Le portrait d’Ernesto Che Guevara n’est-il pas le symbole révolutionnaire par excellence, revendiqué à chaque période de révolte, de mai 68 aux guerres de décolonisation congolaise et angolaise ? Il incarne à lui seul l’élan révolutionnaire qui n’a cessé d’animer le continent sud-américain tout au long du XXe siècle. Nous tenterons de comprendre les raisons qui ont fait de l’Amérique latine un véritable foyer révolutionnaire, mais aussi les raisons des échecs des tentatives révolutionnaires et de la persistance d’une aura révolutionnaire malgré ces échecs.
Introduction
Trois paradoxes pour nourrir des problématiques
- Au XXe siècle, l’Amérique latine n’est pas la plus pauvre (par rapport à l’Afrique, l’Asie) et, pourtant, elle est un foyer de révolte par excellence.
- Malgré les velléités révolutionnaires présentes tout au long du siècle en Amérique latine, les mouvements révolutionnaires dans leur grande majorité n’aboutissent pas.
- Comment expliquer, malgré ces échecs, son rayonnement international et l’aura révolutionnaire latino-américaine ?
Ce plan détaillé te permettra d’y voir plus clair sur l’histoire de l’Amérique latine sur la période au programme, le XXe siècle. Ces informations illustrent toujours des idées qui s’articulent entre elles en vue de répondre à la problématique.
Plan détaillé
I. Dans la première moitié du XXe siècle, des velléités révolutionnaires se manifestent déjà, ce qui pourtant pourrait sembler paradoxal, puisque ce n’est pas le continent avec le plus de pauvreté
A) L’Amérique latine, foyer par excellence des inégalités (dont découle un blocage politique)
Le contraste est fort entre les élites créoles constituées de grands propriétaires terriens fortunés et les populations indigènes et métisses beaucoup plus pauvres.
Exemple frappant du Mexique :
- Longue période du Porfiriato (1876-1911) au Mexique, marquée par la corruption, l’inaction, mais surtout par l’enrichissement des grands propriétaires fonciers.
- Ralliement, en 1911, de l’armée du rural Emiliano Zapata à la révolution mexicaine commencée en 1910 par le riche bourgeois Francisco Madero, lorsque ce dernier fait la promesse de redistribuer les terres. La question du partage des terres est souvent centrale dans les révolutions en Amérique latine.
B) Un décalage plus important qu’ailleurs entre date d’indépendance de jure, début XIXe siècle, et dépendance de facto vis-à-vis des États-Unis
- Dernière indépendance latino-américaine vis-à-vis d’un colonisateur en 1898 avec la perte de Cuba pour les Espagnols.
- L’Amérique latine passe de la mainmise économique des États-Unis à la tutelle politique : le continent subit l’impérialisme des États-Unis :
- ⅓ du commerce extérieur de l’Amérique latine est avec les États-Unis, ⅔ des transactions financières se font à New York. D’où le nom des Républiques bananières pour l’Amérique centrale.
- Le corollaire Roosevelt (1904) à la doctrine Monroe (1823) définit la politique du Big Stick : un droit d’ingérence pour les États-Unis en Amérique latine.
- Les Américains répriment tout ce qui remet en cause leurs avantages économiques, soutiennent tout ce qui permet la conservation de leurs intérêts :
- Soutien de Roosevelt à Anastasio Somoza, ou, plus tard, soutien au dictateur Duvalier à Haïti (à partir de 1957).
C) D’où les premières tentatives révolutionnaires dans l’entre-deux-guerres
- Réussite : la grande révolution mexicaine de 1910 à 1920.
- Mais des échecs fréquents :
- Assassinat d’Augusto Sandino en 1934 et surveillances de fausses élections libres au Nicaragua par les Américains, menant la famille Somoza au pouvoir.
- Les pouvoirs révolutionnaires sont réprimés au Honduras pendant l’entre-deux-guerres.
