société

On discute Europe autour d’un sujet de khôlle HEC : « Existe-t-il une société européenne ? » C’est l’occasion de faire une synthèse sur ce continent, tout en explorant de nouvelles connaissances qui te serviront pour d’autres sujets !

Analyse du sujet

Lorsqu’il s’agit de discuter de l’existence d’une société européenne, la question soulève un débat complexe et fascinant, surtout en l’absence d’un État fédéral européen unifié. À travers cet article, on va explorer les éléments qui pourraient contribuer à l’existence d’une telle société, tout en reconnaissant les défis majeurs qui persistent. Quel risque face à un tel sujet ? Être trop abstrait, manquer de références, en bref, parler dans le vide ? On va voir ensemble comment aborder un tel sujet avec des faits précis et quelques références.

N’hésite pas à jeter un coup d’œil à notre article sur la méthodologie des khôlles HEC :

Proposition de plan

Introduction

Ici, pas de difficulté pour introduire le sujet, il convient toutefois de définir le terme clé « société ».

Société : Communauté d’individus organisée autour d’institutions communes dans le cadre d’un État ou plus généralement dans le cadre d’une civilisation à un moment historique défini. Milieu humain dans lequel quelqu’un vit, caractérisé par ses institutions, ses lois, ses règles.

Problématique : Peut-il exister une société européenne, alors qu’il n’existe pas d’État fédéral européen ?

N.B. Mention spéciale à mon professeur de géopolitique qui m’a sans cesse répété qu’une bonne problématique contient un paradoxe et donc qu’il fallait toujours retrouver la locution conjonctive « alors que » dans sa problématique.

I. L’Union européenne fait tout pour apparaître comme une société à part…

A) La présence d’institutions communes

L’Union européenne (UE) dispose d’un ensemble d’institutions politiques, économiques et juridiques communes qui pourraient suggérer l’émergence d’une société européenne.

Le Conseil européen, composé des 27 chefs d’État, définit les grandes orientations politiques. Le Parlement européen vote et amende les lois proposées par la Commission européenne. La Commission européenne, quant à elle, incarne l’exécutif législatif et défend l’intérêt général de l’UE.

Côté juridique, la Cour de justice de l’Union européenne veille au respect du droit communautaire, consolidant ainsi un espace juridique commun.

Sur le plan économique, la Banque centrale européenne (BCE) joue un rôle clé en maintenant la stabilité de l’euro et en régulant l’inflation. La Cour des comptes, de son côté, surveille l’exécution du budget de l’Union.

B) Une histoire commune (ce qui lie une société, c’est son histoire)

Une autre dimension cruciale pour la formation d’une société est l’histoire commune. L’Europe se caractérise par un héritage gréco-romain et judéo-chrétien et par la diffusion des idées humanistes et de la révolution industrielle.

L’héritage gréco-romain commence au VIIIe siècle avant J.-C. avec la colonisation grecque des côtes méditerranéennes, marquée par la fondation de villes comme Marseille. La culture grecque, incluant l’art, la médecine et la démocratie, se diffuse alors à travers l’Europe. Au IIe siècle avant J.-C., les Romains conquièrent ces territoires, poursuivant et enrichissant cet héritage, notamment par le développement du droit et de la philosophie.

L’héritage judéo-chrétien prend racine en Palestine avec la naissance du christianisme, issu du judaïsme, qui atteint son apogée au XIIIe siècle. D’abord diffusé dans la partie grecque de l’Empire romain, il s’étend ensuite vers l’Est grâce à l’évangélisation de Paul de Tarse. Malgré les persécutions sous l’Empire romain, notamment sous Néron, le christianisme gagne en influence, jusqu’à ce que Constantin se convertisse en 306. En 380, Théodose en fait la religion d’État.

