Cet article te propose un cours récapitulatif sur la thèse de Weber sur la bureaucratie, ses critiques et ses dépassements, idéal pour réviser cette notion pour les oraux d’ESH !
Présentation du sujet
Le thème de la bureaucratie, en particulier à travers la thèse wébérienne, est un thème récurrent aux oraux d’ESH, il ne faut donc pas le négliger ! Pour te le prouver, voici une liste d’exemples de sujets tombés aux oraux sur ce thème :
- L’analyse de la bureaucratie chez Max Weber et sa critique (ESCP)
- L’apport de Max Weber à la théorie des organisations (ESCP)
- La bureaucratie : un concept dépassé ? (ESCP 2017)
- La bureaucratie : quelle(s) limite(s) ? (HEC 2017)
- Le modèle bureaucratique wébérien est-il toujours d’actualité ? (ESCP 2018)
Je te propose donc un cours qui synthétise les éléments clés que tu dois absolument connaître pour traiter ces sujets.
La bureaucratie selon Max Weber
Ce que Weber appelle la « bureaucratisation de la politique » correspond à la substitution de fonctionnaires salariés, recrutés sur la base d’un examen sanctionnant une connaissance acquise par une formation spécialisée pour gérer les affaires de la cité, aux notables de jadis qui exerçaient les fonctions publiques « gratuitement » et sans compétence spécifique, parce que leur fortune ou leurs revenus personnels privés leur en donnaient le loisir.
Le pouvoir bureaucratique est fondé sur la compétence et non sur l’origine sociale ou la tradition. Si, en théorie, les administrations sont au service des élus, dans les faits, le pouvoir appartient plus aux fonctionnaires salariés qui maîtrisent les techniques de l’administration qu’aux élus. La « rationalisation » de l’exercice du pouvoir politique est donc synonyme de « bureaucratisation ». La bureaucratie est un mode d’organisation qui s’accorde bien avec le capitalisme. À mesure que se consolident les systèmes, techniquement efficaces, de gestion de l’économie ou des affaires publiques, les espaces ouverts à la liberté se réduisent inexorablement.
L’analyse de Weber aboutit à une représentation de l’histoire occidentale empreinte d’un fatalisme très différent de celui exprimé par Marx. Tandis que Marx pensait possible une rupture avec la logique de l’économie capitaliste, grâce à l’action révolutionnaire des classes exploitées, Weber considère que la bureaucratisation, qui affecte aussi bien les appareils politiques (partis et syndicats révolutionnaires compris) que le fonctionnement de l’économie, est un processus irréversible.
Pour lui, la bureaucratisation des organisations (entreprises, administrations, associations) reflète la rationalisation des activités sociales qui caractérise le changement social dans les sociétés modernes. La comptabilité analytique, l’organisation scientifique du travail et la parcellisation des tâches sont autant de phénomènes bureaucratiques qui permettent un fonctionnement plus efficace des organisations.
Selon Weber, contrairement à Marx, l’abolition de la propriété privée des moyens de production, loin de rendre aux hommes la maîtrise de leur action collective, ne ferait que porter à un point extrême la bureaucratisation de l’administration politique et économique sous la férule de l’État.
Or, Weber craint que la domination bureaucratique ne réduise l’autonomie des personnes et n’étouffe les libertés individuelles en multipliant les règles qui enserrent l’individu dans une « cage d’acier » manipulée par un groupe de bureaucrates travaillant dans le secret. Bureaucratie et servitude iraient alors ensemble.
C’est pourquoi Weber invite à trouver des contrepoids à cette domination bureaucratique : l’économie de marché et ses décisions décentralisées, le renforcement du contrôle parlementaire sur l’administration, l’instauration d’une démocratie plébiscitaire afin de faire émerger des dirigeants charismatiques capables d’imposer les choix aux bureaucrates.
Par ailleurs, Max Weber considère que la bureaucratie, aussi efficace soit-elle, est un mode d’organisation qui conduit à ce qu’il appelle le « désenchantement du monde ». La pensée scientifique rationnelle déconstruit les mythes et les croyances religieuses en les repoussant dans des sphères privées ou communautaires. La science explique le monde, mais ne donne pas un sens à la présence de l’homme sur terre, comme le font les mythes et les religions.
La critique de cette vision wébérienne
Weber adopte une vision plutôt positive de la bureaucratie, mais des critiques se développent dès les années 1930. D’abord avec l’analyse du sociologue américain Robert Merton et surtout après la Deuxième Guerre mondiale avec des analyses comme celle du sociologue français Michel Crozier (Le Phénomène bureaucratique, 1963).
