Le 29 juillet dernier, la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, était à Pékin pour tenter de relancer les relations bilatérales avec la Chine. C’est son tout premier déplacement en Chine depuis son accession au pouvoir, mais surtout depuis le retrait à l’automne dernier de son pays du projet des nouvelles routes de la soie. Elle a souligné que sa visite coïncidait avec un « double anniversaire » : les 20 ans du partenariat stratégique signé entre la Chine et l’Italie, et les 700 ans de la mort de Marco Polo. « C’est un anniversaire qui définit l’ancienneté et la profondeur de notre relation, des relations entre deux civilisations héritières d’une culture vieille de plusieurs milliers d’années », a-t-elle déclaré.
Les deux anniversaires ont été célébrés avec l’organisation de deux évènements
L’organisation de la septième édition du Forum entrepreneurial Italie-Chine lors de laquelle Pékin a accueilli la table ronde « L’Italie investit en Chine : tendances et perspectives », organisée par Confindustria et la Chambre de commerce italienne en Chine (CCIC). 115 entreprises et associations professionnelles italiennes, dont Leonardo, Pirelli, Fincantieri, Stellantis et Iveco, y ont participé. Du côté chinois, des représentants de Huawei, ZTE, Geely, et Dongfeng ont également pris part aux discussions, notamment autour de projets de collaboration pour l’ouverture de lignes de production en Italie.
L’exposition Voyage de la connaissance, Il Milione de Marco Polo et son héritage entre l’Orient et l’Occident a été inaugurée à Pékin le 29 juillet par Meloni et le ministre chinois de la Culture, Sun Yeli, au China World Art Museum à Pékin.
Lors de cette rencontre, la Chine s’est engagée à accroître « les importations de produits italiens de haute qualité », espérant de l’Italie « un environnement commercial juste, transparent, sûr et non discriminatoire pour ses entreprises ».
Quelques chiffres
L’Italie est le quatrième partenaire commercial de la Chine au sein de l’UE, et la Chine est le plus grand partenaire commercial de l’Italie en dehors de l’UE, après les États-Unis.
Le commerce annuel entre l’Italie et la Chine s’élève à 73,9 milliards d’euros (80 milliards de dollars).
Le stock d’investissements directs italiens à l’étranger en Chine s’élève à 15 milliards d’euros, et plus de 1 600 entreprises italiennes sont actives, notamment dans le textile, l’ingénierie mécanique, les produits pharmaceutiques, l’énergie et les industries lourdes.
Au premier trimestre de cette année, le total des échanges d’importation et d’exportation entre la Chine et l’Italie a augmenté de 4 % par rapport à l’année précédente, démontrant ainsi une forte résilience.
Les deux parties ont coopéré pour établir 12 Instituts Confucius (créés en 2004 par le Parti communiste chinois, ils sont rattachés à des universités, avec une mission de soft power dans le monde), et 39 Classes Confucius en Italie.
Italie-Chine : une relation culturelle et historique
L’Italie est un des rares pays européens à avoir une relation culturelle et historique avec la Chine, laquelle remonte à Marco Polo, explorateur et marchand vénitien qui a voyagé à travers l’Asie sur la route de la soie au XIIIe siècle et dont le récit Le Livre des merveilles a éveillé un grand intérêt en Europe pour la Chine, influençant à la fois la vision de l’Orient et stimulant les échanges commerciaux.
En 1952, Ferruccio Parri a fondé le Centre d’études pour le développement des relations économiques et culturelles avec la Chine. Le nombre d’étudiants chinois en Italie et d’étudiants italiens en Chine continue de croître, et l’engouement pour l’apprentissage de la langue chinoise continue de prospérer en Italie.
Après le succès de l’Année de la culture et du tourisme Chine-Italie en 2022, les deux pays ont coopéré pour organiser une série d’évènements culturels cette année (dont l’exposition au World Art Museum à Pékin), pour commémorer le 700e anniversaire du décès de Marco Polo, affirmant l’importance des échanges et de l’apprentissage mutuel entre les civilisations.
Les relations diplomatiques entre les deux pays ont débuté en 1970 avec la reconnaissance de la République populaire de Chine et la rupture des relations diplomatiques avec la province autonome de Taïwan par l’Italie.
Depuis, les relations bilatérales Italie-Chine ont connu d’importants développements
- 1978 : Accords Italie-Chine de coopération culturelle, ainsi que de coopération scientifique et technologique.
- 1984 : Protocole sino-italien de coopération scientifique et technologique dans le domaine spatial.
- 1991 : Accord sino-italien sur la coopération économique, accord sino-italien sur l’exploitation pacifique et la coopération en matière de recherche spatiale.
- 2004 : Création du Comité intergouvernemental Italie-Chine.
- 2009 : Participation de la Chine au G8, signature de neuf accords bilatéraux de coopération et de développement avec l’Italie.
