Le Maroc, royaume chérifien millénaire, se dresse singulièrement à l’extrémité du Maghreb, à la croisée des chemins entre l’Afrique et l’Europe. Fort de son héritage historique et culturel unique, ce pays se distingue par une stabilité politique et économique exceptionnelle, un équilibre rare dans une région souvent tourmentée. Intéressons-nous aux origines de cette stabilité.
Histoire du Maroc
Le Maroc est, avec le Japon, une des plus vieilles monarchies du monde, expliquant la grande richesse culturelle de ce royaume. L’histoire de la création de l’État marocain est liée à l’arrivée de l’islam dans cette terre du Maghreb. Même si cette terre était depuis bien longtemps habitée par de nombreuses tribus berbères.
Les Berbères sont considérés comme les habitants originels du Maroc. Ils rentrent réellement dans les annales de l’Histoire en résistant aux Romains, en vain. Ils parviendront cependant à résister à tous les envahisseurs qui leur ont succédé.
Au VIIe siècle, ce sont les Arabes qui arrivent au Maghreb et ils vont y propager l’islam et l’arabe. Idriss Ier, un prince arabe chassé de Bagdad, devient le premier roi du Maroc en 789, marquant ainsi la création d’un État millénaire et choisissant Fès comme capitale. Plusieurs dynasties se succèdent à la tête du royaume, jusqu’à celle des Alaouites, dont Mohammed VI, actuel roi du Maroc, est un descendant direct.
Ceuta et Melilla
Une fois la Reconquista achevée en 1492, avec la prise de Grenade, l’Espagne ne compte pas s’arrêter en si beau chemin. Melilla est ainsi conquise en 1497 et devient, de par son emplacement stratégique, un avant-poste espagnol et une base militaire.
Ceuta connaît un sort un peu différent, puisqu’elle est d’abord conquise par les Portugais en 1415. Cela s’inscrit dans une stratégie portugaise de maîtrise des grandes voies commerciales sahariennes. La prise de Ceuta fut une victoire majeure pour le Portugal, marquant le début de son implantation en Afrique. Mais, en 1580, lorsque la couronne portugaise passe sous contrôle espagnol lors de l’Union ibérique, les possessions coloniales portugaises sont administrées par la couronne espagnole, y compris Ceuta. Lorsque le Portugal recouvre son indépendance, Ceuta fait le choix de rester sous contrôle espagnol, un fait rare dans l’histoire des colonies.
Les sultanats du Maroc qui se succèdent tentent de récupérer ces deux villes, qui se situent sur territoire marocain, mais échappent complètement à leur contrôle, en vain. Même à l’indépendance, elles restent sous contrôle espagnol, l’Espagne les considérant comme une part intégrante de son territoire, de par l’histoire commune s’étalant sur de nombreux siècles.
Aujourd’hui, la question de la cession de ces deux villes ne se pose même pas en Espagne, malgré l’anomalie géographique
La Constitution espagnole garantit l’indivisibilité du territoire, y compris pour Ceuta et Melilla.
Récemment, le gouvernement marocain a utilisé ces deux enclaves pour faire pression sur l’Espagne en faisant du chantage migratoire. Une stratégie qui s’est révélée payante, comme le montre le récent rapprochement entre Madrid et Rabat, mais ce type de politiques engendre parfois des pertes humaines considérables.
Il n’en demeure pas moins que le peuple marocain considère l’existence de ces enclaves sur son territoire comme une aberration qui devrait être réglée un jour ou l’autre, mais les gouvernements préfèrent, du moins pour l’instant, préserver le statu quo.
Résistance face aux Ottomans
Le Maroc est le seul pays d’Afrique du Nord à ne pas voir été sous l’autorité des Ottomans. Cela participe à forger une identité marocaine singulière. Mais cela explique aussi le sentiment des Marocains, ou du moins de l’État marocain, de s’être longtemps senti menacé par l’extérieur, que ce soit par les Européens ou par les Ottomans.
Au départ, les Ottomans répondent surtout à l’appel au secours des populations kabyles, qui font face aux invasions chrétiennes espagnoles (Alger et Tunis, notamment). La Sublime Porte s’établit ainsi durablement en Algérie et en Tunisie. Mais, à partir du XVIe siècle, elle ne peut s’empêcher de lorgner sur le Maroc.