Merton considère que plus une organisation (administration ou entreprise) se rapproche de l’idéal-type bureaucratique wébérien, plus elle souffre de dysfonctionnements. Les routines et les règles efficaces face à un type de problèmes deviennent un frein au changement lorsque le contexte évolue (du fait du progrès technique, par exemple). Merton ajoute que l’organisation bureaucratique peut conduire à une forme de déviance avec le développement de personnalités bureaucratiques pour qui le respect de la règle devient plus important que son objectif, la satisfaction des clients ou usagers.
Crozier, quant à lui, montre que dans une organisation, les règles ne parviennent jamais à tout prévoir et que, parfois, elles se contredisent. Il existe donc des zones d’incertitude que les membres de l’organisation cherchent à contrôler afin d’exercer un pouvoir au sein de celle-ci. Les perdants réclament de nouvelles règles qui à leur tour génèrent de nouvelles zones d’incertitude dans lesquelles s’engouffrent d’autres membres de l’organisation. C’est ce que Crozier appelle le « cercle vicieux bureaucratique ». Plus la logique bureaucratique s’étend au sein d’une organisation et moins cette organisation est efficace.
À partir des années 1960, les libéraux du public choice proposent également une critique de la bureaucratie qui prend la forme d’une analyse critique du comportement des décideurs publics. Les bureaucrates sont des êtres humains comme les autres : ils cherchent à maximiser leur utilité sous contrainte.
Dans le modèle de William Niskanen (1971), les bureaucrates maximisent la taille du budget de leur bureau de façon à augmenter leur rémunération au sens large (influence, prestige-reconnaissance, moindre risque de manquer les objectifs, etc.). Par conséquent, les bureaucrates vont produire plus que ce que le politicien et le citoyen souhaitent, et/ou à un coût plus élevé. Ils peuvent le faire parce que leurs mentors, les politiques qui déterminent le budget, ne connaissent pas bien le coût réel de ce qu’ils commandent. Bien sûr, ils vont chercher à contrôler les activités des bureaucrates, l’asymétrie d’information fragilise souvent ces efforts.
La théorie de l’agence, proposée par Jensen et Meckling en 1976, met en relief le rôle des asymétries d’informations qui profitent aux fonctionnaires au détriment des missions confiées par les décideurs politiques, et qui profitent aux décideurs politiques au détriment des missions que le peuple leur a confiées via le processus électoral.
Ces analyses critiques de la bureaucratie étatique ont conduit à l’introduction d’une culture de l’évaluation et de la performance au sein des administrations publiques. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001 représente en France le point de départ de cette culture de la performance appliquée aux administrations publiques. De nouvelles dérives bureaucratiques en résultent, par exemple en privilégiant la baisse des coûts au détriment de la qualité des services (hôpitaux, universités…). Ces critiques libérales de la bureaucratie tendent à associer trop étroitement la bureaucratie aux dysfonctionnements des administrations ou des entreprises publiques, jugées moins efficaces (souvent à tort) que les entreprises privées. Or, la plupart des maux liés à la bureaucratie concernent également les entreprises capitalistes.
La thèse iconoclaste de David Graeber sur la bureaucratie
L’anthropologue-économiste américain David Graeber propose une thèse iconoclaste de la bureaucratie (2015) dans nos sociétés modernes libérales. Selon lui, nos sociétés subissent une loi d’airain du libéralisme : « Les politiques conçues pour réduire l’ingérence de l’État dans l’économie finissent en réalité par produire plus de réglementations, plus de bureaucrates, plus d’interventions policières ! » Et plus de paperasse.
La bureaucratie est devenue si totale que nous ne la voyons plus. Elle prend de plus en plus une dimension mondiale avec la multiplication des traités internationaux et le développement d’une classe entière d’administrateurs internationaux qui régulent les choses, tout en appelant ce processus « dérégulation ». La bureaucratie est désormais devenue un moyen au service des structures d’extraction de profits. Les profits sont extraits directement par des moyens bureaucratiques, avec la fusion de la bureaucratie publique et privée, saturée de règles et de financements plus ou moins occultes.
D’une part, le néolibéralisme crée plus de régulations que les systèmes économiques précédents et, d’autre part, la bureaucratie est devenue l’instrument de domination des plus puissants, ce que dénoncent les mouvements anti et altermondialistes.