Depuis le XXe siècle, le dollar américain s’est imposé comme la monnaie dominante sur la scène internationale. Cependant, des dynamiques récentes, telles que l’ascension du yuan chinois et les initiatives des BRICS visant à réduire leur dépendance au dollar, soulèvent des questions quant à la pérennité de cette hégémonie. Dès les années 1960, l’économiste belge Robert Triffin avait mis en lumière le paradoxe du dollar, confronté à sa double fonction de monnaie nationale et internationale. Aujourd’hui, alors que le monde explore de nouvelles alternatives, l’avenir de la suprématie du dollar semble plus incertain que jamais.

L’ascension du dollar dans le système monétaire international

La domination du dollar n’a pas été immédiate, mais résulte d’une série d’étapes clés au cours du XXe siècle. En 1913, la création du Federal Reserve System a centralisé l’émission du dollar, permettant une plus grande stabilité. Pendant la Première Guerre mondiale, les États-Unis sont passés de débiteurs à créanciers, renforçant la position du dollar sur la scène internationale.

Dans les années 1920, le dollar est devenu une monnaie de réserve mondiale, offrant aux États-Unis le “privilège insigne” de financer leurs déficits sans craindre de répercussions majeures. Ce privilège s’est affirmé après la Seconde Guerre mondiale lors des accords de Bretton Woods de 1944, où le dollar est devenu la monnaie pivot, seule convertible en or. Cette situation a donné aux États-Unis un avantage stratégique majeur, permettant d’étendre leur influence économique et politique.

Le dollar comme vecteur de la puissance américaine

Après 1945, la suprématie du dollar a accompagné la montée en puissance des États-Unis en tant que superpuissance mondiale. Cette période a vu l’émergence de ce que certains appellent la « diplomatie du dollar » : les États-Unis ont utilisé leur monnaie pour reconstruire l’Europe avec le plan Marshall et pour soutenir des régimes alliés en Amérique latine et en Asie. Ce soutien, souvent motivé par des considérations géopolitiques durant la Guerre froide, a renforcé la dépendance des pays au dollar.

Par ailleurs, les interventions militaires des États-Unis, ainsi que leurs projets technologiques et industriels, ont contribué à l’abondance du dollar sur le marché mondial. Les années 1960 et 1970 ont néanmoins vu émerger des critiques envers cette domination monétaire. Le général de Gaulle en France a dénoncé ce qu’il appelait le « privilège exorbitant » du dollar, soulignant l’impact de cette monnaie sur les économies européennes et mondiales.

Les défis contemporains du dollar

Les années 1970 ont marqué un tournant pour le dollar. Face aux déficits croissants des États-Unis et à la perte de confiance des pays étrangers, le président Nixon a mis fin à la convertibilité du dollar en or en 1971, plongeant le monde dans un système de changes flottants. Malgré ce choc, le dollar a maintenu sa position dominante, soutenu par la résilience de l’économie américaine et la liquidité qu’il offrait aux marchés financiers mondiaux.

Au XXIe siècle, la domination du dollar est cependant remise en question. Les crises économiques, dont celle des subprimes en 2008, ont révélé les failles d’un système monétaire dépendant du dollar. De plus, la montée en puissance de la Chine et des pays émergents, alliée aux ambitions de dédollarisation des BRICS, fragilise l’hégémonie du billet vert. La Chine, par exemple, cherche à internationaliser le yuan en développant des accords de swap bilatéraux et en lançant le système de paiement interbancaire CIPS pour réduire sa dépendance au SWIFT, dominé par les États-Unis.

Les perspectives de dédollarisation : un avenir incertain

Malgré les efforts de diversification, le dollar reste la monnaie préférée pour les réserves des banques centrales et pour les échanges internationaux. La stabilité et la liquidité du marché américain, soutenues par la puissance économique et militaire des États-Unis, offrent au dollar une résilience unique. Cependant, plusieurs alternatives sont aujourd’hui envisagées : l’euro, bien qu’affaibli par des crises internes, reste une monnaie solide ; le yuan, malgré un processus d’internationalisation lent, gagne progressivement en importance.

Les initiatives visant à créer des monnaies numériques souveraines et à utiliser des paniers de monnaies pour le commerce international, bien que limitées, témoignent d’une volonté globale de réduire la dépendance au dollar. Cependant, ces tentatives n’ont pas encore réussi à ébranler la domination américaine. Les risques d’un “dollar fort” pour les économies émergentes, qui contractent souvent leurs dettes en dollars, rappellent la vulnérabilité de nombreux pays face aux fluctuations de cette monnaie.

Conclusion

Le règne du dollar incarne la puissance hégémonique des États-Unis sur le système économique mondial. Bien que contestée, cette hégémonie persiste grâce à l’influence géopolitique des États-Unis et à la résilience de leur monnaie. Les efforts de dédollarisation, menés notamment par la Chine et les BRICS, illustrent un monde en quête de diversification monétaire, mais le dollar conserve pour l’instant sa place centrale. Tant que le dollar restera le principal refuge en période de crise, les perspectives de dédollarisation risquent de demeurer incertaines, laissant la question de l’avenir du dollar ouverte.