décroissance

D’après les projections d’Eurostat, la population européenne devrait diminuer de 108 millions d’habitants à l’horizon de 2080, soit un passage de 507 millions en 2014 à 399 millions en 2080. Certains s’inquiètent d’un « suicide démographique de l’Europe », mais est-ce réellement le cas ?

La trajectoire démographique de l’Europe : constat

Des pays qui ont achevé leur transition démographique

Depuis les années 1960, l’Europe connaît une situation « post-transition ». Le taux de croissance de la population européenne est faible, passant de 0,89 % par an, en 1963, contre un taux de croissance négatif en 2021 et en 2022. Selon l’Insee, il y a donc eu plus de morts que de naissances, conduisant à une baisse de près de 500 000 habitants en 2021 et de 265 000 en 2022.

Par ailleurs, les pays de l’UE à 27 sont marqués par un taux de natalité très faible comparé à la moyenne mondiale. En 2023, le taux de natalité moyen dans l’UE s’établissait à 8,7 naissances pour mille habitants, contre 17 naissances pour mille habitants dans le monde, soit plus du DOUBLE de celui de l’UE !

Cette baisse de la natalité s’explique par plusieurs facteurs :

  • La thèse de Gary Becker : dans A Treatise on the Family, il explique que les familles prennent de plus en plus en compte la relation coût-avantage d’un nouvel enfant. Les coûts de l’éducation devenant élevés et l’inflation se faisant de plus en plus sentir dans les familles, ces dernières préféreraient n’avoir qu’un seul enfant de « qualité forte » plutôt que plusieurs de « qualité faible ».
  • Le développement de techniques contraceptives : elles ont permis de limiter et de planifier les naissances.
  • Le vieillissement de la population : depuis 1960, l’espérance de vie dans l’UE est passée de 69 ans à 81 ans, en 2019. Un meilleur niveau de vie, la meilleure prise en charge de la santé, les progrès médicaux… ont permis d’élever significativement l’espérance de vie.

Mais, à l’est de l’Europe, une véritable hémorragie

Si l’ouest de l’Europe réussit à peu près à se maintenir, ce n’est pas le cas des pays plus à l’est. Depuis 1960, les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) ont perdu 20 millions d’habitants. Une véritable hémorragie en grande partie due au faible taux de natalité et aux fortes émigrations. En effet, après la chute du bloc communiste, officiellement achevée en 1991, les PECO ont subi une baisse de natalité majeure. Par exemple, la Bulgarie pourrait perdre jusqu’à 1/3 de sa population d’ici à 2050. Par ailleurs, parmi les dix pays risquant de perdre le plus d’habitants d’ici 2050, on retrouve la Roumanie, la Bulgarie, la Croatie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne.

On observe donc une division nette entre l’est et l’ouest de l’Europe. En effet, les 15 premiers membres de l’UE ont connu une augmentation de 12 % depuis 1990, tandis que les pays ayant rejoint l’UE en 2004 ont connu une baisse de 7 %.

Les conséquences du déclin démographique européen

Une potentielle perte de puissance

Si, aujourd’hui, la puissance repose bien plus sur le soft power (Joseph Nye) que sur la démographie, cette dernière reste tout de même un instrument de puissance à prendre en compte. Le risque est bien une sorte de marginalisation des affaires du monde. En effet, on pourrait bientôt s’interroger d’une telle présence européenne dans les affaires du monde, alors qu’il s’agit du continent le moins peuplé du monde (sauf si tu comptes l’Arctique et l’Antarctique). Cette question est assez récurrente à l’ONU et menace la place de la France et du Royaume-Uni comme membres permanents du Conseil de sécurité.

De plus, une forte démographie est source d’un fort capital humain. Une population jeune et éduquée stimule l’innovation, ce qui est essentiel pour une économie de la connaissance. Mais une population jeune et active apporte surtout de la main-d’œuvre. Avec une population active, le pays peut stimuler sa production et la consommation, permettant une croissance économique plus aisée. Par exemple, la Chine et l’Inde bénéficient aujourd’hui d’un vaste marché intérieur, ce qui favorise leur développement économique et leur poids dans l’économie mondiale.

Un ralentissement de la croissance

Le risque d’un déclin démographique, c’est le « déclassement » économique, d’une Europe qui perdrait donc l’avance qu’elle avait acquise entre le XIXe siècle et le début du XXe siècle.

Sur ce point, deux écoles s’opposent :

  • L’école malthusienne : fondée par l’économiste Malthus, cette école soutient qu’une croissance démographique rapide engendre des problèmes majeurs (pauvreté, famine, pression excessive sur les ressources naturelles…). Si l’augmentation de la population dépasse la capacité de production alimentaire et des ressources, les conditions de vie se dégradent et le pays s’appauvrit.
  • L’école populationniste : cette école défend que la richesse et la puissance d’un État reposent sur le nombre de ses habitants. Selon Jean Bodin, « il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de sujets, trop de citoyens : vu qu’il n’y a richesse, ni force que d’hommes ». Une population importante apporterait des bénéfices économiques grâce à une forte main-d’œuvre et permettrait une défense militaire plus forte.

