En avril 2024, la Banque d’Espagne a établi un rapport alertant sur l’état du secteur immobilier dans le pays : elle a estimé à 600 000 le déficit de nouveaux logements permettant de couvrir la création des foyers familiaux de cette année. Loin d’être isolé, ce chiffre révèle l’envergure de la crise du logement qui frappe l’Espagne depuis plusieurs années maintenant. Nous allons voir dans cet article quelles en sont les causes principales, les conséquences et quelles solutions sont apportées.

Une crise aux origines diverses…

  1. L’héritage de la crise de 2008

Lorsque la crise financière de 2008 a frappé l’Europe, l’Espagne n’a pas été épargnée : faillites, chute de la croissance, chômage et endettement ont aggravé la situation économique et sociale du pays (tout savoir sur la crise ici). Le secteur immobilier a joué un rôle clé dans le déroulement de cette crise puisqu’il était au cœur de l’engrenage menant l’Espagne dans la tourmente.

En 1998, l’Espagne a pour ambition de relancer le secteur de la construction pour subvenir aux demandes de logement de la population, et promulgue ainsi la Ley del Suelo. Son objectif est simple : faire baisser le prix des logements en augmentant leurs nombres grâce à davantage de terrains constructibles et des investissements supposés très rentables. Mais les très nombreuses demandes n’ont pas permis à la loi d’avoir l’effet escompté ; les prix des maisons ont augmenté à partir de 2002 tandis que les salaires, eux, ont stagné, notamment à cause de la réforme du travail de 2002 qui a accentué la précarité de l’emploi. Les Espagnols qui avaient des salaires bas ont donc été contraints de faire des crédits hypothécaires auprès de leur banque pour financer leur bien.

Au moment de la crise de 2008, les particuliers n’ont pas été capables de rembourser les banques qui leur demandaient de l’argent et se sont donc fait expulser de leurs logements mis sous hypothèque. D’après une étude d’Amnesty International de 2015, 600 000 ménages ont été expulsés entre 2008 et 2014. Cette crise a même conduit à des villes fantômes, comme celle de la Seseña qui ressuscite aujourd’hui. Le marché immobilier espagnol a décliné et de nombreuses familles se sont retrouvées exclues et en grande difficulté pour trouver un logement.

  1. Un manque d’offres

L’Espagne connait une pression immobilière très forte depuis quelques années. Le manque d’offres de logement explique en grande partie la crise du logement que traverse le pays. D’après le rapport de la Banque d’Espagne datant d’avril 2024, le manque de terrains disponibles et de main d’œuvre et la hausse des coûts de production expliquent le faible nombre d’offres sur le marché. Depuis 2021, le nombre de nouveaux logements achevés s’est stabilisé autour de 90 000 unités par an, contre environ 650 000 par an en moyenne au cours de la période 2006-2008.

On compte paradoxalement 4 millions de maisons inhabitées en Espagne, mais seules 400 000 d’entre elles font parties de zones demandées. Parmi celles-ci rares sont celles qui sont à vendre ou à louer. Le problème de cette crise de logement réside donc en partie dans la concentration des activités qui ne permet pas de bénéficier d’offres de logement plus excentrées.

Le manque d’offres sociales est également une problématique importante. Seuls 2,5% des logements sont des logements sociaux en Espagne alors que la moyenne européenne se situe à 9% et la moyenne française à 16%.

  1. L’impact du tourisme massif sur le marché locatif

Le tourisme a une place cruciale en Espagne puisqu’il représente près de 12% du PIB espagnol. Bien qu’il apporte d’importantes recettes au pays, il peut être un poids pour certains Espagnols qui souffrent de l’augmentation des prix du loyer. En effet, il est bien plus rentable pour un propriétaire de louer son logement à des touristes qu’à des locaux. Entre 2015 et 2022, le prix du loyer des zones de l’arc méditerranéen à forte activité touristique, comme à Valence, a augmenté de 50%.

Ce phénomène, dit de « AirBnbzación » se répand de plus en plus avec le développement de sites de réservation en ligne et contraint les locaux à partir, au profit des 85 millions de touristes internationaux annuels.

