mafias

Si les groupes criminels ont toujours existé, les mafias ont bénéficié de la globalisation de l’économie et de l’ouverture des frontières pour s’affirmer comme des acteurs avec un rôle géopolitique certain. Leur présence est souvent passée sous silence, mais leur connivence avec d’autres acteurs, comme les États ou les FTN, est belle et bien présente. L’idée de cet article est donc de comprendre leur poids réel derrière cette discrétion de façade. Quel est le rôle véritable des mafias calabraises ou encore des triades chinoises ? À quel point peut-on s’opposer aux mafias ou doit-on se soumettre et accepter leur présence ?

Introduction

La géopolitique est définie par Yves Lacoste comme « l’étude des rivalités de pouvoirs sur des territoires et les populations qui y vivent ». Les mafias sont des groupes criminels qui prennent souvent racine dans un territoire délaissé par l’autorité souveraine, instaurant de fait une rivalité de pouvoir.

La mondialisation a permis à ces groupes mafieux d’étendre leur territoire à l’international et de gagner en puissance et en influence, au point de représenter des contre-pouvoirs de poids face aux États. La puissance actuelle des mafias provient d’une dérégulation de l’économie, qui a permis aux organisations criminelles de prospérer en utilisant les failles d’une économie globalisée.

Aujourd’hui, certaines organisations sont plus puissantes que des États, font bien plus de profits que des entreprises cotées en Bourse et ont une capacité de projection plus forte que beaucoup d’acteurs. Avec ces atouts de la puissance, leur poids géopolitique est réel et doit être examiné.

Quel est le rôle de ces organisations dans l’ordre mondial actuel ? Quel est le lien entre mafias et États ? La lutte contre les mafias est-elle vraiment efficace, voire effective ? Cet article a pour but d’expliquer à travers des exemples pourquoi ce sont des acteurs qu’il faut aujourd’hui considérer sur le plan géopolitique.

Organisation des mafias : à l’intérieur de la pieuvre

Chaque mafia a un système de fonctionnement différent. Certaines mafias fonctionnent par le lien du sang, à l’image de l’aristocratie, d’autres sont créées par le regroupement de clans indépendants, mais avec des intérêts communs. Certaines ont une hiérarchie pyramidale et d’autres ont une forme de table ronde composée des chefs de clans/familles.

Néanmoins, le dénominateur commun de ces organisations est qu’elles ne respectent pas le cadre de la loi, utilisent la violence pour arriver à leurs fins et ont pour but d’engranger le maximum d’argent. Leur implantation se fait très souvent dans des territoires pauvres où la misère efface les perspectives des jeunes qui voient l’adhésion à ces groupes comme le seul moyen de gagner leur vie et surtout d’exister socialement.

Des phrases, recueillies dans un reportage du Monde auprès d’un ancien membre d’une triade hongkongaise, illustrent le recrutement des mafias : « J’étais pauvre et faible, j’avais besoin d’argent et de protection… », « À 19 ans, j’avais déjà gagné assez d’argent pour m’acheter une Benz », « J’étais puissant. Un petit groupe m’obéissait et je commençais à rencontrer des dai lo [chefs]. »

L’exemple des triades chinoises

Au fil des décennies, les triades chinoises ont multiplié les alliances avec les gouvernements, la police, les hommes d’affaires, les forces politiques locales et également le gouvernement chinois. Les trois principales triades de Hong Kong – la 14K, Sun Yee On et Wo Shing Wo – ont eu une influence forte après 1949 jusqu’à aujourd’hui.

En effet, les triades ont eu un rôle géopolitique, car ces alliances informelles ont contribué à maintenir un certain ordre à Hong Kong pendant l’époque de la Guerre froide, où la crainte de la propagation du communisme était forte. Le lien entre les triades et Thang Kaï-chek était connu : il utilisait la violence de ces groupes pour réprimer les manifestations communistes et garder le contrôle sur les grandes villes.

De 1997 à aujourd’hui, les triades ont continué à jouer un rôle dans l’économie souterraine et la politique de la région. Encore aujourd’hui, sur le plan géopolitique, les États-Unis accusent le PCC de ne pas lutter contre les triades, car elles fournissent aux cartels mexicains les produits chimiques nécessaires pour la production de fentanyl, drogue de synthèse qui tue énormément de citoyens américains.

Les mafias dans la mondialisation

S’appuyant d’abord sur le contrôle d’un territoire, puis sur une extension tentaculaire à l’échelle de la planète, les mafias s’affranchissent des frontières réelles ou symboliques et ont un rayonnement international dans lequel les diasporas jouent un rôle certain.

En effet, les diasporas italienne (la famille Genovese), irlandaise (The Westies) et chinoise, à New York, ont été le relais d’organisations internationales à la recherche de nouveaux marchés.

Le cas d’une mafia internationale : la ‘Ndrangheta

Lorsque l’on parle d’expansion de groupes mafieux, la mafia calabraise ‘Ndrangheta, présente dans plus de 50 pays et avec un chiffre d’affaires de plus de 50 milliards dépassant des entreprises cotées en Bourse, comme Dior ou Renault, est l’exemple à étudier. La ‘Ndrangheta est aujourd’hui une organisation criminelle majeure avec des ramifications partout dans le monde.