- 2019 : Coopération Italie-Chine consolidée avec trois protocoles d’accord sur Ceinture et Initiative Route, e-commerce et start-up.
2019-2023 : bilan de cinq ans au sein des Routes de la soie chinoises
En 2019, l’Italie est devenue le premier pays du Groupe des Sept (G7) et la seule grande puissance d’Europe occidentale à rejoindre la Belt and Road Initiative (BRI) et ainsi à collaborer avec Pékin sur ce gigantesque programme d’investissement, au moment où sa dette publique devenait insoutenable.
« Cette entente promettait de créer des accords qui auraient pu apporter jusqu’à 20 milliards d’euros, mais à cause de l’opposition de Washington et des changements successifs de gouvernement, ce projet a produit très peu de résultats en Italie, pour ne pas dire presque aucun », estime le Corriere della Sera.
Les points positifs : un développement du commerce multifacette
Le cadre de l’accord a permis des investissements massifs (plus de 2,8 milliards de dollars), par le biais d’entreprises d’État chinoises, en particulier dans des hubs indispensables au commerce italien tels que les ports de Gênes et de Trieste, considérés comme des portes d’entrée vers la Chine dans le protocole d’accord signé en 2019. Bien que celui-ci ne soit pas contraignant, des facteurs administratifs et politiques ont limité l’engagement de la Chine dans ces ports.
L’Italie a attiré les principaux constructeurs automobiles chinois, GAC et Geely, qui ont installé leurs centres de conception européens à Milan. Pékin a également consenti à des investissements dans des entreprises structurantes, comme Fiat Chrysler. De même, Cosco Shipping a annoncé l’acquisition du fournisseur de services logistiques italien Trasgo en 2024.
La coopération bilatérale dans des domaines tels que la fabrication haut de gamme, l’énergie propre, l’aérospatiale, l’intelligence numérique, la médecine et la santé a été fructueuse, montrant de larges perspectives. Au fil des ans, la part des biens de consommation et des produits alimentaires italiens dans les exportations vers la Chine a augmenté d’environ 40 %, tandis que les exportations industrielles chinoises vers l’Italie se sont développées parallèlement à la diminution de la part des produits de consommation. Ainsi, le rebond du marché chinois du luxe a contribué à la croissance à deux chiffres des expéditions italiennes de maroquinerie et d’habillement vers la Chine.
Ainsi, entre 2019 et 2023, les exportations chinoises vers l’Italie ont augmenté de 50 %, et les exportations italiennes vers la Chine ont augmenté de 48 %. Les exportations de l’Italie vers la Chine ont dépassé les trois milliards d’euros (3,3 milliards de dollars) en février 2023, soit + 131 % par rapport à l’année précédente, après + 137 % le mois précédent.
Les points négatifs : Rome n’y a jamais trouvé son compte
Pour l’Italie, le déséquilibre était trop grand. Les investissements promis dans les ports de Trieste et de Gênes n’ont rien produit de concret, et la balance commerciale n’a cessé de pencher en faveur de Pékin. Les exportations italiennes vers la Chine n’ont augmenté que de 19 %, pour atteindre 17 milliards de dollars entre 2019 et 2022, tandis que ses importations en provenance de Chine ont bondi de près de 71 %, pour atteindre 60 milliards de dollars au cours de la même période, selon le FMI. La France et l’Allemagne, qui n’ont pas intégré ce programme, avaient davantage d’échanges commerciaux avec la Chine que l’Italie.
Il n’y a eu que trois grands projets d’investissement chinois (pour une valeur de transaction supérieure à 100 millions de dollars) en Italie entre 2019 et 2023. Depuis 2019, la Chine a bel et bien investi davantage dans des grands projets situés dans des pays participant à l’initiative des Routes de la Soie, mais la plupart des projets concernent le secteur de l’énergie ou se concentrent dans des pays plus alignés politiquement, comme la Hongrie et non comme l’Italie.
Pour le gouvernement d’extrême droite italien, les bénéfices économiques étaient bien trop faibles au regard du coût politique d’un rapprochement avec Pékin, qui soutient la Russie dans sa guerre en Ukraine et dont les relations avec les États-Unis sont instables.
L’Italie, cheval de Troie de la Chine en Europe ?
Emmanuel Macron a indiqué en janvier 2018 que les projets chinois « ne peuvent être des routes de l’hégémonie qui mettent en état de vassalité les pays qu’elles traversent ». La même année, la Commission européenne a présenté un document très ferme où la Chine est présentée comme un « concurrent stratégique en quête de leadership technologique » et un « rival systémique ».
Pour l’Allemagne et la France, tout destine l’Italie à devenir le cheval de Troie de la Chine en Europe. Après la Grèce, qui lui a vendu le port du Pirée, le Portugal qui lui a confié le financement de l’agrandissement du port de Sines et la Hongrie qui l’a mandatée de moderniser la ligne de train Belgrade-Budapest, l’Italie annonce qu’elle va offrir des facilités à la Chine dans le port de Trieste, sachant qu’elle a déjà cédé le développement de la téléphonie mobile de 5e génération à la firme Huawei.
