De nombreuses personnalités politiques ont traversé la Troisième et la Quatrième République. Peu ont eu un impact comparable à celui de Pierre Mendès France. Ce dernier est devenu une figure morale pour de nombreuses personnalités politiques qui s’en réclament, notamment du centre et de gauche. Une sorte de mythe entoure ce curieux personnage.
Biographie
Pierre Mendès France est né en 1907 à Paris, au sein d’une famille juive. Il s’engage très jeune en politique, en 1924, en s’opposant à des mouvements d’extrême droite. Il rencontre Édouard Herriot et rejoint le Parti radical (parti de centre-gauche). En 1928, il devient le plus jeune avocat de France.
Huit ans plus tard, il est élu député de l’Eure. Idéologiquement, il est fait partie de l’aile gauche du Parti radical et n’hésite pas à marquer son opposition face aux grands ténors du parti. En 1938, il rejoint le deuxième gouvernement de Léon Blum au sein du Front populaire, malgré son opposition à la politique monétaire menée et à la non-intervention dans la guerre d’Espagne. Il est par ailleurs le seul député à voter contre la participation française aux JO de Berlin d’Hitler.
Après l’invasion de la Pologne et le début de la Seconde Guerre mondiale, il demande à être affecté au front. Suite à la démission de Paul Reynaud, il veut continuer le combat et est, comme d’autres membres du Front populaire, incarcéré par le régime de Vichy. Il parvient à s’évader, rejoint la Résistance et s’engage dans les Forces aériennes françaises libres.
En 1943, il devient le ministre de l’Économie du gouvernement provisoire du général De Gaulle. Sauf que son plan de rigueur et d’assainissement est rejeté par le général, qui estime que les Français ont assez sacrifié et lui préfère le plan de René Pleven. Cette décision mène Pierre Mendès France à présenter sa démission. René Pleven lui succédera.
Il représente ensuite la France lors des conférences américaines d’après-guerre et se lie d’amitié avec J. M. Keynes, dont il admire les théories économiques. Il sera ensuite approché à de nombreuses reprises pour un poste ministériel à l’Économie et aux Finances, mais il refuse à chaque fois, exigeant d’avoir les mains libres. Cet isolement joue progressivement en sa faveur, car il lui donne l’image d’un homme droit dans ses bottes, indépendant et fidèle à ses valeurs.
Le gouvernement Pierre Mendès France (1954-1955)
Suite à l’humiliation française à Diên Biên Phu en Indochine, le 7 mai 1954, le Président de la République fait appel en urgence à Pierre Mendès France. Ce dernier est alors investi par l’Assemblée nationale à une écrasante majorité, le 18 juin 1954. Il est également ministre des Affaires étrangères.
Son gouvernement durera sept mois, assez pour laisser un impressionnant héritage. Le député radical (du Parti radical) et maire de Louviers a prononcé le réquisitoire qui a fait tomber le gouvernement précédent. Ce dernier était accusé d’avoir très mal géré la question de l’Indochine et d’être responsable de l’inflation persistance et de la dégradation des comptes publics.
Il apparaît à ce moment comme l’homme providentiel, celui qui a le courage de prendre des décisions fortes. Sa grande force, c’est son indépendance, y compris vis-à-vis de son propre parti. Il incarne aussi une sorte de renouveau.
La méthode Mendès France
Il veut préserver à tout prix le lien direct avec les Français. C’est ainsi que lui vint l’idée de ses causeries radiophoniques hebdomadaires. Il s’inspire du Président Roosevelt, qui lui aussi expliquait sa politique régulièrement aux Américains lors de causeries à la radio.
Pierre Mendès France parvient à instaurer la paix en Indochine, en tenant son engagement de le faire en moins d’un mois. Pour ce faire, il fait appel à la Chine qui joue le rôle d’intermédiaire. Il rencontre ainsi Zhou Enlai à Berne, alors même que la France ne reconnaît toujours pas la Chine communiste. L’intégration de la Chine aux discussions permet de sortir enfin du bourbier indochinois tout en octroyant à la Chine la légitimité internationale qu’elle recherchait tant. Le 20 juillet 1954, un mois après l’arrivée de Mendès France, la conférence de Genève débouche sur un cessez-le-feu. Le pari est tenu.
Une fois la paix conclue en Indochine, Pierre Mendès France veut éviter une autre guerre de décolonisation en Tunisie et au Maroc. Il entame alors des négociations qui mèneront justement à l’indépendance de ces deux pays en 1956. Son discours à Carthage, accordant l’autonomie aux Tunisiens, restera dans les annales. Le cas de l’Algérie, département français, est bien plus compliqué. La guerre a commencé le 1er novembre 1954 et ce sera d’ailleurs à cause de la question algérienne que son gouvernement tombe en février 1955.
Ses actions
Durant son court mandat, Pierre Mendès France doit également gérer le problème de la CED, la Communauté européenne de défense. Ce traité, signé par la France en 1952, doit être ratifié par le Parlement. Le traité ouvre la voie vers le réarmement allemand, dans le cadre d’une armée européenne. La CED, idée de Jean Monnet et de Robert Schuman, a pour but de poursuivre la coopération européenne commencée avec la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) en 1951, mais cette fois avec un caractère très politique touchant à la souveraineté même des États.