Cette structure est considérée comme la plus dangereuse du crime organisé en Europe. Cette mafia prend racine dans l’Aspromonte, territoire montagneux de la pointe sud de l’Italie. Ce sont des clans familiaux autonomes « Ndrine » qui y prospéraient avant l’unification de l’Italie en 1860. Aujourd’hui, si les traditions et les rites sont toujours très présents, cette organisation n’a rien à voir avec le stéréotype des paysans frustrés de l’époque. Si, au départ, la ‘Ndrangheta était spécialisée dans les enlèvements de riches magnats, aujourd’hui, elle a su tirer profit de l’affaiblissement de la mafia sicilienne Cosa Nostra dans les années 90 pour reprendre le contrôle de l’importation de cocaïne.

Plusieurs enquêtes internationales estiment qu’elle contrôle actuellement 80 % des importations sur le territoire européen. C’est aujourd’hui une organisation présente et opérationnelle dans une cinquantaine de pays avec une logistique qui concurrence celle des meilleures sociétés d’import-export. On retrouve maintenant au sein de ces membres des experts en droit des affaires, en comptabilité, et qui élaborent des schémas d’évasion fiscale complexes. La ‘Ndrangheta a donc utilisé la mondialisation et la libéralisation des flux pour s’implanter partout de manière organique, tout en diversifiant ses activités (drogue, prêt financier, pétrole…).

Mafia et État : meilleurs ennemis ?

Le mot d’ordre des États lorsque l’on parle d’organisation criminelle, c’est la lutte et le combat pour mettre un terme aux violences faites et au climat de terreur instauré sur leur territoire. Seulement, quand les intérêts s’alignent, la coopération entre les mafias et les États n’est pas exclue.

En effet, un groupe organisé, discret, pas freiné par le cadre légal et présent sur énormément de territoires peut se déployer plus facilement et augmenter la capacité de projection d’un État.

Les Balkans : des États mafieux ?

Lorsque l’on parle de connivence entre mafias et États, le cas des mafias des Balkans est instructif. Si les criminels d’Albanie tirent plutôt leur puissance de leurs liens avec les mafias italiennes, les mafias serbes, elles, la tirent de leur lien historique avec l’État, notamment à l’époque communiste de la Yougoslavie et du règne de Milosevic.

Certains experts parlent, par moments, de la Serbie et du Monténégro comme des « États mafieux ». Ce lien entre État et mafia est toujours difficile à prouver dû à l’opacité des services de police et notamment des services secrets qui sont souvent les intermédiaires de choix entre les politiques et les mafieux. Lorsque l’on parle de connivence, on peut également souligner la passivité de l’Union européenne sur cette présence mafieuse au Monténégro, qui est historiquement pro-UE et pro-OTAN.

Bien souvent, le laxisme des politiques sur des activités criminelles vient d’intérêts géopolitiques communs. On recense aujourd’hui environ 300 groupes criminels dans les Balkans, qui sont des cellules indépendantes et qui évoluent souvent avec le soutien des gouvernements pour affirmer leurs territoires (cas du Kosovo).

Une lutte mondiale possible ?

Il existe une multitude d’organisations pour lutter contre ces mafias qui posent un réel problème sécuritaire et de santé publique avec la démocratisation de drogues, comme la cocaïne ou le fentanyl. Les plus connues sont :

  • Interpol, l’organisation internationale de police criminelle ;
  • l’OMD, Organisation mondiale des douanes ;
  • le GAFI, groupe d’action financière internationale contre le blanchiment d’argent ;
  • la DEA, aux États-Unis.

 

Seulement, leur rôle est limité pour plusieurs raisons :

  • asymétrie de moyens financiers face à des organisations très profitables ;
  • conflits d’intérêts entre pays qui limitent la coopération et donc la traque des acteurs internationaux ;
  • corruption ou passivité de certains politiques par peur ou intérêt.

 

En effet, l’expression « plata o plomo » (l’argent ou le plomb) n’est pas seulement une réplique de film au regard du nombre de politiques assassinés en Amérique du Sud et Centrale, car « hostiles aux cartels ».

Conclusion

Il existe encore une multitude d’exemples d’organisations mafieuses, les plus connues et souvent déjà étudiées étant les Maras du Salvador, les cartels mexicains et colombiens, les Yakuzas… Chaque territoire délaissé est souvent investi par des groupes mafieux qui, de manière organique, à l’image d’une pieuvre, arrivent à s’emparer du pouvoir. C’est souvent cette intrication particulière avec la population et leur déploiement à l’international qui en font des organisations très difficiles à démanteler.

Les mafias sont présentes dans toutes les sphères de la société, en allant du restaurateur au ministre. Maîtriser un de ces exemples de mafias et le contre-pouvoir qu’elles représentent est un bon moyen d’avoir une analyse plus fine de la grille géopolitique mondiale qui n’appartient plus seulement aux États aujourd’hui.

Si tu souhaites approfondir, Richard Haass développe ce constat dans son livre, The Age of Nonpolarity, dans lequel il parle de monde « apolaire ». Il insiste notamment sur un constat : suite à la multiplication des contre-pouvoirs, le danger, c’est que les crises ne puissent plus trouver de remède et que les rênes du monde soient abandonnées au chaos.

 

N’hésite pas à consulter toutes nos autres ressources géopolitiques.