étrangers

Dans le cadre du programme d’histoire du concours A/L et LSH 2025, nous te proposons la première partie de notre analyse sur les étrangers durant la Première Guerre mondiale en France.

Contexte historique : l’Europe en mouvement

Les migrations avant-guerre ont déjà cours en France. En effet, l’industrialisation de la fin du XIXe siècle a déjà poussé de nombreux travailleurs étrangers vers la France, notamment des Italiens, des Espagnols et des Belges, attirés par les opportunités économiques dans les mines, l’agriculture et l’industrie.

Ces migrations sont plus ou moins renforcées par les alliances et les tensions internationales, notamment avec la présence d’étrangers issus des pays alliés et de colonies françaises. Cependant, la Première Guerre mondiale accentue les phénomènes migratoires, en raison d’un besoin important de main-d’œuvre et de force militaire en métropole.

Le recrutement des travailleurs étrangers

Les besoins économiques et militaires

La mobilisation de millions d’hommes au front, dont la majeure partie de la main-d’œuvre masculine en âge de travailler, plonge l’économie française dans une crise sans précédent, notamment dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrie. Pour répondre aux besoins en ravitaillement des armées et pour maintenir l’économie nationale, le gouvernement français se tourne rapidement vers la main-d’œuvre étrangère.

Ce besoin pressant concerne tous les secteurs, mais touche particulièrement :

  • l’industrie de l’armement : avec une demande d’armement en constante augmentation, il faut des ouvriers pour travailler dans les usines de production de munitions et d’équipements militaires ;
  • l’agriculture : en l’absence de nombreux agriculteurs partis au front, la production de nourriture risque de chuter dangereusement, menaçant la survie des civils et des militaires ;
  • les infrastructures de transport : l’acheminement de matériel et de ravitaillement nécessite la réparation et l’entretien des chemins de fer, des routes et des ports.

 

En septembre 1915, la Commission interministérielle de la main-d’œuvre (CIMO) est créée pour établir les principes de gestion de la main-d’œuvre, ainsi que les conditions d’embauche et les types de contrats de travail. Entre 1915 et 1917, trois services distincts sont mis en place sous la supervision des ministères de l’Agriculture, de la Guerre et du Travail, ce dernier prenant peu à peu le pas sur la politique d’immigration.

Les accords de recrutement

Face à ces besoins colossaux, la France signe des accords avec plusieurs pays pour attirer une main-d’œuvre étrangère. Ces accords incluent notamment l’Italie, le Portugal et la Grèce, mais aussi les colonies françaises, comme l’Algérie, le Maroc et l’Indochine. Chaque accord comporte des conditions spécifiques, souvent très inégalitaires et assorties de limitations juridiques. Par exemple, les travailleurs coloniaux sont soumis à un régime militaire strict, tandis que les Européens disposent de conditions légèrement meilleures.

Les accords stipulent que les travailleurs devaient être logés et nourris par l’État français. Cependant, dans la pratique, ces conditions ne sont pas toujours respectées et les ouvriers étrangers vivent dans des baraquements rudimentaires, sans hygiène ni confort. En dépit de la situation difficile, les campagnes de recrutement menées dans les pays alliés et les colonies permettent d’attirer plusieurs centaines de milliers de travailleurs étrangers, ce qui contribue à maintenir les industries en activité.

Les conditions de vie et de travail

La vie quotidienne des travailleurs étrangers en France est marquée par des conditions précaires et une exploitation intense. En 1917, environ 225 000 travailleurs coloniaux et étrangers, dont de nombreux Indochinois, sont logés dans des baraquements insalubres et surpeuplés, avec un accès limité aux soins médicaux. Leur journée de travail peut atteindre jusqu’à 12 heures dans des environnements dangereux, souvent sans mesures de sécurité. Les salaires sont 20 à 30 % inférieurs à ceux des ouvriers français.

Des discriminations sévissent également au niveau des permissions. Tandis que certains travailleurs européens peuvent parfois bénéficier de courtes périodes de repos, les permissions pour les ouvriers coloniaux sont plus restreintes, voire inexistantes. Ces différences de traitement sèment un sentiment d’injustice qui marque profondément la mémoire collective des populations concernées, favorisant ultérieurement l’émergence de revendications anticolonialistes.

La mobilisation militaire des étrangers

Les régiments de volontaires étrangers

Avant 1914, le gouvernement français ne se lance pas sans hésitation dans le recours aux troupes indigènes en cas de guerre européenne. À partir de 1914, la nécessité guerrière fait loi. La guerre dure et se révèle mangeuse d’hommes : il faut donc contrebalancer les pertes et les apports insuffisants en recrutement français. C’est l’objectif de la « Force noire » de Mangin : en 1915, il faut augmenter les effectifs en puisant chez les engagés volontaires d’Afrique.

