Les élections basques du 21 avril 2024 ont marqué un tournant politique inédit. En cause : la percée historique d’EH Bildu. Mais comment un parti encore marginalisé pour ses liens historiques avec l’ETA a-t-il pu s’imposer comme une force politique incontournable du Pays basque ? Dans cet article, je commencerai par une présentation globale de l’ETA. Ce sont des notions que tu dois connaître pour bien comprendre les événements récents.
L’ETA ou le plus grand groupe terroriste espagnol
Pour mieux comprendre le résultat des dernières élections, revenons brièvement sur l’ETA en quelques dates clés.
1959 : la création de l’ETA
L’ETA ou Euskadi Ta Askatasuna (« Pays basque et liberté » en basque) était une organisation séparatiste armée fondée par un groupe de jeunes nationalistes basques, insatisfaits de l’attitude modérée du PNV durant la dictature franquiste. Pendant cette époque, Francisco Franco réprimait la culture et la langue basques (euskara), ce qui ne plaisait donc pas aux habitants du Pays basque.
Dans les années 1960, une série d’assemblées sont organisées pour en définir les caractéristiques. L’ETA opte pour la gauche et se définit comme socialiste, bien qu’elle finisse par être une organisation marxiste-léniste. Ses objectifs sont clairs : l’indépendance du Pays basque, la protection de l’euskara et la défense de la démocratie. Comment ? Par la lutte armée. L’ETA est ainsi rapidement devenue l’un des mouvements les plus violents d’Europe, menant une sanglante campagne d’attentats à la bombe et d’assassinats pour imposer son rêve d’indépendance basque.
1961 : la première action violente
Ses membres tentèrent (et échouèrent) de faire dérailler un train occupé par des franquistes se rendant à Saint-Sébastien pour célébrer le 25e anniversaire du coup d’État de 1936.
1968 : le premier assassinat
En 1968, le meurtre d’un policier espagnol, José Antonio Pardines, est le premier attentat mortel officiellement attribué à l’ETA. Dans les années 1970, l’ETA continue à viser des membres haut placés des forces armées et de la Guardia Civil, notamment le chef du gouvernement de Franco, Luis Carrero Blanco.
Les années 1980 : la décennie la plus meurtrière
Durant les années 1980, l’ETA s’en prend de plus en plus à des civils et commence ainsi à susciter un tollé général. Une série d’attentats meurtriers marque cette période, mettant en péril la très délicate transition démocratique. Par exemple, en 1987, l’atentado de Hipercor fait 21 victimes sur le parking d’un hypermarché de Barcelone.
Au même moment s’organise en Espagne la Guerra Sucia (« guerre sale »). En réponse à la violence de l’ETA, le gouvernement espagnol finance officieusement des groupes antiterroristes de libération (GAL), ce sont des mercenaires de l’organisation paramilitaire. Lorsque l’implication du gouvernement a été rendue publique à la fin des années 1980, ces actions illégales font scandale et sont condamnées par la communauté internationale pour abus de pouvoir et violation des droits de l’homme. En effet, cette lutte clandestine a donné lieu à des enlèvements et à des assassinats ciblés qui ont fait une vingtaine de victimes.
Une tentative de trêve est ensuite initiée en 1987 par le gouvernement de Felipe González (PSOE), mais aucun accord durable n’est atteint.
Les années 1990-2000 : entre négociations et cessez-le-feu
En 1997, l’indignation nationale éclate lorsque Miguel Àngel Blanco est enlevé, puis retrouvé mort et menotté avec deux balles dans la tête. L’exécution de sang-froid de ce conseiller municipal basque marque un véritable tournant. Il est le « suicide de l’ETA », car il signe le début de la mobilisation d’une société qui outrepasse sa peur pour rejeter définitivement le terrorisme.
- 1998 : l’ETA annonce une trêve qui ne durera qu’un an, période qu’elle met à profit pour se réorganiser et se réarmer.
- 2006 : le gouvernement de Zapatero obtient un cessez-le-feu permanent de l’ETA que les militants basques appellent le « processus de Genève », mais celui-ci est rompu neuf mois plus tard après un attentat à la voiture piégée à l’aéroport de Madrid qui tua deux personnes. Trois membres de l’ETA sont alors jugés et condamnés.
El « 11-M » : le traumatisme national
Tu dois savoir qu’en cette année 2024, l’un des attentats les plus meurtriers du XIXe siècle a marqué ses 20 ans. En effet, le 11 mars 2004, toute l’Europe avait été horrifiée par le décès de 192 personnes à la suite de l’explosion de 10 bombes placées dans des trains de banlieue à Madrid.
