Depuis des siècles, toute grande puissance aspirant à une véritable grandeur mobilise forcément des moyens artistiques et culturels, en particulier lorsqu’elle souhaite éviter la guerre ou la confrontation économique. Dès l’entre-deux-guerres, l’Europe s’inquiète beaucoup du déplacement du centre de gravité culturel mondial vers les États-Unis et constate avec désolation la mise en place d’une culture de masse qui prend le pas sur l’héritage culturel des Lumières. Le cinéma devient très vite le symbole de l’industrialisation de la culture, d’abord à l’américaine, puis à l’international.
Culture et propagande
« Tout artiste est un propagandiste », écrivait Georges Orwell. Il poursuit : « Tout artiste fait œuvre de propagandiste dans la mesure où il tente, directement ou indirectement, d’imposer une vision de la vie qui lui paraît désirable. »
Lors des guerres et des grandes crises, la culture publique se retrouve mêlée de propagande. Ces périodes connaissent en effet un grand interventionnisme culturel, et la culture devient alors une machine manipulatrice aux mains de l’État. Le cas extrême est celui de la censure, qui revient à museler la voix de certaines personnes (souvent contestataires).
Aujourd’hui, la propagande n’a pas du tout disparu. On la retrouve dans de nombreux pays en développement, que ce soit des dictatures assumées ou des démocratures. Elle peut être plus ou moins flagrante. Ainsi, de nombreux médias d’État omettent des informations ou réécrivent un récit pour favoriser les dirigeants en place. Souvent, cette propagande vient exacerber un sentiment de nationalisme en soufflant sur des braises et en attisant les velléités. C’est le cas des chaînes de TV russes qui, depuis l’invasion de la Crimée en 2014, présentent l’Ukraine comme une menace à la sécurité de l’État et Zelensky comme un néonazi. De même, en Inde, le parti au pouvoir, le BJP, présente souvent l’idée d’une Inde totalement hindoue, au détriment de certaines minorités, notamment musulmanes.
Mais aujourd’hui, en tout cas en Occident, tout le monde est, à tort ou à raison, accusé de propagandisme. Les deux cibles qui reviennent le plus souvent sont celles du « wokisme » et de l’extrême droite. Cela conduit à des attaques parfois acerbes d’un camp envers l’autre, floutant alors totalement le concept même de propagande. D’où l’importance de ne pas amalgamer la propagande avec des concepts tels que la liberté d’expression ou l’autocensure.
Surtout, culture et politique ont de plus en plus tendance à se mélanger, notamment avec des artistes qui ont une telle célébrité que leur parole peut avoir un impact politique considérable, soit par le contenu de leur production (rap, par exemple) ou par leur personnalité. C’est le cas de Taylor Swift qui a récemment appelé ses fans à voter pour Kamala Harris. Un slogan « Swifties for Kamala » a même été créé…
Culture et diplomatie
La diplomatie culturelle se distingue de la propagande par sa volonté de construire sur le long terme une relation de confiance, à travers des échanges artistiques et culturels enrichissants. Il ne s’agit pas d’écarter du revers de la main une culture qui ne plairait pas pour la remplacer par une autre, mais de proposer et de promouvoir des arts susceptibles d’attirer un certain nombre de personnes. Par exemple, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est, pour la France, un mode de diplomatie culturelle, d’ailleurs souvent décrite comme étant un outil du soft power français.
Bien sûr, on ne peut pas parler de diplomatie culturelle sans évoquer l’Oncle Sam. Il ne fait guère de doutes que les États-Unis sont le pays ayant le plus réussi à propager sa culture et son mode de vie. La raison principale est que les États-Unis ont fait de la culture une industrie culturelle, totalement soumise aux règles du marché (capitaliste). Le cinéma hollywoodien a ainsi pour principal but de rendre attractif l’American Way of Life. C’est en partie ainsi que se sont transmises des habitudes américaines, telles que la consommation de masse. Hollywood influence aussi les manières de penser, parfois de manière très problématique, comme le fait d’avoir distribué successivement le rôle du méchant aux Noirs, aux Indiens et aux Mexicains, en passant par les communistes et, aujourd’hui, la figure de l’Arabo-Irano-terroristo-musulman.
Sur un autre registre, on voit depuis une dizaine d’années que Hollywood tente de s’emparer de certaines causes considérées comme plus « justes ». Les blockbusters font ainsi désormais du changement climatique un de leurs chevaux de bataille. Cette dynamique fait une entrée fracassante avec The Day After Tomorrow en 2004 de Roland Emmerich, avec une méga tempête de neige et de glace qui recouvre les États-Unis, forçant le gouvernement américain à se réfugier au Mexique. De même, le film Avatar (James Cameron), en 2009, évoque les réponses sécuritaires apportées au défi existentiel d’une planète mourante. Quoi qu’il en soit, Hollywood est et reste, pour citer Pierre Conesa, une « arme de propagande massive ».