L’opinion est très divisée. Plusieurs partis s’opposent à ce traité, jugeant qu’il constituerait pour la France une perte de souveraineté, voire une tutelle vis-à-vis de l’OTAN (c’est-à-dire des États-Unis). À cela s’ajoute le refus total des communistes français de voir le retour de la Wehrmacht, même pas 10 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mendès France tente de persuader les autres pays de modifier les termes du traité. Face à leur refus, il décide de soumettre le texte au Parlement, qui décide sans grande surprise de ne pas le ratifier, alors que tous les autres pays européens engagés dans le processus l’ont fait. Le principe de coopération militaire européenne est alors enterré pour de longues années.
Aujourd’hui, la France d’Emmanuel Macron, avec la guerre en Ukraine et le retour de Donald Trump, rêve d’un traité similaire.
Pour Mendès France, cela reste une victoire, car il met ainsi fin à la « querelle de la CED » qui minait les débats depuis quelques années. Même si beaucoup lui en voudront d’avoir enterré le projet d’armée européenne et ne lui pardonneront pas le « crime du 30 août ». Jean Monnet, déçu, démissionne de son poste de Président de la Haute Autorité de la CECA.
La guerre d’Algérie
La guerre d’Algérie commence le 1er novembre 1954 avec la Toussaint rouge, prenant de court le gouvernement. Celui-ci ne saisit pas l’ampleur de la situation. François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, déclare : « L’Algérie, c’est la France, et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne. »
Même le Parti communiste, réputé pour son anticolonialisme, ne comprend pas que c’est le début d’une guerre d’indépendance.
Bilan du gouvernement Pierre Mendès France
Sur le plan diplomatique, le bilan est considérable. Politiquement, sa méthode de communication directe plaît, et il jouit d’une popularité assez rare dans la IVe République. Le bilan économique et social est quant à lui un peu plus décevant, avec quasiment aucune réforme. Il est tout de même vrai qu’avec Edgar Faure au ministère des Finances et Valéry Giscard d’Estaing comme directeur adjoint du cabinet, il aurait été surprenant de voir des réformes socialistes sur le plan économique.
Les deux priorités de Mendès France ont été la jeunesse et la recherche scientifique. 120 000 professeurs ont été recrutés en six mois, et la recherche atomique est accélérée.
Une action originale à mettre à son acquis : la lutte contre l’alcoolisme, qui en effet gangrénait la société française : 30 litres par habitant, contre moins de 10 en Italie ou en Allemagne. Il met également en place la distribution de lait dans les écoles et les casernes.
En tout cas, ce mandat de sept mois a beaucoup marqué. En particulier, il a beaucoup marqué la gauche, qui considère Pierre Mendès France comme une référence. Pourtant, aucune réforme sociale d’envergure n’est menée, la guerre d’Algérie n’a pas été empêchée et aucun chemin politique n’est vraiment tracé pour la gauche.
En réalité, c’est la méthode de gouvernance qui fascine. D’abord, n’oublions pas que Mendès France a été largement occupé à gérer les crises du moment, très nombreuses. Il a été très lucide pour mettre un terme à la guerre d’Indochine. Surtout, il a été un modèle de bonne gouvernance et d’éthique. Il a redonné l’espoir au pays, créant un lien direct, un lien de confiance, entre le gouvernement et les électeurs. La chute de son gouvernement ajoute au mythe, car Mendès France a été victime du système des partis de la IVe République.
Actions politiques après 1955
Pierre Mendès France voit d’un mauvais œil la manière dont Charles De Gaulle opère son retour en 1958 et vote contre son investiture. Il est aussi plutôt hostile au Marché Commun, le voyant comme le début de la mise en place d’une technocratie internationale. Mais il est battu lors des élections législatives qui suivent.
La grande difficulté de Pierre Mendès France est qu’il ne se reconnaît réellement dans aucun parti, que ce soit le Parti socialiste ou le Parti radical. Il ne s’entend pas très bien avec les dirigeants des partis de gauche. Alors même qu’il est plutôt populaire dans l’opinion, il refuse de se lancer dans une initiative personnelle comme le fit De Gaulle avec le RPF.
Il est pressenti pour être candidat pour les présidentielles de 1965, mais ce sera finalement en 1969 qu’il se présente dans un ticket avec Gaston Defferre. En cas de victoire, Gaston Defferre serait Président et Mendès France son Premier ministre. Le ticket recueillera 5 % des suffrages.
Pierre Mendès France se retire progressivement de la vie politique et soutient François Mitterrand lors des élections présidentielles de 1974 et 1981. Il œuvre aussi activement pour la paix au Moyen-Orient entre Israël et la Palestine. « Tout pour la paix avec les Palestiniens, rien contre la sécurité d’Israël. »
Conclusion
Pierre Mendès France est aujourd’hui une référence dans la manière de faire la politique. Il en incarne une conception exigeante et rigoureuse. Sa popularité a toujours persisté, son lien avec les Français n’a jamais cessé depuis ses fameuses « causeries au coin du feu » à la radio.
Pierre Mendès France faisait très peu de promesses. Ce n’était pas sa vision de la politique. Mais lorsqu’il prenait un engagement devant la nation, il le tenait. En atteste sa résolution du conflit d’Indochine. À sa mort, en 1982, François Mitterrand déclare : « La France vient de perdre l’un des plus grands de ses fils. »
Parmi ses citations les plus célèbres : « On ne peut pas tout faire à la fois. Gouverner c’est choisir, si difficiles que soient les choix. »
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