 

Cette crainte d’un déclassement économique est d’autant plus justifiée que la décroissance démographique s’accompagne d’un vieillissement de la population en Europe. En Allemagne, par exemple, 40 % de la population aura plus de 60 ans en 2040. Le problème, c’est que ça engendre une baisse de la population active. Depuis 1960, la croissance de la productivité du travail a fortement diminué, passant de 4,5 % à 1 % aujourd’hui, et ce, malgré l’arrivée des nouvelles technologies et des robots. Ce phénomène, connu sous le nom de paradoxe de Solow, met en évidence que, malgré les avancées technologiques rapides, leur impact sur la productivité globale reste limité. Robert Solow disait, en 1980, que « l’ordinateur est partout, sauf dans les statistiques de productivité ».

Ainsi, le déclin démographique peut conduire à un déclin économique, même avec l’arrivée de robots et de nouvelles technologies très avancées.

Le problème du financement des systèmes de protection sociale

Le déclin démographique, accompagné d’un vieillissement de la population, pose la question du financement des systèmes de protection sociale. En effet, on a moins de population active, mais plus de population nécessitant des retraites ou d’aides pour la santé.

Dans l’UE, la part des personnes de plus de 80 ans a doublé depuis 2015. Si, aujourd’hui, la population de plus de 65 ans représente 30 % de la population européenne, elle en représentera 51 % en 2080. Cette augmentation des personnes âgées au sein de la population européenne augmentera le ratio de dépendance, c’est-à-dire les personnes dépendantes par rapport à la population active. Dès lors se pose la question du financement de ces systèmes.

En réalité, plusieurs leviers ont déjà été utilisés par le passé, comme l’augmentation des cotisations ou des prélèvements sur le revenu, ou l’augmentation de l’âge permettant de déclencher les droits de retraite. C’était par exemple le cas de la réforme Balladur en 1993, qui faisait passer la durée de cotisation de 37,5 ans à 40 ans.

Quelles techniques pour faire face au déclin démographique ?

Pour faire face au déclin démographique qui l’attend, l’Europe pourrait adopter plusieurs stratégies afin de faire augmenter ou stagner la population sur le territoire.

L’encouragement à la natalité

Déjà plusieurs pays européens mènent des politiques familiales ou proposent des aides financières ou politiques afin de relancer la natalité. Par exemple, la France a l’un des taux de natalité les plus élevés d’Europe, notamment grâce à des politiques de soutien aux familles. Ces mesures incluent des allocations familiales, une réduction d’impôts pour les familles avec enfants, ou encore des congés parentaux prolongés.

De même, l’Allemagne prévoit d’augmenter les aides financières allouées aux familles avec enfant. En 1954, elle a mis en place le Kindergeld, une allocation familiale destinée à aider financièrement les parents pour l’éducation et l’entretien de leurs enfants. Dans les PECO, la Pologne avait mis en place le programme 500+ qui accordait aux familles une allocation de 500 zlotys par enfant et par mois, sans condition de revenu.

L’encouragement à l’immigration

Pour compenser le déclin démographique et le déficit de main-d’œuvre, les pays de l’UE pourraient faciliter l’arrivée de migrants en mettant en place des procédures de visa simplifiées ou des aides d’intégration pour les travailleurs qualifiés.

Le Portugal, par exemple, a conçu le Startup Visa, afin d’attirer des entrepreneurs étrangers qui voudraient créer des entreprises au Portugal. L’Allemagne a adopté la Loi de l’immigration des travailleurs qualifiés afin de faciliter l’entrée des travailleurs qualifiés non européens. L’obtention des visas pour travailler dans les secteurs en pénurie est facilitée et les non-ressortissants de l’UE peuvent venir en Allemagne pour chercher un emploi s’ils ont la formation et les compétences requises.

L’investissement dans l’économie locale et la création d’emplois

En élevant les salaires ou en créant des conditions de travail attractives, le brain drain pourrait bien s’arrêter et ces mesures pourraient même attirer les travailleurs qualifiés étrangers. Cela diminuerait à la fois le manque de main-d’œuvre et le déclin démographique.

C’est par exemple ce que fait la Slovaquie, qui se concentre sur le développement de pôles industriels et technologiques régionaux pour offrir des emplois bien rémunérés. De même, la Bulgarie développe des incubateurs et des parcs technologiques afin de devenir un nouveau pôle d’innovation en Europe. Le but de ces incubateurs : garder les talents nationaux et attirer les étrangers dans les secteurs à forte valeur ajoutée.

Conclusion

Ce que tu dois retenir de cet article, c’est que l’Europe est bel et bien en récession démographique, ce qui pourrait avoir des conséquences tant économiques que géopolitiques. Pour autant, il ne faut pas croire que c’est peine perdue et que l’Europe va disparaître.

Elle reste quand même un continent qui accueille beaucoup de migrants (2,3 millions de personnes hors UE ont immigré vers un pays de l’UE en 2021) et qui a plusieurs cartes à jouer pour relancer la croissance démographique. Par ailleurs, on parle bien d’une récession démographique plus que d’un déclin démographique. Le compte ne semble pas encore alarmant aujourd’hui.

 

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