« La guerre n’est que la simple continuation de la politique par d’autres moyens. » Cette formule célèbre, issue des réflexions du stratège prussien Carl von Clausewitz, publiées en 1832, atteste du fait que la guerre n’est qu’un instrument parmi d’autres du politique pour atteindre ses objectifs. Clausewitz nous suggère aussi que la nature des conflits est politique. Sa source n’est donc pas à chercher, comme cela est souvent évoqué, dans des haines millénaires ou des considérations qui seraient de l’ordre du pulsionnel ou de l’irrationnel. Le conflit repose d’abord et avant tout sur des clivages construits et diffusés par des acteurs politiques. La compréhension des conflits suppose donc une étude approfondie des acteurs, de leurs motivations et de leurs représentations politiques.
Major-Prépa te propose ici un focus sur le caractère protéiforme de la guerre : quelles sont les différentes formes de guerres et comment se manifestent-elles ?
La représentation
C’est un élément essentiel pour identifier et comprendre les typologies des guerres et des conflits. La multiplication des acteurs dans les conflits rend nécessaire l’étude des représentations géopolitiques. En effet, pour éviter que la compréhension d’un conflit soit unilatérale ou partisane, l’ensemble des revendications et des positions des acteurs doit être pris en considération, en incluant leurs représentations.
Le géopoliticien français, Yves Lacoste, est l’un des premiers théoriciens du concept de représentation, au sens géopolitique du terme. Il la définit comme la manière dont les acteurs s’identifient et légitiment leur action au nom de valeurs culturelles ou politiques, d’une histoire ou d’une idéologie. Au cours d’un conflit, l’action des différents acteurs trouve ainsi souvent sa légitimité dans des représentations profondément ancrées dans les imaginaires.
Pour illustrer ce propos, on peut prendre comme exemple le conflit russo-géorgien de 2008, qui permet de mieux comprendre l’importance des représentations et de la dichotomie alors en jeu. Dans la nuit du 7 au 8 août 2008, l’armée géorgienne lance une offensive en Ossétie du Sud, une région sous protection d’une force de maintien de la paix russe. Cette attaque permet ainsi à la Russie d’intervenir en Géorgie, au nom de la « paix », et de déclencher une guerre éclair qui se soldera par une défaite géorgienne et un cessez-le-feu signé seulement huit jours plus tard, le 16 août 2008.
Derrière les faits, on trouve deux représentations contradictoires
Du côté géorgien, c’est l’espoir d’un ancrage euro-atlantique, ouvert après la Révolution des Roses de 2003 et porté par le président Mikhail Saakachvili. En 2008, cet espoir semble se concrétiser avec l’ouverture de négociations avec l’OTAN.
Du côté russe, on retrouve la volonté de maintenir une influence régionale, qui semble en partie répondre à une peur ancienne de l’encerclement. Pour la Russie, l’extension de l’OTAN en Europe est vue comme un phénomène ayant pour but de la concurrencer, voire de la menacer dans ce qu’elle nomme « étranger proche ».
La prédominance des guerres intra-étatiques
Aujourd’hui, la grande majorité des conflits sont des guerres intra-étatiques, impliquant un ou plusieurs acteurs non étatiques (milices, populations civiles, groupes terroristes).
Cette suprématie actuelle des guerres intra-étatiques peut être expliquée par trois principales raisons : la première tient du fait de la fragilité des États multinationaux, comme ce fut le cas pour la Russie postsoviétique et les deux guerres en Tchétchénie. La deuxième réside dans la décomposition d’États issus de la décolonisation, comme la Somalie, par exemple. Le troisième facteur explicatif vient de la montée des idéologies extrémistes, appuyées par le djihadisme radical mené par l’État islamique ou encore al-Qaïda.
Depuis la fin de la Guerre froide, il y a moins de guerres inter-étatiques et plus de guerres intra-étatiques
Cela peut s’expliquer par le fait que l’ONU, même si elle reste divisée, contribue à maintenir le dialogue pour faire baisser la tension entre les acteurs, même si elle ne résout que très rarement les conflits. De plus, les guerres se déroulent maintenant sur des territoires de plus en plus diversifiés, comme le cyberespace avec les guerres de l’information et les cyberattaques. Si Clausewitz considérait qu’il y avait un « centre de gravité de la guerre », le front militaire, ce n’est plus le cas aujourd’hui, puisque celle-ci se déroule aussi sur des espaces immatériels, virtuels.
L’Université d’Uppsala en Suède, spécialisée dans l’étude des conflits, a théorisé le concept de « guerre intra-étatique internationalisée », c’est-à-dire des guerres intra-étatiques qui voient l’intervention de puissances et d’acteurs étrangers. Ce fut le cas en Libye, par exemple, lorsque la Turquie est intervenue pour soutenir le gouvernement légal du Président Sarraj, pendant que la Russie soutenait les troupes du Maréchal Haftar.