Le mouvement de la Renaissance et des Lumières, avec l’humanisme et les révolutions industrielles, marque un tournant décisif. Au XVIIIe siècle, l’Europe des Lumières voit l’émergence des sciences et la diffusion des connaissances, amorcée dès le XVIIe siècle par des institutions comme la Royal Society of London (1660) et l’Académie des sciences en France (1666). Ces idées se propagent à travers l’Europe, formant un socle identitaire commun, qui est aujourd’hui incarné par des initiatives comme le programme Erasmus (1987).

L’Europe repose ainsi sur un maillage partagé de racines culturelles et de valeurs spirituelles. J’en profite pour intégrer une citation plutôt poétique sur le sujet : « Le moine, le soldat, le marchand, le professeur, l’étudiant, le pèlerin, ces éternels vagabonds, ont tracé de leurs pieds la carte de la civilisation européenne. » Elie Barnavi, Les Européens, Textes et documents pour la classe, n° 962, 2008 

C) Des valeurs communes

L’Union européenne s’appuie sur des valeurs partagées, telles que la démocratie, les droits de l’homme et l’état de droit, formalisées dans des textes fondateurs, comme la Convention européenne des droits de l’homme (1950) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000).

Ian Manners, dans son article de 2002, « Normative Power Europe. A contradiction in terms? » publié dans la revue Journal of Common Market Studies, définit neuf normes européennes, incluant la liberté sociale, la démocratie pluraliste et la bonne gouvernance, qui renforcent l’idée d’une identité commune.

Transition : Malgré une construction européenne qui semble aboutie, les citoyens d’Europe ne se sentent pas citoyens européens. Alors c’est que l’influence de l’Union européenne fait défaut.

II. … mais cela ne suffit pas à créer un sentiment d’appartenance supranational

A) Les États maintiennent leur souveraineté

Malgré les avancées institutionnelles, les États membres conservent une part importante de leur souveraineté. Selon le principe de subsidiarité établi par le Traité de l’Union européenne (TUE, 1992), l’autorité supérieure (l’Union européenne) ne peut intervenir que si l’autorité inférieure (l’État) a prouvé son incapacité à organiser une question ou à résoudre un problème. Les compétences de l’UE sont ainsi catégorisées :

  • les compétences exclusives : l’État délègue sa souveraineté (politique commerciale, etc.), elles restent limitées ;
  • les compétences partagées : exercées par l’État et la Communauté (politique sociale, de l’environnement) ;
  • les compétences réservées : l’État est souverain (fiscalité, politique de santé, etc.).

B) L’insuffisance des actions européennes pour forger une identité commune

Bien que l’Union européenne reconnaisse tardivement l’importance d’une culture commune, comme le stipule le traité de Lisbonne (2007), les efforts pour promouvoir une identité européenne restent insuffisants. Des initiatives, comme les capitales européennes de la culture (Lille en 2004, Kaunas en 2022, etc.) ou la bibliothèque numérique Europeana, cherchent à valoriser le patrimoine européen, mais elles peinent à instaurer un véritable sentiment d’appartenance parmi les citoyens.

Face à ce semblant d’échec, nous pouvons intégrer une citation d’Hélène Ahrweiler qui reprend une citation de Jean Monnet : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture. »

C) La diffusion de ses valeurs est intermittente et l’UE privilégie avant tout ses intérêts

Zaki Laïdi soutient que l’Union européenne agit comme une puissance normative, imposant ses valeurs à travers le monde (La Norme sans la force : l’énigme de la puissance européenne, 2005).

Toutefois, Hélène Colineau remet en question cette idée, soulignant le décalage entre les valeurs proclamées et les réalités géopolitiques et économiques (dansa sa thèse « L’UE, puissance normative ? La politique de coopération au développement en actes », 2013). Par exemple, l’implication des multinationales européennes en Afrique, comme Elf au Congo-Brazzaville, favorisant parfois des conflits pour servir des intérêts énergétiques, illustre les contradictions entre les discours et les actions de l’UE. Pour plus de connaissances sur le sujet, tu peux lire notre article : Les scandales de la Françafrique.