Alors en pleine campagne électorale pour des élections législatives prévues trois jours plus tard, le chef du gouvernement José María Aznar (PP) avait rapidement désigné l’ETA comme le principal responsable, refusant de reconnaître le caractère islamiste de ces attaques, qui auraient pu être interprétées comme des représailles pour la participation de l’Espagne à la guerre d’Irak, une intervention rejetée par une grande majorité de la population espagnole.
Pourtant, quelques jours plus tard, les enquêteurs retrouvent une cassette vidéo qui confirme la revendication des attentats par Al-Qaïda. Le discours nourri par la droite pendant plusieurs jours, fondé sur le complotisme, la victimisation et l’accusation de l’ETA, aura eu raison de sa victoire. Alors que les sondages annonçaient le PP gagnant avant l’attentat, c’est finalement Zapatero (PSOE) qui en est sorti vainqueur.
Les années 2010 : la fin de l’ETA
- 2011 : l’ETA annonce la cessation définitive de ses activités armées.
- 2018 : l’ETA est officiellement dissoute. Finalement, le groupe laisse derrière lui plus de 800 morts et des milliers de blessés, sans compter le traumatisme subi par toute une génération d’Espagnols.
Que se passe-t-il aujourd’hui après la fin de l’ETA ?
La dissolution officielle de l’ETA en un coup de plume laisse indéniablement un goût d’inachevé. Si l’organisation a déposé les armes, une nouvelle guerre commence : celle du pardon et de l’oubli. La paix et la réconciliation sont indéniablement des processus lents et complexes. Sans compter que, contrairement à la France, l’Espagne refuse encore d’envisager toute mesure d’allègement ou de libération pour les anciens membres de l’ETA, au risque de maintenir la plaie ouverte pour longtemps encore. D’autant plus que des militants basques continuent à être jugés. C’est notamment le cas d’Egoitz Urruticoechea, ex-membre de l’ETA, condamné trois fois et qui a demandé à être rejugé en avril 2024.
Aujourd’hui, l’enjeu est d’éviter tout prétexte possible à la renaissance de l’ETA. En effet, il serait naïf de considérer que l’indépendantisme basque a disparu, mais il est clair que les aspirations nationalistes transitent désormais par voie démocratique.
Résultat des élections
Tu dois d’abord savoir qu’en plus de la branche politique du PP (Partido Popular Vasco, PPV) et du PSOE (Partido Socialista de Euskadi, PSE-EE) au Pays basque, la région est principalement dominée par deux forces nationalistes.
Partido nacionalista vasco (PNV)
Traditionnellement la force politique dominante au Pays basque, le PNV a dirigé la région quasiment sans interruption depuis 1980. Il est favorable à son autonomie, mais prône une voie plus modérée et pragmatique que l’indépendance totale.
Euskal Herria Bildu (EH Bildu : « Rassembler le Pays basque »)
EH Bildu est une coalition de partis indépendantistes de gauche, dont le plus important est Sortu, un héritier politique de Batasuna, une organisation d’extrême gauche interdite depuis 2003 en Espagne pour ses liens avec l’ETA. Son leader est Arnaldo Otegi, personnage polémique pour avoir été incarcéré plusieurs fois, notamment en 1987 pour appartenance à l’ETA ou en 2011 pour avoir tenté de reformer Batasuna.
Le 21 avril 2024, EH Bildu a atteint un score historique de 32 % des suffrages, remportant ainsi 27 sièges au Parlement basque, soit le même nombre que le PNV. Bien que les deux partis soient désormais à égalité, il est crucial de remarquer le léger recul du PNV. En effet, en comparaison avec les élections de 2020, le parti a perdu 4 sièges au Parlement, tandis que Bildu en a gagné 6.
Le vote des jeunes : l’explication d’un tel séisme politique ?
L’erreur à ne pas faire en khôlle ! Alors que les élections catalanes du 12 mai 2024 ont été marquées par la défaite de l’indépendantiste Carles Puigdemont (pour en savoir plus, clique ici), tu pourrais facilement être amené(e) à conclure que la percée d’EH Bildu souligne au contraire un regain de l’indépendantisme basque. Mais la réalité est plus complexe…
La percée de Bildu illustre l’usure du PNV, après 44 ans d’hégémonie quasi impériale
Ce dernier semble effectivement incapable de trouver une relève générationnelle assurée. Son nouveau candidat pour 2024, Imanol Pradales, n’avait rien de cet air vitaminé et renouvelé auquel les jeunes électeurs aspirent aujourd’hui.
À l’inverse, le candidat de Bildu, Pello Otxandiano, âgé de 41 ans, vêtu d’un jean et d’un tee-shirt, n’hésitait pas à utiliser des mots tels que « progressiste » ou « gauche », et à jouer sur la crise des services publics, attirant ainsi le vote des jeunes et de la classe moyenne. Bildu incarne ainsi un parti qui apporte du sang neuf, face à un PNV vieillissant.
