Le prix Nobel de chimie en 2019 a récompensé l’invention des batteries au lithium. Certains experts parlent même du « pétrole du XXIe siècle ». Le lithium est donc un métal qui fait l’objet de beaucoup de convoitises. À l’aune d’une transition énergétique des hydrocarbures, il apparaît comme l’alternative la plus verte.
Introduction
Les batteries au lithium sont omniprésentes dans notre monde : téléphones portables, voitures électriques, appareils photo… La plupart de nos objets connectés requièrent ce métal précieux. À l’image du pétrole, les tensions géopolitiques et les rivalités entre les pays pour contrôler la production de ce nouvel or blanc ne font que s’accroître. Maîtriser la géopolitique du lithium permet de réellement appréhender les enjeux de puissance à venir dans la prochaine décennie.
Cette ressource est également l’un des terrains d’un choc qui cristallise les relations internationales : la confrontation entre la Chine et les États-Unis. Cet article vise à mieux comprendre ce qui se joue autour de ce nouvel or blanc. Quelles sont les entreprises clés de la production de lithium ? Où sont les réserves ? Comment les puissances cherchent-elles à se les approprier ?
L’importance du lithium vient de ses propriétés physiques
C’est un métal très léger avec un potentiel énergétique très fort, qui est donc idéal pour la fabrication de batteries en particulier, mais pas seulement. En effet, d’ici 2030, la demande de lithium devrait être multipliée par cinq, selon l’Agence internationale de l’énergie. C’est donc une ressource majeure dans beaucoup de marchés florissants et, par conséquent, les pays cherchent à en sécuriser les approvisionnements ou même à en contrôler la production pour réduire des potentielles dépendances.
Kissinger déclarait que celui qui contrôlait le pétrole contrôlait les nations. Le lithium semble aujourd’hui conférer un effet de levier similaire aux puissances. Seulement, la géopolitique de cette ressource est complexe. En effet, 50 % de la production vient d’Australie, mais 60 % des réserves sont en Amérique latine. La Chine contrôle 60 % de la production mondiale, mais 80 % du marché du lithium est reparti entre seulement cinq entreprises, dont la plus grosse est américaine.
Cet article a donc pour but de t’éclairer sur tous les enjeux de puissance autour du contrôle de cette ressource, sur qui sont les acteurs clés de demain et quels seront les terrains d’affrontements.
D’où vient le lithium ?
Tout d’abord, le lithium est exploité de deux manières différentes : l’extraction à partir de salars et l’exploitation minière.
L’extraction à partir de salars se fait principalement dans le triangle du lithium en Amérique du Sud, composé de l’Argentine, du Chili et de la Bolivie, où s’y trouvent 58 % des ressources naturelles. C’est une méthode qui vise à pomper certains sous-sols et à faire ensuite évaporer l’eau pour récupérer le lithium. Cette méthode est très coûteuse en eau dans des environnements souvent désertiques, comme l’Atacama au Chili, ce qui est non sans poser problème.
La deuxième méthode d’exploitation est l’extraction à partir de minerai dans des mines à ciel ouvert. On retrouve cette méthode principalement en Australie, où l’on récolte du spodumène, un minéral riche en lithium, ensuite traité. C’est qui est important de noter, c’est que, dans les deux cas, la production de lithium est coûteuse en temps, freinant la capacité de production et rendant cette ressource rare, d’où l’expression « d’or blanc ».
Le Big 5, un club très restreint
Seulement cinq entreprises ont la main sur plus de 80 % de la production du lithium. Ces entreprises, à l’image du cartel pharmaceutique, empêchent les concurrents de venir accaparer une partie de ce gâteau. Les entreprises, classées selon leurs valeurs boursières, sont les suivantes :
- Albemarle Corporation (États-Unis) : basée à Charlotte, en Caroline du Nord, Albemarle est le leader mondial de la production de lithium, avec des opérations en Australie, au Chili et aux États-Unis.
- Tianqi Lithium (Chine) : c’est une entreprise chinoise basée à Chengdu. Elle possède une part significative dans Talison Lithium, qui opère la mine de Greenbushes en Australie, l’une des plus grandes réserves de lithium au monde.
- SQM, Sociedad Química y Minera (Chili) : basée à Santiago, SQM joue un rôle majeur dans l’extraction de lithium à partir de saumures au salar d’Atacama, un des gisements les plus riches. La société a un rôle central dans le marché mondial du lithium.
- Ganfeng Lithium (Chine) : basée à Xinyu, Ganfeng est l’une des plus grandes productrices de lithium intégrées verticalement, couvrant l’extraction, le traitement et la production de batteries. L’entreprise dispose d’opérations en Chine, en Australie et en Argentine.
- Pilbara Minerals (Australie) : Pilbara est une entreprise australienne spécialisée dans l’extraction de spodumène, un minerai riche en lithium, à sa mine de Pilgangoora en Australie occidentale.
Les deux plus grosses entreprises témoignent du terrain d’affrontement sino-américain que représente le contrôle de cette ressource. De plus, la Chine s’intéresse de près au Chili car, en 2018, Tianqi a acquis une participation de 23,77 % dans Sociedad Química y Minera (SQM) pour un montant total d’environ 4,1 milliards USD. Cette agressivité économique de la Chine en Amérique du Sud s’inscrit dans une politique plus large du PCC en Amérique latine.
L’Amérique latine : que reste-t-il de la doctrine Monroe ?
