La gestion de la crise de la Covid au Maroc a étonné par son efficacité et a montré un visage de haut développement pour un pays qui, en 1999, connaissait un taux d’alphabétisation de 50 %, encore plus faible pour les filles. Cependant, les restrictions ont lourdement affecté les couches sociales les plus vulnérables. Ce fut donc une crise à l’image du Maroc, un pays qui connaît une croissance économique sans pareille sur le continent, mais qui bénéficie surtout aux grandes villes, alors que la pauvreté continue de sévir pour de nombreux pans de la population.
Économie
Sous le règne de Mohammed VI (depuis 1999), le PIB du Maroc a quasiment triplé, même si la croissance économique a à peine dépassé les 3 %. La politique économique est une politique libérale assumée, avec une volonté sociale de temps à autre, selon les gouvernements. Le roi lui-même est un homme d’affaires, notamment à travers la plus grosse holding du Maroc, Al Mada, et désire, par ses investissements (par exemple dans l’énergie solaire), mener la marche vers un développement économique profond. Cette politique a eu un grand succès au niveau de l’impact économique. Aujourd’hui, le Maroc est l’un des plus grands réceptacles d’IDE sur le continent.
Le secteur industriel a quant à lui un poids important, à la fois grâce à la zone franche de Tanger Med, mais aussi du fait d’une volonté de diversification du tissu industriel. Le Maroc a ainsi annoncé récemment la première voiture 100 % marocaine (Neo Motors), censée représenter la qualité d’innovation de cette industrie Made in Morocco. Le fait que le roi lui-même assiste à la présentation de cette voiture en dit long sur l’importance de cette nouvelle orientation vers un investissement plus productif, notamment dans les filières de pointe et de haute technologie.
Au niveau commercial, les principaux partenaires commerciaux du Maroc sont la France et l’Espagne, et, de plus en plus, les pays africains. En effet, depuis le retour du Maroc à l’Union africaine en 2017, la majorité des investissements marocains à l’étranger est consacrée à l’Afrique, notamment à travers les grandes entreprises marocaines, souvent liées à la monarchie ou à ses alliés du patronat.
Stabilité politique
Il n’est pas exagéré de dire que la première raison expliquant les progrès économiques du Maroc réside dans la stabilité politique qui le caractérise tant. Un rapide coup d’œil vers les autres pays arabes du Maghreb, sans parler du Sahel, suffit pour s’en convaincre.
La structure monarchique forte permet une continuité et une stabilité sans pareilles, y compris lors des changements de gouvernements ou lors des crises. À cela s’ajoute une identité culturelle et nationale forte, fondée sur une histoire millénaire et un esprit de coexistence. Cela lui évite les ennuis que peuvent connaître des pays comme le Liban, l’Égypte ou la Syrie.
Le risque de guerre civile est ainsi inexistant au Maroc. Cela permet aux autorités de s’atteler à des priorités économiques et sociales, surtout depuis la révision de la Constitution en 2011, qui renforce un peu la démocratie et octroie un certain nombre de droits politiques et civils, même si des défis subsistent dans la mise en œuvre effective de ces droits. Par exemple, cette stabilité et cette cohérence nationale ont été essentielles lors de la crise de la Covid, avec des décisions fortes et appliquées immédiatement.
Politique des grandes œuvres
Toute personne qui se renseignerait sur les récents progrès du Maroc serait impressionnée par les projets de grande envergure entrepris depuis les années 2010. Tanger Med Port, Casablanca Finance City, le TGV (premier d’Afrique), les centrales solaires de Ouarzazate (Nour), le projet de dessalement à Agadir, la Coupe du Monde 2030… Pour reprendre des propos du roi du Maroc, l’objectif assumé est de passer à la vitesse supérieure.
C’est ainsi que le Maroc s’est donné pour objectif de produire plus de 50 % de son électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici 2030. Cela est d’autant plus important que le Maroc est vulnérable face aux variations du prix du baril de pétrole et est surtout victime du changement climatique, avec de nombreux barrages quasiment vides. Les projets de dessalement, quoique très coûteux, s’inscrivent dans ce cadre. Un partenariat sur le nucléaire avec la Russie est même envisagé depuis quelques années.
