA à un vestige de l’ère coloniale ne sont pas toutes jeunes. En effet, la Guinée (en 1960), le Mali (en 1962) et Madagascar (en 1973) ont, pour cette raison, choisi de quitter la communauté économique africaine pour créer leur propre devise monétaire. Bamako n’a toutefois eu d’autre choix que de réintégrer la zone CFA en 1984 à cause de ses terribles difficultés économiques.

En 1998, le journaliste français François-Xavier Verschave pointe à son tour du doigt les agissements économiques français en Afrique dans son livre la Françafrique, le plus long scandale de la république. Même le nom de la monnaie a longtemps été l’objet de polémiques. Effectivement, le sigle CFA désignait de 1945 à 1958 « colonies françaises d’Afrique », avant d’être remplacé par « communauté financière africaine » et « coopération financière africaine ».

Encore aujourd’hui, beaucoup estiment que le franc CFA limite la souveraineté économique et politique des pays de la zone CFA et les empêche parfois d’investir comme ils le souhaitent dans des projets de développement. En 1994, le FMI, la Banque mondiale et surtout Paris ont contraint les dirigeants de la zone CFA à accepter une dévaluation de moitié de leur monnaie en raison de leurs problèmes économiques. Pour l’ensemble de ces raisons, les pays de la zone CFA ont décidé de se passer du franc CFA et de mettre en place une nouvelle monnaie : l’eco.

L’eco : un mirage ?

Une idée pleine de promesses, mais difficile à mettre en place

Lors de la 42e session du Conseil de convergence de la zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest à Conakry en Guinée, le 23 août 2019, les huit pays de l’UEMOA, ainsi que le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, la Sierra Leone et le Nigeria, se mettent d’accord pour créer l’eco et le mettre en place pour le troisième trimestre 2020. Ce qui n’a jamais eu lieu. Le projet n’est pas nouveau, les premières discussions à son sujet datent des années 1960, soulignant l’envie de tous les pays africains de se défaire du franc CFA depuis longtemps.

Malgré ce premier échec, les pays concernés semblent déterminés à se passer du franc CFA et l’eco pourrait permettre la création d’une grande union monétaire africaine, la première du genre, regroupant plus de 350 millions de personnes au sein de la CEDEAO. En suivant le modèle de l’Union européenne, cette dernière pourrait booster les investissements intrarégionaux et la connectivité entre ses États membres, en réduisant les coûts liés au change entre les différentes monnaies qui la composent. Le commerce intra-africain n’est que de 10 à 15 %, là où le commerce intra-UE avoisine les 60 %.

Une monnaie commune pourrait être la clé pour relever ce défi et cela permettrait à la CEDEAO de devenir une ZIR (zone d’intégration régionale) qui compte à l’international. Les derniers chiffres de la Banque mondiale montrent que les taux de croissance régionaux sont en hausse : + 5,9 % en 2024 et + 6,2 % en 2025 pour l’UEMOA. Ainsi, s’affranchir du franc CFA permettrait à la zone de coupler son décollage économique à une indépendance financière.

D’autres pays sont plus pressés et cherchent désespérément à se défaire de la tutelle française, en particulier le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Bamako, Niamey et Ouagadougou ont d’ailleurs créé l’AES (l’Alliance des États du Sahel) en septembre 2023, après avoir quitté la CEDEAO, jugée trop pro-française, et comptent créer leur propre monnaie, le sahel.

Des obstacles insurmontables à sa mise en place ?

Ce changement économique drastique n’est pas sans risques. Abandonner un système de parité fixe peut être à l’origine de graves crises économiques. Ce fut notamment le cas en Argentine, en 2001. Buenos Aires avait abandonné la parité fixe entre le peso argentin et le dollar, créant une hyperinflation causée par la dévaluation de la monnaie et la peur des investisseurs. Le tout augmenta la pauvreté, causa une crise sociale, encore d’actualité aujourd’hui.

Au sein de la CEDEAO, la perspective de la mise en place d’une gigantesque union monétaire effraie la plupart des États membres en raison de l’omnipotence du Nigeria (qui représente 67 % du PIB de la zone) et de ses récentes difficultés économiques et sociopolitiques.

La traduction d’un recul de l’influence française en Afrique

La fin de la Françafrique

La volonté de se défaire du franc CFA est aussi liée à la perte d’influence de la France sur l’ensemble du continent africain. Lors de la tournée africaine d’Emmanuel Macron en 2023, le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, a résumé la pensée de la plupart des pays d’Afrique avec ces mots : « Le regard paternaliste de la France doit changer, car la Françafrique n’existe plus. Nous devons instaurer une politique d’égal à égal. »

Ces derniers temps, la France voit donc son influence régresser sur son ancienne chasse gardée. Un phénomène qui inquiète depuis plusieurs années l’ancien président Jacques Chirac, allant jusqu’à déclarer : « Sans l’Afrique, la France descendra au rang de puissance du tiers-monde. » Et l’abandon du franc CFA par 14 pays d’Afrique est donc vu par un mauvais œil à Paris.

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L’arrivée de nouveaux pays

La place laissée par Paris est désirée par de multiples acteurs. Outre les puissances chinoises et russes qui investissent le continent depuis des décennies et qui ont déjà signé de multiples accords commerciaux avec les pays de la zone CFA, on assiste à l’émergence de puissances endogènes. Au premier plan se trouvent l’Algérie et le Maroc, qui se livrent une nouvelle bataille pour influencer les pays du Sahel.

Le 13 février 2024, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a annoncé la création de zones franches avec le Mali et le Niger pour renforcer leurs liens. Quant au Maroc, le souverain Mohammed VI lui-même a mis en place l’Initiative Atlantique pour le Sahel avec les trois pays de l’AES et le Tchad, le 23 décembre 2023.

Le franc CFA est-il définitivement hors jeu ?

Malgré toutes les critiques et les volontés de s’en défaire, le franc CFA est toujours la monnaie officielle de 14 pays d’Afrique de l’Ouest et du centre. Mieux encore, le Nigeria, qui doit affronter une inflation de plus de 30 % depuis le début de l’année 2024 et qui a vu le cours du naira, la monnaie officielle, s’effondrer, a partiellement adopté le franc CFA. En effet, plusieurs régions nigérianes frontalières de pays de la zone CFA ont officieusement commencé à utiliser le franc CFA dans la plupart de leurs transactions commerciales. Le même phénomène a pu être observé au Ghana, qui rencontre lui aussi des difficultés avec sa monnaie, le cedi.

Cela s’explique par le fait que le franc CFA est devenu une monnaie refuge au sein d’un continent qui doit affronter les taux d’inflation les plus importants au monde. Sa relative stabilité et le fait qu’il soit arrimé à l’euro, une des monnaies les plus fortes et stables du monde, rassurent les investisseurs et les créanciers. Ainsi, la raison pour laquelle la plupart des pays de la zone CFA souhaitent abandonner le franc CFA est aussi la raison pour laquelle cette monnaie est si prisée actuellement. Ce qui ne manque pas d’alimenter les controverses…

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