Distinguer guerre conventionnelle et non conventionnelle
La guerre régulière est un conflit interétatique et régional, livré par le biais d’armées nationales. Celle-ci est encadrée. Au début, il y a une déclaration de guerre, puis à la fin un armistice, un cessez-le-feu ou encore un traité de paix. La guerre régulière est encadrée par un cadre juridique, appelé droit de la guerre, résultant des conventions de Genève de 1949.
À cela, on peut distinguer les guerres dites irrégulières ou non conventionnelles, bien que cette appellation de guerre irrégulière est bien plus large et donc plus difficile à cerner. Elles prennent souvent la forme de guérillas ou encore d’actes terroristes.
Stéphane Rosière définit trois critères permettant de distinguer ces deux types de conflictualité
La guerre non conventionnelle se distingue d’abord par ses acteurs. En effet, un conflit est considéré comme irrégulier lorsqu’il implique a minima un ou plusieurs groupes non étatiques. La différence entre armée (organe étatique) et milice (formation paramilitaire non étatique) est ici importante. La milice est beaucoup moins contrainte que l’armée par des juridictions internationales. Elle peut notamment utiliser des stratégies de terreur (massacres, exactions sur les populations civiles, etc.). Quand c’est un État face à un groupe non étatique, on parle alors de guerre asymétrique.
Elle se distingue également par ses moyens : la guerre non conventionnelle utilise des armes, comme les armes biologiques, le nettoyage ethnique ou encore le viol. La prise de l’enclave de Srebrenica en juillet 1995 par les troupes du général Ratko Mladic, où près de 10 000 Bosniaques musulmans ont été assassinés, illustre cet aspect de la guerre irrégulière.
La guerre se distingue enfin par ses cibles : militaires et civiles pour la non conventionnelle, seulement militaires pour la conventionnelle.
Les guerres au sein des populations
S’appuyant sur les conflits en ex-Yougoslavie et au Rwanda dans les années 1990, le général Rupert Smith définit la notion de « guerre au sein des populations ». Les acteurs qui s’opposent ne sont plus des États, mais des populations les unes contre les autres (groupes ethnopolitiques, mafieux ou autres).
Dans ce contexte, la frontière entre combattant et non-combattant est toujours plus floue et les civils deviennent les cibles des combats, l’objectif étant l’élimination des résistances par tous les moyens (stratégie terroriste, nettoyage ethnique, crime de masse, etc.). La ville est alors un théâtre privilégié d’affrontement pour des raisons politiques (espace dense de peuplement, lieu du pouvoir) et stratégiques (site refuge pour les combattants irréguliers).
Le siège de la ville de Sarajevo de 1992 à 1995 par les troupes serbes est à ce titre exemplaire. On y trouve différents ingrédients de ce type de conflit : encerclement par les troupes serbes, stratégies de contournement des habitants (tunnel de Dobrinja), ligne de front intra-urbaine, bombardements et destructions stratégiques (hôpitaux, ponts, logements, etc.) et symboliques (édifices religieux, monuments historiques).
La complexité de définir et de classifier la guerre au XXIe siècle : la guerre hybride
Employé pour la première fois officiellement en France dans le Livre blanc sur la Défense de 2013, le terme à très vite été brandi par le Secrétaire général de l’OTAN en 2014, Anders Rasmussen, pour qualifier la stratégie des troupes russes en Ukraine, et plus précisément dans le Donbass. De son côté, l’ancien ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a employé en 2015 à plusieurs reprises les termes « d’ennemi hybride » et de « guerre hybride mondiale » pour désigner la lutte contre Daech.
Au départ, la « guerre hybride » faisait donc référence à tout ce qui était nouveau ou en dehors des cadres habituels de la stratégie militaire : le crime organisé, le cyber, la guerre de l’information, voire la politique énergétique ou la diplomatie culturelle. Souvent confondue avec la guerre asymétrique ou la guerre non conventionnelle/irrégulière, la guerre hybride use de ces actions, mais ne dédaigne pas non plus l’emploi de moyens militaires réguliers.
La guerre menée par la Russie contre l’Occident
C’est l’un des exemples les plus caractéristiques de guerre hybride. En effet, la guerre hybride semble aujourd’hui faire partie intégrante de la politique de Moscou à l’égard de l’Occident. Le chef de l’État-major général des forces armées russes, le général Valeri Guerassimov, observait en 2013 déjà que « l’influence à distance, sans contact, sur l’adversaire, devient le principal moyen d’atteindre ses objectifs de combat et d’opération. La défaite de ses entités s’effectue dans toute la profondeur du territoire. Les distinctions s’effaçant entre les niveaux stratégiques, opératifs et tactiques, et entre les actions offensives et défensives ».
De ce fait, la Russie a utilisé ces moyens hybrides pour contribuer à décrédibiliser la candidature de la Moldavie dans l’Union européenne. Elle a ainsi associé une stratégie militaire, se caractérisant par la présence de troupes dans l’est du pays, à des stratégies hybrides non militaires, comme le parrainage de groupes anti-UE, des campagnes de désinformation auprès des médias locaux, ou encore en brandissant le spectre d’une réduction, voire d’une suppression des approvisionnements énergétiques.
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