Depuis 2014, la Russie s’infiltre petit à petit au cœur du continent africain avec une mission : sauver l’Afrique de l’impérialisme occidental. Si la Russie se présente comme la sauveuse de ce continent riche en ressources, les pays européens et les États-Unis entendent bien ne pas se laisser faire. Faisons un point sur la guerre d’influence que se livrent l’Occident et la Russie en Afrique.
Une Afrique européenne
La colonisation : l’Afrique au cœur des rivalités européennes
Au XIXe siècle, l’Afrique devient le principal enjeu de la rivalité coloniale franco-britannique. L’Afrique s’est vue partagée entre la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Belgique. Un partage encadré par la Conférence de Berlin (1885) qui fixait les règles de la répartition de l’Afrique entre les pays européens. Jusqu’aux années 1950, les États africains sont largement dominés économiquement, culturellement et idéologiquement par les États européens.
La ruée vers l’Afrique s’expliquait pour plusieurs raisons :
- L’Afrique représentait un enjeu stratégique pour la puissance des États. La conquête d’un empire renforcerait le prestige et la puissance des États.
- Les États européens se croyaient dotés d’une mission civilisatrice.
- Les colonies permettaient aux métropoles d’acquérir des bases militaires et navales, et de sécuriser les grandes voies maritimes.
- L’Afrique représentait aussi une aubaine économique : elle offrait aux pays européens d’autres marchés qui pouvaient générer un surplus de commerce. Elle était aussi un nouveau terrain de jeu pour les investissements et subvenait aux besoins d’approvisionnement en matières premières.
Une décolonisation réellement aboutie ?
Malgré une décolonisation longue et difficile de plus de 30 ans, les pays occidentaux continuent de s’octroyer des privilèges.
L’économie des pays africains est encore très touchée par les influences coloniales. Leur économie reste majoritairement tournée vers l’exportation de matières premières, modèle économique qui avait été instauré pendant la colonisation pour permettre aux puissances coloniales de s’approvisionner. Par ailleurs, les anciennes puissances coloniales ont maintenu leur accès aux ressources minières ou aux produits agricoles de l’Afrique en signant des accords avantageux.
Ensuite, nombreux sont les pays qui utilisent encore la monnaie de leur ancienne métropole, et notamment les pays francophones qui continuent d’utiliser le franc CFA. En contrôlant partiellement la politique monétaire de 14 pays africains, la France s’assure une influence dans les décisions stratégiques importantes, notamment en matière de politique étrangère et de commerce.
Les frontières actuelles de nombreux pays africains sont héritées des découpages coloniaux, souvent tracés sans tenir compte des réalités ethniques, linguistiques ou culturelles des populations locales.
Enfin, on retrouve des traces évidentes de l’influence coloniale dans les systèmes juridiques et administratifs. Par exemple, certaines anciennes colonies britanniques, comme le Nigeria ou le Kenya, continuent de baser leur système juridique sur la Common Law anglaise.
Par ailleurs, les structures judiciaires des pays d’Afrique francophone présentent des similitudes avec celles de la France. Elles incluent des institutions, comme la Cour suprême ou le Conseil d’État qui sont directement inspirés du système français. Enfin, nombreux sont les pays africains qui ont maintenu l’utilisation du français, de l’anglais, du portugais ou de l’espagnol comme langue administrative, judiciaire ou éducative.
Ainsi, les puissances impérialistes du XIXe siècle sont toujours présentes aujourd’hui. Ce qui offre à la Russie une porte d’entrée sur le continent.
La Russie ou l’étendard de l’anti-impérialisme
Depuis 2014, la Russie intensifie sa présence en Afrique. Son but : combattre les ex-empires coloniaux en Afrique en se plaçant comme le seul État qui n’a pas eu d’empire colonial. Légitimant ainsi le dialogue et les accords avec les entités africaines.
Comment s’y prend-elle ?
D’abord, la Russie s’impose comme la meilleure alternative aux pays occidentaux, en apportant une aide militaire et un soutien diplomatique pour lutter contre les groupes armés. Ce fut notamment le cas au Mali, à la fin de l’opération Barkhane en 2022. Dès le retrait des troupes françaises, la Russie s’est empressée de faire venir des soldats du groupe Wagner afin de sécuriser le territoire. Wagner est alors venu proposer une alternative à la France et s’est présenté comme une nouvelle épaule sur laquelle s’appuyer pour en finir avec la décolonisation. De même, la Libye a accueilli près de 2 000 mercenaires du groupe Wagner, envoyés dans le but de soutenir le gouvernement de Tobrouk et l’armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar.
Le pays se positionne aussi comme défenseur de la souveraineté nationale, en soutenant les gouvernements africains contre les ingérences occidentales. Par exemple, la Russie avait offert un soutien diplomatique, militaire et économique au pouvoir du président Touadéra en République centrafricaine, malgré des pressions internationales pour des réformes démocratiques.
Ainsi, la Russie entend soigner les maux dus à la décolonisation en stabilisant les conflits en Afrique et en approvisionnant certains pays en armes et en mercenaires. Elle joue sur les ressentiments historiques envers les anciennes puissances coloniales européennes et les interventions occidentales modernes.
Désormais, une influence bien au-delà de l’anti-impérialisme
Si brandir l’étendard de l’anti-impérialisme a permis de faire renaître les relations russo-africaines, la Russie entend bien développer les relations.