13 affrontements se succèdent entre les Marocains et les Ottomans, quasiment toujours à l’avantage des Marocains. La bataille des Trois Rois (1578) restera dans les annales, en montrant que le Maroc est capable de repousser définitivement les Portugais et de résister aux tentatives d’ingérences ottomanes. Cette résistance reste jusqu’à aujourd’hui une source de fierté pour de nombreux Marocains, qui y voient les vestiges d’une puissance passée.
La dynastie alaouite
Dans ce contexte dangereux, les grandes familles de Fès se réunissent pour choisir le sultan le plus capable de protéger le pays et d’unir la nation. Elles se tournent vers les familles arabes chérifiennes (descendantes du prophète) afin d’avoir une grande légitimité religieuse.
C’est à partir de là que le sultan du Maroc devient à la fois calife et chérif, l’emportant ainsi symboliquement sur le sultan ottoman, qui lui n’est clairement pas de descendance arabe. Cela mène la dynastie des Saadiens au pouvoir en 1554, puis, un siècle plus tard, la dynastie des Alaouites, celle qui règne jusqu’à aujourd’hui sur le Maroc.
Le protectorat
Chronologiquement, le Maroc découvre la colonisation (ou plus exactement le protectorat) bien après la plupart des pays africains. En comparaison, le voisin algérien subit la colonisation dès 1830.
En 1912, l’État marocain est implémenté depuis bien longtemps, mais il est plus fragile que jamais. Suite à de grosses difficultés financières, l’État n’est plus à même d’entretenir l’armée marocaine. Politiquement, le sultan n’a de réel pouvoir que sur les grandes villes, comme Fès et Rabat. La majorité de la population, vivant dans les campagnes, ne reconnaît pas vraiment son autorité et ne paie pas d’impôt. Il n’en demeure pas moins que la figure du sultan est plutôt respectée, notamment de par sa légitimité religieuse (il est à la fois chérif et calife).
Si le Maroc garde son indépendance jusqu’en 1912, ce n’est pas vraiment parce qu’il aurait longtemps résisté – il croulait sous les dettes –, mais plutôt parce que les Européens sont nombreux à vouloir s’y installer et n’arrivent pas à se mettre d’accord pour savoir qui aura les honneurs. L’Espagne estime que sa proximité lui octroie de facto une certaine légitimité, et le Royaume-Uni voit d’un mauvais œil l’instauration d’une colonie française à deux pas du détroit de Gibraltar.
Mais ce sont surtout la France et l’Allemagne qui tiennent énormément au Maroc et veulent à tout prix s’y imposer
Les tensions sont telles qu’une confrontation militaire fut sur le point d’éclater entre Berlin et Paris en 1911, à la suite du « coup d’Agadir » décidé par l’empereur allemand Guillaume II. C’est finalement la France, auprès de laquelle le Maroc était extrêmement endetté, qui s’y installera. Le traité de Fès de 1912 signé par le sultan entérine la mise en place du protectorat.
Mais la mise en place de ce protectorat ne fut point aisée pour la France, car de nombreuses tribus, notamment dans des régions plus reculées et dans le Rif, ne se sentaient pas concernées par le traité signé par le sultan. Beaucoup de sang a dû couler avant que la conquête ne s’achève, en 1934.
La méthode Lyautey
La France a la bonne idée de ne pas évincer le sultan ni de porter atteinte aux principes fondateurs et aux traditions profondes du Maroc. Elle préfère même garder le sultan et les grandes élites de son côté, pour ne pas se retrouver engluée dans une révolution. Mais si le Sultan règne, il ne gouverne pas. Les décisions sont prises par le résident général, désigné directement par le gouvernement français.
Le premier résident général est le général Lyautey. Il est l’un des rares militaires français à avoir compris, à partir de son expérience à Madagascar et en Algérie, qu’il est nécessaire de toujours garder un certain respect envers les populations locales, et d’éviter, dès que faire se peut, de les humilier. Ce ne fut pas le cas de ses successeurs.
