Tu aimes le riz ? Il faut alors que tu saches que cette céréale est bien plus qu’un simple repas, elle a aussi joué un rôle très particulier dans la construction de l’espace asiatique. L’Asie est le continent le plus peuplé, mais aussi le plus gros producteur de riz au monde. Cette céréale est non seulement une base de l’alimentation, mais elle explique aussi en grande partie les contrastes de peuplement en Asie, et joue également un rôle clé dans les dynamiques sociales, politiques et géopolitiques dans la région. La culture du riz influence massivement les relations entre les pays asiatiques et pourrait même façonner leur avenir.
Contrastes de peuplement en Asie
Avec ses 43 810 582 km2 de terres et ses 4,7 milliards d’habitants, l’Asie est le plus grand continent et le plus peuplé. 60 % de la population mondiale vit sur 20 % des terres émergées. S’il y a bien de grandes puissances démographiques (Chine, Inde, Asie de l’Est), l’espace asiatique est pourtant marqué par d’importants contrastes de densité. Ces contrastes peuvent s’expliquer en particulier par la riziculture.
À l’échelle continentale
L’Asie comporte des États très denses : Bangladesh (1 110 habitants au km2), Taïwan, Philippines, Singapour, Hong Kong, Corée du Sud (512 habitants au km2).
Mais aussi des États de densité moyenne : Chine (149 habitants au km2), Thaïlande (136 habitants au km2).
Ou encore des États très peu peuplés : Mongolie (2 habitants au km2), Kazakhstan (7 habitants au km2), ou Turkménistan (14 habitants au km2).
À l’échelle nationale
Toutefois, à l’échelle nationale, les inégalités sont tout aussi marquantes. Voici quelques exemples :
- Chine : immenses écarts entre les provinces et les villes. Le Tibet a une densité de population de 2 habitants au km2, tandis que Shanghai abrite plus de 4 000 habitants au km2. Mais il y a aussi un immense écart entre certaines provinces. Par exemple, entre celle de Jiangsu (743 habitants au km2) et celle du Xinjiang (12 habitants au km2).
- Inde : comme pour la Chine, l’Inde montre de grosses différences, notamment entre Calcutta, qui concentre une grande partie de la population indienne, et la zone autour de l’Himalaya, très faiblement peuplée.
- Taïwan : 95 % de la population se trouve dans la zone littorale.
- Népal : ce pays est coupé en trois avec la zone la plus peuplée au sud du pays, à la frontière avec l’Inde et à Katmandou, la capitale. Puis une population de plus en plus faible lorsqu’on s’approche de la chaîne de l’Himalaya.
Si ces écarts de densité peuvent être communs au sein des pays ou des continents, les raisons de ces écarts ont été une question fondatrice pour l’Asie.
Les rôles de la riziculture inondée sur les sociétés asiatiques
Pour nous, le riz c’est surtout une céréale, que nous importons d’Asie et qui finit dans nos assiettes pour accompagner un bon poulet curry ou des tomates farcies. Mais, en Asie, le riz constitue aussi une des raisons expliquant ces forts écarts de densité.
Le rôle peuplant de la riziculture inondée : la thèse de Pierre Gourou
Selon Pierre Gourou, dans Les Paysans du delta tonkinois, ces contrastes de densité s’expliquent par la notion de « genre de vie », c’est-à-dire le rapport qu’ont les hommes avec leur espace. La densité de peuplement en Asie serait donc une conséquence du système formé autour des rizicultures aquatiques, fondées sur un usage intensif de l’eau. Ces rizicultures représentent 88 % des surfaces cultivées pour le riz.
Ainsi, la riziculture inondée a joué un rôle fondamental dans l’essor des populations en Asie au fil des siècles. En effet la riziculture inondée est particulièrement productive comparée à d’autres formes d’agriculture. Elle permet d’avoir des rendements très élevés sur des terres relativement limitées. Cela a permis de nourrir de grandes populations de manière stable. La production abondante de riz dans certaines régions d’Asie a ainsi favorisé le peuplement des zones propices à cette culture, en particulier les vallées fluviales fertiles du Mékong, du Gange et du Yangtsé.
Le rôle politique et social de la riziculture inondée
Par ailleurs, la riziculture inondée repose sur des systèmes d’irrigation très complexes, qui nécessitent une organisation sociale et politique avancée. Selon August Wittfogel, « les besoins en maîtrise de l’eau de ces sociétés rizicoles auraient conduit par nécessité à la formation d’États puissants dans la région ». La maîtrise de l’eau au sein de ces sociétés devait nécessairement reposer sur une macrostructure forte pour survivre et pour pouvoir commencer des travaux hydrauliques de si grande envergure.
Par exemple, sous la dynastie Qin, le bassin du Sichuan a bénéficié d’un système d’irrigation avancé, le système Dujiangyan, conçu pour réguler les crues et irriguer les terres agricoles. Ce réseau hydraulique a permis une augmentation significative de la productivité agricole, en particulier pour la culture du riz, favorisant ainsi la stabilité démographique et économique de la région.