C’est pendant la guerre que naît vraiment l’action psychologique en direction des colonisés. Le discours officiel insiste partout sur la participation des colonies à une œuvre commune de civilisation contre les barbares turco-allemands. Pour la première fois, les colonisés sont rangés verbalement par le colonisateur au rang de « civilisés ». De quoi flatter, mais aussi interloquer. Le journal des colons de l’AOF chante les « beaux diables noirs » et les appelle, sur les principes de 1789, à défendre le sol sacré de la patrie « comme à l’époque de Jemmapes ou de Valmy ». La presse française au Maghreb stigmatise les Turcs, ces « boches d’Islam ». La France se donne pour meilleur ami l’islam : elle flatte l’islam aux Comores pour réaliser les recrutements, par exemple.

Pour obtenir de bons résultats dans le recrutement, le pouvoir français se tourne prioritairement vers les notables « indigènes ». Pour cela, le haut commandement français fait appel à l’engagement dans les colonies, notamment en Afrique occidentale et équatoriale française. Blaise Diagne, premier député noir africain à l’Assemblée nationale française, prend le relais et gère le recrutement. Il appelle toutes « les populations africaines » au loyalisme patriotique et au rassemblement sous les plis du drapeau de la « mère patrie ».

La motivation des engagés

Chez les indigènes, les motivations sont nombreuses : envie de bouger, hâte d’échapper à l’oppression du clan, soif de respirer les vents frais de l’extérieur. Force est de constater que les soldats originaires des colonies se sont, dans l’ensemble, bien battus et qu’ils se sont finalement bien intégrés dans l’armée. Et pourtant, ils ne sont jamais considérés ni traités comme à l’égal des Français.

En effet, la surveillance des tirailleurs est constante. Les cadres miloufs sur le front, les officiers interprètes dans les dépôts de passage, les camps « d’hivernage » du Midi, où les informations sanitaires sont chargées du contrôle et de l’encadrement physique et moral des hommes. Avant 1917, il n’existe pas d’officiers sénégalais, alors qu’il existe environ 200 officiers maghrébins. Les règlements en vigueur prescrivent que les officiers indigènes ne peuvent jamais dépasser le grade de lieutenant et un indigène doit obéissance à un collègue français. Les unités de tirailleurs sénégalais sont homogènement composées d’Africains, cadres non compris, mais les unités de tirailleurs maghrébins comprennent une proportion de 20 à 30 % de tirailleurs français.

De plus, les mauvais traitements et les humiliations ne sont pas chose rare. Les Africains noirs en font davantage les frais que les Maghrébins, mais la situation s’améliore dès la fin de la guerre. Le principe d’homogénéité ethnico-culturelle des unités de tirailleurs est souvent mal respecté ou appliqué en dépit du bon sens. Le classement des Sénégalais en « races guerrières » et « non guerrières » se révèle le plus souvent absurde. La discrimination existe aussi dans le régime de permissions qui concerne surtout les Maghrébins, mais est fortement atténuée tant les crises d’abattement se multiplient.

Ainsi, la France réprime et libère. Elle enseigne la discipline et le maniement des armes, mais ne peut en contrôler tous les champs d’application. Pour les Algériens, s’allier pour venger solidairement, à la fois Sedan et Staoueli, n’a évidemment pas le même sens que pour les Français. Toutefois, aucune unité de tirailleurs algériens ne participe aux mutineries de 1917. Ils sont même utilisés pour garder des points chauds ou pour réprimer des révoltes de Français. Un seul bataillon de Sénégalais – le 61e BTS, le « bataillon Malafosse » – se mutine pour les mêmes raisons que les unités françaises : le « sang versé sans mesure », selon l’expression de l’historien M. Michel. Au total, le « loyalisme » n’est pas qu’un mythe et ne s’applique pas par le seul dressage des hommes.

Les pertes et le sacrifice des soldats étrangers

Au total, les colonies fournissent à la guerre française de 540 000 à 600 000 soldats. L’historien Sarraut retient, lui, le chiffre de 587 000, en comptant les 4 000 Français des colonies et les 73 000 Français d’Algérie recrutés, soit 7 à 8 % du chiffre des Français mobilisés pendant la Grande Guerre. Selon les évaluations, de 66 000 à 71 000 coloniaux sont tués à la guerre (dont 25 000 Algériens sur 36 000 Maghrébins + 30 000 à 35 000 Sénégalais). Au total, donc, pour sa guerre, le pouvoir français prélève de 800 000 à 900 000 hommes, tirailleurs et travailleurs confondus.

Sources

Jean Meyer, Jean Tarrade, Anne Rey-Goldzeiguer, Jacques Thobie, Histoire de la France coloniale : Des origines à 1914, Armand Colin, Collection U, 2016

Charles-Robert Ageron, Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilbert Meynier, Jacques Thobie, Histoire de la France coloniale : 1914-1990, Armand Colin, Collection U, 2016

Site internet du musée de l’histoire de l’immigration

 

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