L’indépendance
Lorsque les promesses des dirigeants français à la fin de la Seconde Guerre mondiale, notamment par le général De Gaulle, ne sont pas tenues, la colère sourde qui germait depuis le début du protectorat se fait de plus en plus virulente. La violence politique va crescendo, jusqu’à vraiment inquiéter les autorités françaises, qui commettent l’irréparable erreur d’exiler le sultan en 1954.
Face à la violence, et dans un moment compliqué avec l’humiliation en Indochine et le début de la guerre d’Algérie, la France accepte d’entamer des négociations en vue d’une indépendance. Le sultan, futur Mohamed V, fait un retour triomphal en 1955, acclamé par tout un peuple avide de liberté. L’indépendance est accordée en 1956.
Les auspices de 1956
Le Maroc sort malgré tout renforcé de ce (court) protectorat. Sur le plan politique, l’assise du sultan, désormais roi, est incontestée. Il est le visage de l’indépendance et incarne l’unité nationale.
Sur le plan économique, sans être brillante, la situation est bien meilleure qu’en 1912, lorsque le pays était au bord de la faillite, n’avait aucune industrie et quasiment pas d’infrastructures. Dès la fin du protectorat, Casablanca devient le cœur économique battant du pays. Mais l’économie repose toujours sur l’agriculture et l’exportation des phosphates. Le grand défi est celui de diversifier l’économie.
Socialement, la pauvreté est endémique, le taux d’alphabétisation très faible, surtout dans les campagnes. La colonisation française s’est concentrée sur les villes historiques et celles proches de mines de phosphates. Si quelques grands axes routiers sont en effet construits par les Français, le territoire demeure très décousu, avec un monde rural vivant toujours à la marge.
Sur la scène internationale, le Maroc décide de se mettre du côté des non alignés, en rejoignant des organisations comme la Ligue arabe et en soutenant l’indépendance des pays africains, à commencer par l’Algérie. Mais, sous Hassan II, le Maroc se range progressivement du côté occidental dans le cadre de la Guerre froide, notamment celui des États-Unis et de la France. Cela s’explique d’abord par la grande méfiance d’Hassan II vis-à-vis des mouvements socialistes et communistes, d’autant plus que l’URSS et d’autres pays socialistes, comme l’Algérie, soutiennent les indépendantistes sahraouis.
Hassan II (1961-1999)
À un moment où les partis politiques commencent à se développer, créant parfois des divisions, le roi Hassan II entreprend d’étouffer les contestations, allant jusqu’à emprisonner ou éliminer ses opposants. L’affaire Ben Barka, du nom de l’opposant politique disparu à Paris en 1965, créa une grosse (et rare) crise politique avec la France.
De nombreux secteurs clés ne connaissent pas de réel progrès lors de cette période, notamment l’éducation. Le taux d’alphabétisation en 1999 n’est que de 50 %, avec un écart important entre les hommes et les femmes. Les ruraux continuent, quant à eux, de vivre en marge de la société. Économiquement, le royaume connaît de grosses difficultés durant les années 1980 et se trouve astreint à subir les plans de restructuration et d’austérité prônés par le FMI, mais la situation s’améliore lors des années 1990.
Sur le plan régional, Hassan II décide de quitter l’OUA (Organisation de l’Unité africaine) en 1984 après que la RASD (République arabe sahraouie démocratique), entité que le Maroc considère comme faisant partie intégrante de son territoire national, a été reconnue par l’OUA. Hassan II va même jusqu’à demander à rejoindre la CEE en 1987, mais cette demande sera refusée, du fait de l’emplacement géographique du Maroc. Malgré ce rejet, le Maroc développe une relation privilégiée avec l’UE.
Conclusion
Essayer de comprendre le Maroc contemporain sans prendre en compte la très riche histoire de ce pays est une grossière erreur. Le Maroc se considère (plus que jamais aujourd’hui) comme une monarchie millénaire régie par des codes qui doivent être respectés, y compris par les puissances étrangères.
Le passé du royaume est une grande source de fierté pour un grand nombre de Marocains, avec de nombreux mythes, qui sont malheureusement souvent détournés par des nationalistes va-t-en-guerre. Il n’en demeure pas moins que c’est cette histoire faite de hauts et de bas qui explique avant tout la grande stabilité du royaume.
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