Si l’Amérique du Sud est, depuis la doctrine Monroe de 1823, un pré carré des États-Unis, l’influence américaine décroît à mesure que la Chine développe ses relations économiques avec le sous-continent. En effet, la Chine est aujourd’hui le premier partenaire économique de l’Amérique latine. Cette dynamique s’observe depuis 2015, où a eu lieu le premier Forum Chine-CELAC, qui a donné lieu à un plan de coopération (2015-2019) sur 13 domaines. Xi Jinping y avait annoncé des investissements totalisant 250 M $ sur 10 ans. Neuf ans plus tard, la Chine continue massivement à investir en Amérique latine, et notamment pour sécuriser des approvisionnements stratégiques sur le plan énergétique.
L’exemple parfait illustrant l’influence croissante de la Chine en Amérique latine est l’inauguration du mégaport de Chancay au Pérou, en novembre 2024. Ce projet, d’une valeur estimée à 3,6 milliards de dollars, est financé par la China Harbour Engineering Company. Le port est conçu pour devenir un hub stratégique facilitant le commerce entre l’Asie et l’Amérique latine, rivalisant avec le canal de Panamá, plus gros symbole de l’influence américaine sur le sous-continent.
La Chine : un oligopole dangereux
La Chine a su faire du lithium un levier de domination stratégique. Outre ses parts dans SQM, Pékin renforce aussi son influence via des projets d’envergure en Afrique. Son partenariat avec le Zimbabwe pour développer une mine de lithium à Arcadia, projet évalué à plus de 700 millions de dollars, illustre cette stratégie mondiale. Ce projet place la Chine en contrôle direct d’une nouvelle source importante de lithium, renforçant sa chaîne d’approvisionnement et marginalisant les acteurs occidentaux.
En quelques chiffres, la Chine, c’est :
- 60 % de la production mondiale de terres rares, essentielles pour les composants électroniques et les énergies renouvelables ;
- 80 % des capacités de raffinage des terres rares, donnant à la Chine un quasi-monopole sur cette étape critique de la chaîne d’approvisionnement ;
- 50 % de la capacité mondiale de production d’hydroxyde de lithium, une composante clé des batteries pour véhicules électriques ;
- 70 % de la production mondiale de graphite naturel, utilisé dans les anodes des batteries lithium-ion.
Les limites de ce nouvel or blanc
Parler du lithium comme du pétrole du XXIe siècle est en réalité un abus de langage. En effet, il existe une asymétrie énorme entre le marché du pétrole et celui du lithium. En 2023, 70 % de la production mondiale de lithium est allée à la fabrication de batteries électriques pour des voitures électriques, qui ne représentaient que 12 % des voitures produites en 2023. Ainsi, pour avoir un parc automobile 100 % électrique, il faudrait multiplier la production par plus que huit, ce qui prend évidemment beaucoup de temps au vu de la difficulté d’extraction du lithium.
Pour donner une autre perspective, l’écart de production entre le pétrole et le lithium est de 5 000 en 2024. Quand une tonne de lithium est produite, ce sont 5 000 tonnes de pétrole qui sortent de terre. Ainsi, malgré des réserves importantes, le coût et la difficulté d’extraction limitent la production de lithium et le rendent de fait moins accessible et peu crédible en tant que remplaçant du pétrole.
Le cas de Northvolt
L’exemple parfait qui illustre le goulot d’étranglement que représente la production de ses batteries est celui de l’entreprise Northvolt. Cette entreprise suédoise sur laquelle l’Union européenne avait placé beaucoup d’espoir pour faire concurrence aux constructeurs asiatiques a licencié plus d’un quart de son effectif en 2024, soit 1 600 personnes, suite à des problèmes financiers.
En effet, l’activité de l’entreprise est limitée par des retards de production, ce qui pousse certains experts à parler de cauchemar vert, résultant en une perte de la confiance des investisseurs. Ainsi, contrairement au pétrole, la production de lithium est encore difficilement extensible à grande échelle avec les technologies d’aujourd’hui.
Un paradoxe éthique
Le lithium est affiché comme l’alternative verte au pétrole. Au-delà des problématiques de production déjà mentionnées, le tampon « vert » doit également fortement être nuancé.
Effectivement, les quantités énormes d’eau nécessaires à son extraction dans des zones souvent arides entraînent des stress hydriques importants des populations locales. C’est le cas au Chili, avec l’assèchement de la rivière Loa, utilisée pour les salars. De plus, seulement 25 % des batteries en fin de vie sont triées, car le coût est trop important. On stocke donc les batteries usées dans des décharges à ciel ouvert dans des pays émergents, malgré les fuites fréquentes qui contaminent les sols et les eaux.
Face à ce constat, les sociétés commencent à protester. Un exemple éloquent est le projet Barroso de l’entreprise Savannah Ressources. L’ambition de créer la plus grande mine à ciel ouvert européenne au Portugal est en suspens, face aux protestations des habitants locaux et des associations attentives aux écosystèmes et à la biodiversité du Portugal.
Conclusion
Ainsi, impossible de nier que le lithium est aujourd’hui et sera à l’avenir un métal stratégique et convoité. Parler d’or est intéressant, car si les réserves sont importantes, le coût et la difficulté de sa production lui confèrent, à l’image de l’or, une certaine rareté. Par contre, le comparer aujourd’hui au pétrole est un non-sens. Le cas de Northvolt illustre bien cette difficulté que représente la gestion des approvisionnements en batteries aujourd’hui.
Le lithium reste cependant une ressource phare au niveau géopolitique et l’opposition sino-américaine témoigne du rôle clé que peut représenter le lithium à l’avenir.
Enfin, cette ruée vers le lithium met en lumière un paradoxe éthique : présentée comme une alternative écologique, l’exploitation du lithium supprime certes les émissions de CO2 des voitures, mais à quel prix… Sacraliser la réduction de CO2 comme la seule et unique ligne écologique à suivre conduit souvent à des externalités dévastatrices d’un point de vue environnemental.
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