… et aux conséquences multiples

  1. La crise du logement a accru la pauvreté en Espagne

La hausse considérable des prix du loyer a eu des conséquences notables, puisque les Espagnols consacrent aujourd’hui une part importante de leur salaire pour se loger – 65% en moyenne pour une personne payée au salaire minimal dans la région de Madrid par exemple. « L’Espagne est le quatrième pays d’Europe où les familles doivent consacrer le plus d’argent au paiement de leur logement », a mentionné Pedro Sanchez le 17 avril 2023. Cette situation a exacerbé les inégalités sociales et économiques, poussant de nombreuses familles à vivre dans des conditions précaires. Aujourd’hui, un Espagnol sur quatre est en risque de pauvreté. La crise du logement a donc des conséquences bien plus larges que le fait d’avoir un toit : elle augmente la pression sur les services sociaux, limite l’accès aux soins de santé, diminue les chances de réussite scolaire et affaiblit la cohésion sociale.

On assiste par ailleurs à un phénomène de gentrification dans certaines grandes villes car les plus défavorisés ne sont pas en mesure de se loger dignement dans ces lieux et partent donc dans les alentours, consacrant ainsi leur temps libre à leurs trajets domicile-travail.

  1. Cette crise touche particulièrement les jeunes

La crise du logement touche particulièrement les jeunes, qui se trouvent confrontés à des difficultés croissantes pour accéder à des logements abordables et de qualité. Avec des loyers en constante augmentation et des conditions d’emploi souvent précaires, de nombreux jeunes peinent à financer leur premier logement. 46 % des Espagnols entre 25 et 34 ans vivent encore chez leurs parents contre 15 % en France selon Eurostat. Les jeunes peinent ainsi à s’émanciper du foyer familial ou sont contraints de consacrer une part disproportionnée de leur revenu au logement, au détriment de leur épargne, de leur éducation et de leurs loisirs.

Quelles solutions pour sortir de cette crise ?

  1. Les politiques menées par Sanchez

Les questions immobilières ont toujours préoccupé les gouvernements espagnols en raison des nombreux aspects négatifs qui en résultent. Président du gouvernement depuis 2018, Pedro Sanchez veut faire du logement le « cinquième pilier de l’État-Providence ». Il a ainsi mis en place diverses mesures dans le but de mettre fin à cette crise qui compromet la cohésion et le bien-être en Espagne. En 2023, il a approuvé une loi plafonnant les hausses de loyer, apportant une aide financière aux jeunes, interdisant la vente de logements publics à des fonds spéculatifs, et offrant des avantages fiscaux aux propriétaires qui baissent les loyers. Le gouvernement planifie également d’ajouter 184 000 logements sociaux dans les trois prochaines années bien qu’il en faudrait près d’1,5 million pour atteindre la moyenne européenne. Il a également éliminé les visas dorés (qui délivraient des autorisations particulières en échange d’un investissement économique) approuvés en 2013 par le gouvernement de Mariano Rajoy en pleine crise immobilière. Cela permet de limiter la valeur spéculative des logements.

Même si Sanchez prend la bonne direction avec ces initiatives, celles-ci semblent encore insuffisantes face à l’ampleur du problème. Il est nécessaire de mettre en place des solutions plus audacieuses et novatrices pour surmonter la crise.

  1. D’autres options viables ?

Le thème de l’Espagne vide est récurrent en civilisation espagnol et peut là aussi être mobilisé. En effet, nombreux sont ceux qui veulent revitaliser cette partie du pays en tirant partie des citoyens sans toit. Cela pourrait en effet redynamiser certains villages délaissés en ramenant de la population et de la valeur ajoutée. Cependant, cette option présente des réserves puisque l’Espagne vide ne possède pas toutes les infrastructures des grandes villes qui peuvent paraître essentielles aux yeux de certains : commerces, hôpitaux, enseignement supérieur, etc.

Conclusion

En conclusion, la crise du logement en Espagne est un problème complexe et multifacette qui a des répercussions profondes sur la société et l’économie du pays. Pour résoudre efficacement la crise du logement, une approche intégrée combinant des réformes structurelles, une augmentation significative de l’offre de logements sociaux, et une gestion équilibrée du développement urbain et rural semblent s’imposer.

Vocabulaire

Le logement : la vivienda

Le loyer : el alquiler

Un locataire : un inquilino

Une bulle immobilière : una burbuja inmobiliaria

Le secteur de la construction / BTP : el sector de la construcción / el sector del ladrillo (=brique)

Saper : socavar

La spéculation : la especulación

L’hébergement : el alojamiento

La précarité de l’emploi : la precariedad laboral

La hausse des prix : el alza de los precios

Voilà, tu sais maintenant tout sur la crise du logement en Espagne ! Si tu veux plus d’infos sur ce pays, rendez-vous sur cet article ! Bonne lecture !