Transition : Si l’UE s’intéresse d’abord à ses intérêts économiques, c’est qu’avant d’essayer de devenir une société européenne, l’UE a pour ambition d’être un tremplin à la mondialisation (« cheval de Troie de la mondialisation »).

III. L’Union européenne reste avant tout un tremplin à la mondialisation

A) Le projet européen est d’abord un projet économique

Depuis sa création, l’Union européenne a été fondée sur des bases économiques. La CECA, la CEE, et plus tard l’Union économique et monétaire (UEM) ont visé à renforcer la coopération économique entre les États membres, créant ainsi une zone d’intégration économique.

Béla Balassa, dans sa théorie de l’intégration économique (The Theory of Economic Intégration, 1961), décrit les étapes qui ont mené à l’actuelle Union européenne : zone de libre-échange, union douanière, marché commun et union économique et monétaire.

B) L’UE oriente davantage ses politiques dans une optique de mondialisation

L’UE a orienté ses politiques vers une plus grande compétitivité sur la scène mondiale, parfois au détriment de la cohésion interne. La réforme de la politique de cohésion pour 2007-2013 a réduit les dépenses de la politique de cohésion et a réorienté les objectifs vers la compétitivité, soulignant ainsi l’accent mis sur la mondialisation plutôt que sur l’intégration sociale européenne.

À titre d’exemple, la PCR (Politique commune régionale) évolue d’une politique de réduction des disparités territoriales à celle de promotion des potentiels de croissance, preuve que l’UE est centrée sur la mondialisation.

C) La doctrine libérale participe donc à l’euroscepticisme

L’Union européenne, en tant que moteur de la mondialisation, promeut le libéralisme économique. Le Grand marché unique incite à libéraliser pour stimuler la production, mais cela mène à des privatisations dans des secteurs stratégiques comme l’énergie et les infrastructures (privatisations de sociétés concessionnaires d’autoroutes comme l’ASF – Autoroute du Sud de la France – au profit de Vinci, en 2005).

Ces réformes, bien qu’elles favorisent la compétitivité, ont engendré des pertes d’emplois et une hausse des tarifs, alimentant un sentiment croissant d’euroscepticisme et renforçant la montée des mouvements nationalistes, comme l’extrême droite de Giorgia Meloni en Italie.

Conclusion

Bien que les Européens partagent une culture commune, celle-ci reste trop fragmentée pour unir pleinement le continent. Né au XXe siècle, le projet européen s’est avant tout construit autour de considérations économiques, rendant l’ambition de créer une véritable société européenne tardive et secondaire. Cette priorité économique a favorisé une orientation mondialiste, éclipsant la volonté d’une union sociale et culturelle. Par ailleurs, cet intérêt économique dominant a alimenté un sentiment d’euroscepticisme, freinant davantage l’émergence d’une société européenne unifiée.

Récapitulatif des références utilisées

Elie Barnavi, Les Européens, Textes et documents pour la classe, n° 962, 2008 : « Le moine, le soldat, le marchand, le professeur, l’étudiant, le pèlerin, ces éternels vagabonds, ont tracé de leurs pieds la carte de la civilisation européenne. »

Ian Manners, « Normative Power Europe. A contradiction in terms? », Journal of Common Market Studies, 2002

Hélène Ahrweiler, cite Jean Monnet : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture. »

Zaki Laïdi, La Norme sans la force : l’énigme de la puissance européenne, 2005

Hélène Colineau, thèse « L’UE, puissance normative ? La politique de coopération au développement en actes », 2013

Béla Balassa, The Theory of Economic Intégration, 1961

 

On se retrouve très vite pour une nouvelle analyse de sujet de colle ! Encore une fois, cet article a pour objectif de te faire retenir quelques idées originales qui t’aideront à faire face à ces sujets rebutants. En attendant, il existe d’autres analyses de sujet de khôlle de géopolitique HEC sur notre site : « Les forces de la démondialisation » – Analyse d’un sujet d’oral HEC.

N’hésite pas à consulter toutes nos ressources de géopolitique !