L’espace numérique désigne l’ensemble des plateformes et des serveurs virtuels du monde digital. Il inclut ainsi des éléments comme Internet, les réseaux sociaux, les clouds et les applications mobiles. L’espace numérique a longtemps été décrié comme une zone de non-droit, alors que de nouvelles régulations s’accumulent, notamment au sein de l’Union européenne. Les querelles régulières entre Thierry Breton et Elon Musk à ce sujet sont devenues le symbole de l’enjeu qu’est la régulation du numérique.
Un espace numérique anarchique
L’irruption d’Internet s’est accompagnée de la propagation massive de fausses informations et de contenus haineux et illégaux. Il y a ainsi une impression d’anarchie numérique, un peu comme une jungle. Mais cette anarchie a des conséquences réelles, sur des personnes et des entités. Le harcèlement ou la pédopornographie en sont des exemples. Les cyberattaques également. Malheureusement, un sentiment d’impunité prévaut.
Alors même que les lois relatives à la liberté d’expression s’appliquent tout autant aux espaces numériques, les diffamations et les incitations à la haine se multiplient. Le droit à l’image et le respect de la vie privée, notions pourtant encadrées légalement, sont fréquemment bafoués.
Un espace de non-droit ?
Non, l’espace numérique, de manière générale, et les réseaux sociaux, en particulier, ne sont pas des espaces de non-droit. Ce n’est donc généralement pas une jungle où règne l’anarchie. Des compagnies comme X (ex-Twitter) et Facebook doivent respecter des règles minimales de régulation et de modération.
Théoriquement, il leur incombe d’interdire toute désinformation et tout propos problématique. Évidemment, dans les faits, c’est bien plus compliqué. Il est clair que la personnalité d’Elon Musk n’est pas la plus à même d’encourager une meilleure régulation sur X…
Le problème des monopoles
Le monopole des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) est clair et établi dans le domaine du numérique. L’exemple de Google pour les moteurs de recherche est frappant : plus de 90 % des internautes l’utilisent.
Les pratiques anticoncurrentielles des GAFAM sont souvent pointées du doigt
De nombreuses amendes et procédures judiciaires les concernent, en Amérique du Nord et au sein de l’Union européenne. Cela n’est pas récent.
Déjà, en 2001, la société Microsoft a été condamnée lors d’un procès historique, à cause d’un abus de position dominante. Plus récemment, Google a été condamné pour avoir payé des vendeurs de smartphones, comme Apple, ou des développeurs de navigateur internet, comme Mozilla Firefox, afin d’être le seul moteur de recherche proposé par défaut.
Les autres géants du numérique ne sont pas en reste et ne lésinent pas trop sur leurs pratiques concurrentielles déloyales.
Ces pratiques ne restent désormais plus toujours sans réponse
Depuis un certain temps, c’est l’Union européenne, menée par le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, qui est à l’offensive. En 2024, les sociétés Apple, Alphabet et Meta ont été pointées du doigt à cause de leur non-respect des nouvelles régulations, en particulier le Digital Markets Act (DMA). Des amendes sont infligées, parfois se chiffrant en milliards d’euros.
Ainsi, Meta, en proposant un service payant à ceux qui, sur Instagram ou Facebook, veulent échapper à la publicité ciblée, contrevient aux règles du DMA. Les utilisateurs doivent donc soit payer, soit livrer toutes leurs données. « Il devrait y avoir une alternative gratuite », insiste Thierry Breton.
Même la Chine, connue pour ses règles de concurrence opaques, multiplie les enquêtes contre ses propres géants nationaux pour abus de pouvoir et corruption. Les géants américains sont quant à eux depuis longtemps interdits du marché chinois.
Cependant, ces grosses entreprises ne se laissent pas faire, et exercent un lobbying féroce. Les plus gros dépensiers en matière de lobbying politique sont en effet ceux de la Tech.
Évidemment, la géopolitique n’est jamais très loin
On peut le voir avec TikTok, souvent accusé de collecter des données personnelles au profit du gouvernement chinois. Donald Trump lui-même était très virulent contre le réseau social chinois et sa maison mère Bytedance, formulant même l’idée d’une interdiction nationale à moins qu’ils soient vendus à un opérateur américain.
La même rhétorique est utilisée contre Huawei et ZTE. Cette fois, les États-Unis sont allés plus loin en les interdisant du marché américain, jugeant que ces entreprises représentent un risque pour la sécurité nationale des États-Unis. D’autres pays occidentaux, comme l’Australie, ont fait de même.
La question des données personnelles
Aujourd’hui, l’ensemble de l’économie est convertie au numérique. Mais cette conversion s’accompagne de l’usage et de la publication massive de données. Or, celles-ci sont exploitées illégalement pour des raisons commerciales. De nombreuses associations, comme La Quadrature du Net, dénoncent souvent ces violations graves du droit fondamental des usagers. Exemple : Microsoft qui exploite les données des mineurs jouant à la Xbox sans le consentement de leurs parents. Récemment, le réseau social LinkedIn a lui aussi été épinglé par les autorités européennes, car il aurait enfreint le RGPD en matière de publicité ciblée.
Les cas de piratage ont connu une croissance exponentielle lors de la dernière décennie. Certains ont des effets dévastateurs. En France, de nombreux hôpitaux ont subi une fuite de données suite au non-paiement des rançons exigées.