Selon Michel Bruneau, la riziculture inondée a aussi été gage d’unité fondamentale des systèmes agricoles à l’échelle locale, en obligeant à la création d’organisation qui structurent la vie quotidienne. Par exemple, à Bali, il y a une unité très forte des systèmes agricoles locaux, tous contrôlés par une association de propriétaires. Tout le monde dépend donc d’une même structure hydraulique traditionnelle, le Subak, qui oblige à participer collectivement aux travaux d’entretiens et à respecter le calendrier agricole.
Ainsi, selon Fernand Braudel, dans La Grammaire des civilisations, l’Asie semble abriter une réelle civilisation du riz. Le riz apparaît comme une plante de civilisation et un facteur d’unité de l’espace asiatique.
Ainsi, les travaux d’irrigation ont permis de transformer les marécages, des plaines inondables et des deltas en terres agricoles fertiles. Les infrastructures (digues, canaux, barrages) ont permis d’étendre la surface agricole, ce qui a attiré les populations dans ces zones.
La dimension géopolitique de la riziculture (étude multiscalaire)
Si le riz a d’abord une base alimentaire pour des milliards de personnes dans la région, il est aussi un facteur clé dans les relations économiques, politiques et environnementales entre les pays asiatiques, et pas que.
À l’échelle internationale
La pratique rizicole revêt aussi des enjeux géopolitiques internationaux.
Par exemple, la pratique rizicole a pu interagir avec des questions militaires. En effet, Yves Lacoste, dans un numéro de Hérodote en 1972, analyse que la pratique de la riziculture a eu d’importantes répercutions dans la guerre du Vietnam. Pendant l’opération Linebacker, les Américains ont bombardé les digues du fleuve rouge afin de noyer la vallée du Tonkin et, par conséquent, affaiblir l’économie dans la région.
À l’échelle régionale
De l’hydraulique à l’hydropolitique
La riziculture est extrêmement gourmande en eau. La gestion des ressources en eau est donc devenue un enjeu géopolitique majeur, voire un moyen de pression privilégié.
Par exemple, la Chine joue de sa position dans le fleuve du Mékong, qui traverse six pays différents. Avec la construction de six barrages en cascade sur le fleuve, la Chine peut faire pression sur ses voisins du sud, extrêmement dépendants de l’eau du Mékong pour l’irrigation de leurs terres.
De même, l’Inde joue de sa position amont à l’encontre du Bangladesh. En effet, depuis 1975, un barrage dévie le Gange pour amener l’eau directement à Calcutta, avant même qu’il n’entre au Bangladesh.
La guerre des semences
Le riz constituant la base de l’alimentation pour plus de la moitié de la population du globe, le développement de nouvelles variétés de riz devient un enjeu géopolitique, surtout pour la Chine et l’Inde. Ces deux pays investissent massivement dans la recherche pour accroître leur productivité, garantir leur autosuffisance alimentaire et garantir leur indépendance vis-à-vis des grandes multinationales. Le développement de nouvelles technologies ou la déposition de brevets sur certaines variétés de riz créent des disparités entre les pays producteurs et peut même conduire à des alliances ou à des dépendances.
Par exemple, à la fin des années 1990, le riz doré (Golden Rice) a été développé pour lutter contre la carence en vitamine A en Asie, un problème de santé publique majeur en Asie à cette époque. Cependant, sa commercialisation a été largement freinée par des questions de propriété intellectuelle. En effet, plus de 70 brevets avaient été déposés sur cette variété de riz, obligeant les pays qui en avaient besoin à négocier pendant longtemps pour obtenir le droit d’utiliser ces technologies. Cela a créé un déséquilibre de pouvoir important entre les pays qui détiennent ces technologies et les pays en développement, qui sont devenus encore plus dépendants de ces brevets.
À l’échelle locale
Avec l’importance de la riziculture dans le monde, de puissants lobbies ruraux se sont développés afin d’influer sur les destins politiques.
C’est par exemple le cas du Japon avec JA-Zenchu, une union des coopératives agricoles. Cette union a joué un rôle décisif dans la mise en place de la politique de subvention massive et le développement d’un système protectionniste pour protéger les agriculteurs japonais de la concurrence mondiale. Ces agriculteurs ont réussi à obtenir un tarif douanier prohibitif (700 % de droit de douane) pour concurrencer le prix intérieur et ainsi favoriser les agriculteurs japonais.
Conclusion
Aujourd’hui, l’Asie représente 90 à 95 % de la production mondiale de riz. La Chine, l’Inde et l’Indonésie sont les principaux pays producteurs. Le riz constitue la base de l’alimentation pour plus de la moitié de la population du globe, en particulier en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud.
Pour les pays producteurs, le riz est donc bien plus qu’une simple base pour l’alimentation. Il est devenu une véritable arme géopolitique, arme qui a pu et pourra avoir un impact majeur sur le développement des sociétés et des politiques technologiques et environnementales des pays.
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