Une stratégie électorale gagnante
Mais, plus encore, EH Bildu a su mener ces dernières années une stratégie électorale gagnante (normalización del partido) en mettant au second plan ses revendications indépendantistes pour se focaliser sur les questions sociales, environnementales, féministes… qui touchent particulièrement la jeunesse.
Ainsi, la plupart des jeunes Espagnols de gauche, n’ayant pas connu le terrorisme de l’ETA, n’hésitent pas à donner leur voix à Bildu, non plus en raison d’un idéal indépendantiste, devenu aujourd’hui presque dérisoire, mais plutôt par sensibilité aux enjeux sociétaux actuels.
C’est ainsi qu’est apparu un débat sur la question de la memoria colectiva
Beaucoup craignent que l’histoire de l’ETA ne soit pas suffisamment enseignée aux jeunes, ce qui pourrait entraîner une méconnaissance des événements passés et de leurs répercussions sur la société actuelle. Alors que la société basque est tentée par une amnésie facile plutôt que d’affronter son passé marqué par le terrorisme, il ne faut pas que tu hésites à souligner la nécessité de lutter contre l’oubli en faveur de la dignité des victimes.
Je t’invite à te renseigner au sujet du roman Patria de Fernando Aramburu qui est parfait pour illustrer en khôlle cette tension entre pardon et oubli. À travers le récit de Bittori, la veuve d’un chef d’entreprise assassiné par l’ETA pour avoir tardé à payer l’impôt révolutionnaire, l’auteur relate à quel point il est douloureux de se remémorer ces décennies de sang et d’horreur, mais surtout le combat qui persiste pour restituer la vérité et la mémoire des victimes.
¿Es legal llevar a terroristas, condenados por delitos de sangre, a unas elecciones?
C’est LA polémique que tu dois soulever en khôlle.
Bien qu’EH Bildu ait été légalisé en 2014 comme parti politique, la maire madrilène, Isabel Díaz Ayuso, a qualifié le parti d’« anomalía democrática ». En effet, non seulement le parti refuse aujourd’hui encore de qualifier l’ETA de groupe terroriste mais, en plus, 44 candidats figurant sur ses listes électorales ont été condamnés pour appartenance à l’ETA, dont sept pour assassinat. C’est pourquoi Feijóo a demandé une modification de la loi car « los verdugos no pueden gobernar a las víctimas ».
À l’inverse, la Présidente de Navarre a affirmé que toutes les candidatures d’EH Bildu sont parfaitement légales et que l’avenir de la société basque doit se construire avec EH Bildu, que cela plaise ou non, car l’ETA appartient au passé. Elle va jusqu’à considérer que « pasar de la violencia para imponer las ideas, a las palabras, es un éxito de la democracia ».
Un débat qui embarrasse Pedro Sánchez. Alors qu’au niveau local, les socialistes excluent toute alliance avec EH Bildu, au niveau national, le gouvernement a besoin de toutes les voix des élus séparatistes pour avoir la majorité au Parlement, y compris des six députés de Bildu. Vox et le PP accusent ainsi le PSOE d’avoir accordé à Arnaldo Otegi une « amnistía encubierta » pour gagner son soutien et rester au pouvoir.
Conclusion
Les temps ont changé depuis la fin de l’ETA en 2011. Bien que les partis qui se disputent l’hégémonie soient nationalistes, la société est devenue plus sensible aux enjeux sociaux qu’aux questions territoriales. Un tournant que Bildu a su manier à la perfection pour gagner des voix.
Tu dois néanmoins mettre en évidence qu’il convient de relativiser cette montée en puissance de l’indépendantisme basque. Si l’âme « indépendantiste » du parti vient à l’emporter sur la « gauche », les jeunes électeurs pourraient s’en détacher. De plus, ces résultats « spectaculaires » n’ont vraisemblablement pas modifié la scène politique basque, puisque le PNV a continué à gouverner en formant une nouvelle coalition avec le PSOE.
Vocabulaire
Avant de terminer, voici une liste de vocabulaire que tu dois absolument maîtriser.
- Un siège au Parlement = un escaño
- La percée politique = un impulso político
- L’usure = el desgaste
- L’échiquier politique = el tablero político
- Un assassinat politique = un asesinato político
- Une voiture piégée = un coche bomba
- Tirer sur quelqu’un = disparar a alguien
- Faire dérailler un train = hacer descarrilar un tren
- Un cessez-le-feu = un cese al fuego
- Une trêve = une tregua
- Un bourreau = un verdugo
- Une cicatrice encore ouverte = una herida que sigue abierta
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