Parfois, ce peut être les États eux-mêmes qui exploitent ces données pour des raisons diverses. C’est le principe du célèbre Patriot Act des États-Unis, dans le contexte des attentats du 11 septembre. La loi américaine a même été renforcée en 2018 avec le Cloud Act, autorisant les tribunaux et diverses agences à accéder aux communications et données personnelles d’un individu. Cela a provoqué l’ire des associations de défense de la vie privée.
Avec l’explosion de l’intelligence artificielle, ces données personnelles sont de plus en plus exploitées par les grandes firmes pour « développer et améliorer l’intelligence artificielle » (Meta). Si cette utilisation a de nombreux avantages, des questions d’éthique méritent d’être posées.
Les régulations européennes
L’UE est véritablement entrée sur le terrain régulatoire en 2018 avec le RGPD (Règlement général sur la protection des données). Celui-ci autorise les États membres à imposer des sanctions aux organismes ne respectant pas la loi. De nombreuses amendes en ont résulté, dont une amende record de 1,2 milliard d’euros à l’encontre de Meta, maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp.
Le 7 mars 2023 marque l’entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA), un des outils phares de la Commission européenne pour réguler l’espace numérique et la concurrence. Les entreprises pour lesquelles le DMA s’applique sont celles ayant plus de 45 millions d’utilisateurs européens (10 % de la population européenne).
Par exemple, Google devra ouvrir davantage son moteur de recherche. Pour les requêtes de réservation (hôtels, vols…), il devra faire apparaître ses offres, mais aussi désormais celles de ses concurrents. Le nombre de demandes de consentement pour les diverses utilisations de données sera lui aussi augmenté.
Mais le risque est que les géants du numérique enchaînent les recours à chaque obstacle, mettant des bâtons dans les roues du régulateur. Certains spécialistes s’inquiètent par ailleurs du fait que le DMA n’aille pas assez loin et n’en fasse pas assez. Par exemple, contre les acquisitions jugées prédatrices.
Une autre régulation phare de l’UE est le DSA (Digital Services Act). Celui-ci vise à réguler les contenus de la Toile, notamment en matière de désinformation, de cyberharcèlement et d’incitation à la haine.
Le bras de fer entre Elon Musk et Thierry Breton
C’est devenu un grand classique des débats sur le sujet. Le commissaire européen, évincé récemment par Ursula von der Leyen, a fait du DSA et du DMA ses grands chevaux de bataille. Elon Musk ne s’est pas privé de se moquer du départ de ce dernier de la Commission européenne sur son réseau social X (ex-Twitter). Le patron de SpaceX juge la politique de Breton contraire au principe de liberté d’expression.
Dans le contexte d’élections américaines où le milliardaire américain est très investi, même la Commission européenne n’avait pas soutenu son commissaire lorsqu’il insistait pour une plus grande modération. Son départ forcé et la victoire de Donald Trump ne présagent rien de bon pour les défenseurs d’une plus ample régulation.
Les cyberattaques
Comme dit précédemment, de nombreux organismes comme les hôpitaux sont souvent victimes de cyberattaques, visant en particulier les données personnelles. Leur objectif est généralement financier. Mais dans un contexte géopolitique de plus en plus troublé, les cyberattaques à visée déstabilisatrice se multiplient.
Le cas de l’Estonie en dit long. L’intensité des cyberattaques attribuées à des hackers russes est telle qu’on parle de guerre électronique. Les infrastructures visées sont généralement celles à caractère sensible, comme les usines électriques ou les sites à caractère militaire. Tout commence en 2007, avec la première attaque numérique d’ampleur au monde. Celle-ci fait suite à des émeutes provoquées par la minorité russophone du pays. Les médias deviennent inaccessibles, les services bancaires et financiers sont stoppés et les sites de gouvernement sont bloqués.
Cela justifie d’ailleurs le fait que l’Estonie est, au fur et à mesure des attaques, devenue un des leaders mondiaux en matière de cyberdéfense. À cela s’ajoute une guerre de désinformation menée par les médias russes en Estonie, visant souvent la Première ministre, Kaja Kallas, une Européenne convaincue.
Sur le plan géopolitique, les cyberattaques sont devenues un outil efficace pour les pays n’ayant pas la puissance de frappe de la Chine ou des États-Unis. C’est le cas de la Corée du Nord, de l’Iran, d’Israël ou encore du Pakistan ou de la Turquie. Bien sûr, Washington et Pékin sont également à l’origine de nombreuses cyberattaques, mais le fait est que c’est loin d’être l’outil principal de leur arsenal en matière de pression géopolitique.
Conclusion
Après de nombreuses années où l’espace numérique a été une jungle, où s’applique la loi du plus fort, en l’occurrence celle des GAFAM, de nombreuses régulations se mettent progressivement en place. Les États-Unis, berceau des principales grandes entreprises du numérique, sont eux-mêmes divisés entre une régulation plus serrée ou un laissez-faire. Certains en appellent même aux lois antitrust pour exiger un démantèlement de certains groupes.
L’UE, quant à elle, n’ayant pas ses propres GAFAM et devant se contenter de quelques licornes, tente tant bien que mal d’imposer ses règles au niveau de la concurrence, du contenu et de la protection des données. Mais c’est loin d’être une tâche facile, et les géants américains et chinois ne sont pas ébranlés par les amendes ou par le labyrinthe régulatoire européen qu’ils ont appris à traverser. Avec l’avènement de l’IA, l’UE, toujours en retard, s’empresse de réguler de nouveau… L’histoire ne se répète peut-être pas, mais elle rime souvent.
N’hésite pas à consulter toutes nos ressources géopolitiques.