Sauf que, souvent, cette vitesse très élevée contraste avec des régions (pas que les zones rurales) qui souffrent d’un manque cruel d’infrastructures, notamment de santé et d’éducation, et, dans certains cas, manquent tout simplement d’eau pour boire. Ce qui donne parfois l’impression qu’il y a en réalité deux Maroc, distincts, opposés, ayant du mal à vivre ensemble, en harmonie.
Par ailleurs, le Maroc se veut un champion de l’écologie. Rappelons que la COP22, celle qui a servi à formaliser et à appliquer l’Accord de Paris de 2015, a eu lieu à Marrakech en 2016. Les politiques publiques vont aussi dans ce sens, à l’instar du célèbre complexe solaire Nour à Ouarzazate, l’un des plus grands au monde, ou encore de la ville durable qu’est censée devenir Zenata, près de Casablanca. En plus des énergies solaires et éoliennes, le royaume chérifien mise beaucoup sur son phosphate. En effet, le Maroc possède 70 % du phosphate mondial. Or, il s’agit là d’un engrais très important, du fait de son rôle dans l’agriculture (nutriment pour les plantes) et l’industrie (industrie chimique, biocarburants, médicaments…).
Problème de productivité
Le défi majeur du Maroc contemporain réside dans le développement humain. Bien que de grands efforts aient été entrepris, notamment à travers d’importants investissements dans les infrastructures publiques et une diversification de l’économie au-delà des phosphates et des transferts de fonds, la productivité reste à la traîne. Ce manque de dynamisme nuit à la compétitivité de l’économie et réduit l’impact de l’offre exportable. Par ailleurs, les exportations marocaines demeurent largement concentrées sur des produits à faible valeur ajoutée.
Pour revenir sur l’exemple du projet du complexe solaire de Ouarzazate, celui-ci, pourtant lancé en 2016, a mis plusieurs années avant de fonctionner effectivement, montrant bien ce décalage entre actions et ambitions.
Même au niveau des exportations, sur lesquelles reposait traditionnellement le Maroc, comme l’agriculture, celles-ci connaissent de très grandes difficultés avec les sécheresses qui s’accumulent et qui accentuent la désertification et obligent à importer plus. En 2024, le Maroc a en effet connu sa sixième année de sécheresse consécutive, du jamais-vu.
Colère sourde des populations délaissées
L’histoire de la stabilité politique du Maroc, du fait d’une monarchie millénaire et des très mauvaises expériences des printemps arabes, qui ont souvent dégénéré en guerre civile dans le monde arabe, fait que le peuple marocain ne s’est jamais vraiment vu en peuple révolutionnaire ou partisan du désordre. Mais il assume d’exprimer sa colère envers les gouvernements lorsque ceux-ci échouent à préserver un minima de contrat social.
Le mouvement du Hirak est ainsi né en 2016, dans la région du Rif, pour dénoncer les corruptions et les inégalités. Le mouvement de boycott de 2018, contre les produits phares de plusieurs grandes entreprises marocaines, visait à critiquer la hausse des prix et du coût de la vie qui commençait à trop peser sur les épaules des plus démunis. Les réseaux sociaux servent d’amplificateur de cette colère sourde.
Il est d’ailleurs intéressant de noter une culture de la critique au niveau des chants de football de nombreux supporters qui expriment leur souffrance quotidienne et leurs doléances à travers des chants qui se veulent parfois très virulents. Une manière unique de s’exprimer pour ceux qui autrement n’ont pas de voix, dans un pays où le football est de très loin le sport le plus populaire et le plus répandu.
Diplomatie
La priorité de la diplomatie marocaine reste la question de la marocanité du Sahara occidental. Alors que le dossier était relégué au second plan côté algérien sous le Président Bouteflika, le Maroc, notamment avec son ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, mène une offensive sans précédent sur le dossier. Le Maroc fait ainsi beaucoup de progrès et bénéficie aujourd’hui du soutien de plusieurs grandes puissances : les États-Unis, l’Espagne, l’Allemagne et, désormais, la France.