La Chine a donc plusieurs relais d’influence en Europe et cela inquiète également les États-Unis, qui sont d’ailleurs intervenus au Portugal pour s’opposer au rachat de l’EDF portugais par la Chine. Les États-Unis, tout comme l’Union européenne, voient dans l’adhésion de l’Italie aux nouvelles routes de la soie, une stratégie de la Chine pour étendre son influence à l’Ouest, en particulier dans les pays fortement endettés (la dette publique de l’Italie est la plus élevée de la zone euro, après la Grèce).
Pourquoi l’Italie s’est-elle retirée de l’accord avec la Chine sur les Nouvelles routes de la soie ?
Après une expérience de cinq ans, le gouvernement de Giorgia Meloni a déclaré en 2023 qu’il se retirait de l’initiative chinoise des routes de la soie. Ce retrait s’explique d’abord par le fait que l’adhésion de Rome n’a pas produit les résultats escomptés par la troisième économie de la zone euro, et que donc l’accord n’a apporté aucun avantage à l’Italie, comme expliqué précédemment.
Le retrait italien s’explique aussi par l’amorce d’une nouvelle vision des relations économiques et diplomatiques entre l’Union européenne et la Chine, sous l’influence des États-Unis. En effet, selon l’ancien ambassadeur italien auprès de l’OTAN, cette collaboration entre la Chine et l’Italie n’est aujourd’hui plus possible, « puisqu’il existe désormais une position officielle vis-à-vis de la Chine au sein du G7 qui s’appelle l’atténuation des risques (de-risking) ».
Selon lui, dans ce contexte, « les États-Unis ont clairement fait savoir à l’actuel gouvernement italien que cette participation était incompatible avec la position de l’Italie au sein du G7 ». L’Italie s’est donc retirée sous la pression des États-Unis qui s’inquiétaient de l’influence économique de la Chine, et cherche désormais à développer davantage des relations bilatérales en dehors de ce cadre. Tout en instaurant des distances avec l’accord sino-italien de 2019, l’Italie chercherait à maintenir les liens commerciaux avec la Chine, notamment par la voie diplomatique.
Mais il convient de souligner que l’Italie n’est pas la seule à avoir pris ses distances
Contrairement au partenariat gagnant-gagnant promis par Pékin, les deux tiers des pays impliqués dans les Nouvelles routes de la soie se retrouvent lourdement endettés. Les investissements chinois se révèlent être en réalité des prêts à taux d’intérêt élevés que ces pays ne parviennent plus à rembourser, les forçant parfois à céder leurs infrastructures. Comme ce fut le cas pour le Sri Lanka qui a cédé à la Chine le port de Hambantota, lequel avait été bâti avec des prêts chinois, pour une durée de 99 ans. C’est ce qu’on appelle le « piège de la dette ».
La phase post-BRI à partir de 2024
Un Plan d’action triennal 2024-2027 a été signé le 29 juillet dernier pour expérimenter de nouvelles formes de partenariat. Il définit six secteurs comme prioritaires : le commerce et l’investissement, la finance, l’innovation scientifique et technologique, l’éducation, le développement vert et durable, la santé et les relations culturelles entre les peuples.
Que peut-on dire de l’impact du retrait italien des Routes de la soie ?
Il est bien sûr trop tôt pour évaluer l’impact du retrait italien des Routes de la soie, mais il est intéressant de voir ce qu’il pourrait se passer.
- Exportations italiennes en Chine. L’industrie italienne des produits de consommation et des aliments et boissons pourrait continuer à bénéficier d’un marché du luxe stable et d’une forte consommation de services en Chine. Aussi, le marché chinois du luxe devrait continuer à croître en 2024, ce qui pourrait être une bonne nouvelle pour la production italienne de cuir et de textile.
- Importations italiennes de Chine. Les moteurs actuels des exportations chinoises, à savoir les véhicules électriques et les panneaux solaires, devraient continuer à se développer sur les marchés européens, et en particulier l’Italie (la faible pénétration des véhicules électriques en Italie, par rapport à d’autres grands pays européens, révèle un grand potentiel de marché).
La Chine pourrait néanmoins réagir aux réglementations et enquêtes de l’UE sur les produits chinois, ce qui pourrait affecter les exportations italiennes. Bien que les produits ciblés soient souvent symboliques ou économiquement importants pour le pays concerné, ils sont généralement moins significatifs pour la Chine. Un exemple récent est l’enquête antidumping de la Chine sur le brandy européen (la Chine affirmait que les producteurs européens de brandy vendaient leurs produits en Chine à des prix inférieurs à ceux du marché), en janvier 2024.
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