Déjà, la Russie exerce une influence médiatique exceptionnelle. Les médias russes, comme Sputnik ou Russia Today (RT), mettent en avant des narratifs anti-occidentaux en critiquant les interventions militaires, les sanctions et les politiques néocoloniales des pays européens et des États-Unis. Elle utilise aussi les réseaux sociaux pour influencer l’opinion publique, en menant des campagnes de désinformation sur Twitter ou WhatsApp afin de développer un sentiment pro-russe au sein des populations.
Par exemple, la thématique sanitaire est souvent abordée. Il s’agit de divulguer des informations sur l’apparition d’une maladie virale causée par des moustiques en Afrique, permettant de développer des idées conspirationnistes au sujet de l’industrie pharmaceutique occidentale.
La Russie a même développé l’African Initiative, une initiative introduite afin d’accroître son influence et ses relations avec les pays africains, notamment dans le domaine du commerce, de la sécurité et des ressources naturelles.
Enfin, Poutine multiplie les sommets Russie-Afrique afin de développer des relations puissantes avec les chefs d’État africains.
Une Afrique plus ou moins réceptive
La stratégie de Poutine en Afrique semble fonctionner, puisque les États africains prennent de plus en plus de distance par rapport à l’Occident. Cela s’illustre par exemple avec le vote sur les résolutions de l’ONU en mars 2022 et mars 2023, critiquant l’agression de la Russie en Ukraine. En effet, sur 54 pays, 17 pays se sont abstenus, 8 pays n’ont pas participé au vote et 1 a voté contre. Alors, si l’Afrique n’apporte pas nécessairement son soutien à la Russie, elle opte désormais de plus en plus pour un alignement « à la carte » au gré des intérêts nationaux, plutôt qu’à ceux des anciennes puissances coloniales.
Toutefois, on observe deux tendances en Afrique. D’une part, ceux qui soutiennent l’implication russe : la Libye, le Mali, qui sans hésiter, font appel à la Russie en cas de problème. D’autre part, la présence russe est aussi parfois vue comme un signe de déstabilisation pour certains chefs de la région. Par exemple, le chef de la diplomatie tchadienne estime que le groupe paramilitaire russe constitue une menace pour la sécurité des pays dans la région. Le 30 mai 2021, le Tchad avait fait l’objet d’une attaque près de la frontière centrafricaine, qui avait certainement été appuyée par les Russes. De plus, ces derniers n’hésitent pas à profiter de l’instabilité en Afrique et favorisent les putschs et les coups d’État.
Face à cette offensive russe, quelles sont les réponses de l’Occident ?
La réponse française
Face à ce rapprochement entre la Russie et l’Afrique, la France a opté pour une stratégie de retrait militaire, mais d’un engagement en matière de développement. Selon le site du gouvernement, « l’Afrique est au cœur de la politique de développement française ». En effet, elle est destinataire de 1/3 de l’aide publique bilatérale au développement, soit 2,9 milliards d’euros en 2020.
Désormais, la France s’engage en priorité pour assurer la paix et la stabilité, maintenir une action en faveur de la santé et renforcer les efforts pour l’éducation et la formation professionnelle.
La réponse européenne
L’Union européenne espère aussi pouvoir encore faire entendre sa voix concernant le continent africain. Pour cela, elle mise sur une relation pacifique en soulignant l’importance de soutenir la production intérieure de l’Afrique par des investissements durables. Selon le rapport du Parlement de mars 2021 sur la relation UE-Afrique, l’UE souhaite aller « au-delà de la relation donateur-bénéficiaire ».
Les moyens européens sont clairs : stimuler le commerce intra-africain par le biais de la zone de libre-échange continentale, investir dans les infrastructures de transport et du numérique, et améliorer l’accès aux marchés mondiaux. Par exemple, un plan d’investissement d’au moins 150 milliards d’euros avait été annoncé afin de financer la transformation numérique, les énergies renouvelables ou encore l’éducation. Ce partenariat a notamment été discuté lors du sixième sommet Union européenne-Union africaine, qui s’est tenu à Bruxelles les 17 et 18 février 2022, montrant ainsi que l’Union européenne a bénéficié elle aussi d’un moyen privilégié pour discuter avec les dirigeants africains.
Enfin, alors que les accords de Cotonou (2000), qui assurent un partenariat durable entre l’ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et l’UE, devaient expirer à la fin de 2020, ils ont été prolongés. L’objectif est de contribuer à l’éradication de la pauvreté et de promouvoir l’intégration des pays de l’ACP dans l’économie mondiale. Il s’articule grâce à trois piliers : politique, coopération commerciale et économique, développement.
La réponse américaine
Face à cette percée de la Russie en Afrique, les États-Unis engagent une stratégie de substitution à l’alternative russe. Par exemple, Washington proposait à Bangui de former son armée et d’accroître son aide humanitaire en échange du renvoi des paramilitaires russes de la République centrafricaine.
Conclusion
L’Afrique est redevenue l’arène des conflits de pouvoir et de puissance. D’une part, l’Europe qui souhaite maintenir les privilèges gagnés grâce à la colonisation. D’autre part, la Russie qui instrumentalise l’Afrique pour peser dans le jeu des puissances. Enfin, les États-Unis, de plus en plus actifs pour contrer l’influence croissante de la Russie. Sans parler de la Chine, déjà bien ancrée sur le territoire.
L’Afrique est devenue le théâtre d’une nouvelle guerre d’influence qui n’est pas sans conséquences.
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