Le Maroc se distingue également par une diplomatie culturelle efficace. Celle-ci passe par le tourisme, la profonde diaspora ainsi que l’organisation de grands événements. On le voit avec l’organisation annuelle du festival de Mawazine, qui réunit chaque année les plus grandes stars mondiales (Maluma, Shakira, Nicki Minaj…), ou encore la Coupe du Monde 2030. Justement, le sport est un enjeu important de cette diplomatie culturelle, surtout après l’exploit historique des Lions de l’Atlas lors de la dernière Coupe du Monde au Qatar (Demi-finales), avec bientôt l’organisation de la CAN 2025 et de la Coupe du Monde 2030, en plus du fait de miser sur des stars à renommée internationale, comme d’Achraf Hakimi.
À cette diplomatie culturelle s’ajoute une importance croissante du cinéma, car de nombreux films et blockbusters sont tournés au Maroc. C’est une stratégie récente et assumée du ministère de la Culture afin de promouvoir le branding du Maroc, tout en favorisant le tourisme.
Quant à la normalisation avec Israël, si celle-ci a été une décision plutôt impopulaire, et encore plus après le 7 octobre 2023, elle a permis au Maroc de bénéficier d’un grand lobbying et d’un soutien non négligeable au niveau des renseignements (satellites…).
Pivot africain
Rappelons que le Maroc a longtemps été un pays marginal en Afrique, à la fois du fait de sa position excentrique et du caractère tourné vers l’Europe du roi Hassan II, celui-là même qui quitta l’OUA en 1984.
Le grand retour du Maroc au sein de l’UA en 2017 est un tournant majeur et historique pour la diplomatie et l’économie marocaines. Aujourd’hui, le Maroc est le premier investisseur africain en Afrique, devançant l’Afrique du Sud. Les entreprises marocaines, elles, investissent de plus en plus en Afrique, dans de nombreux secteurs : la banque (Attijariwafa), le secteur minier (Managem), la téléphonie…
D’autant plus que le Maroc se distingue par la promotion d’un islam modéré qui condamne clairement le terrorisme islamiste de Boko Haram, Daech… Le roi du Maroc, de par son rôle de « Commandeur des croyants », a ainsi mené une politique de constructions de mosquées et de formations d’imams en Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest.
La fermeture des frontières par l’Algérie porte tout de même un coup assez dur à cette politique africaine, mais le Maroc parvient cependant à faire avec.
Conclusion
Le Maroc du XXIe siècle est sans aucun doute un nouveau Maroc. Il est aujourd’hui, avec l’Afrique du Sud, une puissance africaine. Le royaume a connu une émergence rapide et a désormais une économie en pleine diversification, construisant son essor sur les liens avec l’UE et sa position d’interface avec l’Afrique. Il n’a désormais aucun scrupule à se projeter lui-même sur le continent, remplaçant parfois même (économiquement) l’ancien colon européen, car il est jugé comme un partenaire fiable et sérieux. Ses grandes entreprises sont ainsi devenues une force de frappe incroyable.
Mais une grosse ombre demeure sur le tableau : le chômage persiste à 12 %, les inégalités de revenus sont les plus élevées de tout le Maghreb, la mal-gouvernance a du mal à être éradiquée (corruption…) et la misère quotidienne concerne encore de nombreux millions de Marocains.
Le tremblement de terre de septembre 2023 n’a fait que lever le voile sur certaines des contradictions du régime marocain. De très grosses vitrines et une locomotive économique, d’une part, une pauvreté endémique et un enrichissement des élites, de l’autre. Pourtant, la volonté ne manque pas. Après tout, l’État marocain n’a-t-il pas montré avec la crise Covid que lorsqu’il le voulait, il était capable d’appliquer des politiques publiques avec succès, malgré les obstacles ?
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