La diplomatie culturelle n’est par ailleurs pas uniquement le fait d’États et a aussi pour vocation de sauvegarder une certaine diversité culturelle. L’Unesco est ainsi très active à ce sujet, notamment pour les zones où le patrimoine culturel est en danger. C’est le cas de la Syrie, par exemple, où des sites culturels entiers ont été détruits par Daech, car relevant d’une civilisation préislamique ou du culte chiite. L’Unesco ainsi que des pays comme la France et l’Allemagne œuvrent pour sauver et sauvegarder les patrimoines culturels.
Marché de la culture
Pendant très longtemps, culture et économie se voulaient deux secteurs totalement dissociés. Parler de marché de la culture est loin d’être une évidence. La notion de marché suppose une production conséquente d’un produit. Or, un produit culturel se singularise par son caractère unique. Il n’y a qu’un seul Guernica, pas plus. Sauf qu’avec la mondialisation, la définition d’un produit culturel s’est élargie, englobant ainsi le cinéma, les jeux vidéo, les livres, la musique…
Le marché de la culture est souvent qualifié « d’économie de la créativité ». Il connaît un grand essor à partir des années 1990, avec le rôle joué par la culture sur le plan économique. Surtout, ce secteur commence à peser lourd au niveau de l’emploi et des exportations. Comme d’autres secteurs au même moment (informatique…), le marché de la culture se globalise très rapidement et des logiques de concentration se mettent en place. Parmi les plus grands groupes mondiaux, on retrouve : The Walt Disney Company, Time Warner, Paramount, News Corp, Sony et NBCUniversal.
Ces groupes sont présents dans le monde du cinéma, mais aussi de la télévision, de l’édition, de la musique, de la presse et du jeu vidéo. De grands conglomérats se mettent alors en place, alliant souvent média et culture, à l’image de l’empire médiatique de Rupert Murdoch (New Corp). Avec les progrès techniques et numériques, le monde de la culture connaît une grande révolution. C’est le cas avec l’arrivée des GAFAM, puis d’autres opérateurs, comme Netflix ou Tencent (leader chinois des jeux vidéo).
L’industrie artistique la plus connue reste celle du cinéma, dominée totalement par les géants chinois et américains (poids quasiment équivalents), même si nul ne peut rivaliser avec le soft power d’Hollywood. Certains pays, comme la Chine et l’Inde, tentent de résister à cette influence, là où d’autres pays, comme la France, préfèrent protéger leur industrie nationale (l’exception culturelle française).
Si l’on s’intéresse à un marché relativement moins connu, celui du livre, force est de constater que les pays les plus influents sont ceux avec l’économie la plus florissante. Parmi les huit nations dominantes de l’industrie du livre, trois se trouvent en Asie (Japon, Chine, Corée) et quatre en Europe (Allemagne, France, Royaume-Uni, Espagne), sans oublier bien sûr le géant américain qui demeure incontestablement en tête. Le groupe d’édition français Hachette est le sixième au monde.
Quant au monde de la musique, il est beaucoup plus concentré qu’il n’en a l’air. Trois majors détiennent 60 % du marché : Universal Music Group, Sony et Warner Music Group. Ces dernières années connaissent l’explosion du streaming légal, permettant à des sociétés comme Spotify et Deezer de peser de plus en plus dans le domaine musical.
Par ailleurs, l’une des industries culturelles s’étant bien développées récemment est celle des jeux vidéo. Cette industrie reste dominée par l’Asie, et en particulier la Chine, aux côtés du Japon et de la Corée du Sud. Si l’on trouve un certain nombre de sociétés spécialisées dans le jeu vidéo et fortement associées à cette culture, comme Nintendo, Bandai Namco ou Ubisoft, ce sont à nouveau les principaux acteurs du secteur numérique qui ont massivement investi ce domaine, à savoir Apple, Microsoft et Google.
Conclusion
La culture est censée relier les hommes (animaux culturels) entre eux. Mais elle a plutôt tendance à les diviser. Dans un monde déchiré par le retour des idéologies, la culture devient un outil froissé aux mains de ceux qui veulent lui faire dire ce qu’ils souhaitent. La frontière la séparant de la politique (re)devient de plus en plus poreuse, et beaucoup en font même un outil de propagande.
Quant à l’industrialisation de la culture, ou plus exactement de produits culturels, elle permet avant tout une démocratisation et une vulgarisation de la culture, domaine réservé durant des siècles à une certaine intelligentsia. Mais l’ancienne distinction culture/aculture s’est progressivement transformée en culture d’élite et culture de masse. Ce n’est plus une distinction de quantité, mais plutôt de qualité. D’un côté, une culture jugée élevée (opéra, art, théâtre…) et, de l’autre, une culture plus populaire. Cette distinction tombe d’ailleurs souvent dans la caricature, mais on ne peut que constater que l’accès à une culture jugée plus raffinée coûte généralement plus cher, même si beaucoup d’efforts ont été faits pour faciliter l’accès à la culture.
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