II. À partir des années 1950, un élan révolutionnaire fort apparaît en Amérique latine et pourtant les mouvements révolutionnaires échouent le plus souvent
A) Le premier facteur d’échec est encore l’influence des États-Unis, cette fois dans le contexte de Guerre froide afin de préserver leur « arrière-cour »
- L’exemple le plus connu est celui de l’opération PBSuccess au Guatemala en 1954, qui renverse le président Jacobo Arbenz au pouvoir depuis 1950 et met fin à la période de la révolution qui durait depuis 1945 et qui avait conduit à des réformes agraires. Notamment la nationalisation des terres de la United Fruit Company en 1951. Or, Foster Dulles (secrétaire d’État d’Eisenhower) et son frère, Allen Dulles (le directeur de la CIA), en sont de gros actionnaires, d’où l’aide américaine au renversement d’Arbenz.
B) Le populisme représente une concurrence à la révolution en proposant de remédier aux problèmes du pays tout en faisant l’économie d’une révolution
- Juan Domingo Perón, président d’Argentine (1946-55) fait passer de nombreuses mesures sociales, lui valant une forte popularité et détourne, au moins pour un temps, son peuple de la révolution.
- Péronisme : initialement, le péronisme est un nationalisme de gauche en Argentine, s’inspirant du socialisme et de Mussolini. Il est caractérisé par son clientélisme et son populisme.
- Tournées électorales à base d’argent et dépenses sociales, qui achètent aussi la paix sociale.
- Même si, à terme, cela empêche les investissements dans l’industrie, qui finit par s’effondrer…
- Péronisme : initialement, le péronisme est un nationalisme de gauche en Argentine, s’inspirant du socialisme et de Mussolini. Il est caractérisé par son clientélisme et son populisme.
C) Malgré la vision internationale de la révolution impulsée par Che Guevara qui séduit le continent, la stratégie des focos qu’il énonce et défend est un échec
- Le régime de Fidel Castro et de ses Barbudos qui a tenu tête aux États-Unis (lors du débarquement de la baie des Cochons en 1961) bénéficie d’un immense prestige et suscite l’enthousiasme dans le continent.
- Le Parti communiste du Pérou, le Sentier Lumineux créé dans les années 70 par Abimael Guzman, s’inspire largement du castrisme.
- La vision internationale de la révolution exposée par Ernesto Che Guevara à la Conférence tricontinentale de 1966 (« crear uno, dos…muchos Vietnam ») se concrétise dans la stratégie des focos qui consiste à créer des foyers révolutionnaires partout à travers le continent, puis dans le monde.
- D’où le soutien à l’ERP marxiste en Argentine, à la guérilla bolivienne, où meurt le Che en 1967.
- Hors du continent : les Cubains s’engagent dans l’opération Carlota en 1975 pour aider le MPLA angolais. Ils s’engagent aussi au Congo.
- La stratégie des focos échoue, car la guérilla rurale n’est pas suffisamment puissante.
- Cette stratégie est dénoncée par l’Argentin membre de l’ERP Pablo Giussani dans La Soberbia armada : il explique que c’est le manque d’appui dans les villes qui rend la guérilla inefficace.
III. Malgré les échecs des mouvements révolutionnaires encore plus manifestes à partir des années 1970, l’Amérique latine jouit tout de même d’un rayonnement international
A) Malgré des tentatives de renouvellement de la révolution par rapport à la stratégie des focos, les révolutions latino-américaines échouent ou se transforment en dictatures
- On observe, dans un deuxième temps, des tentatives de renouvellement des stratégies révolutionnaires :
- Les Tupamaros en Uruguay mènent une guérilla urbaine (et plus seulement rurale) dans les années 1960.
- Salvador Allende mène la « révolution sociale » au Chili, après une conquête légale du pouvoir en 1970.
- La théologie de la Libération, théorisée par Gustavo Gutiérrez, est un engagement social et armé de l’Église catholique :
- La mise en pratique la plus célèbre de celle-ci est celle au Salvador de l’archevêque Oscar Romero, dans les années 1970 (il est assassiné en 1980).
- Une autre figure forte de la théologie de la Libération : Dom Hélder Câmara, évêque catholique brésilien, archevêque d’Olinda et Recife de 1964 à 1985, qui lutte contre la pauvreté dans son diocèse et dans le monde.
- Mais ces tentatives sont encore des échecs du fait des interventions de la CIA dans le cadre de la Guerre froide :
- En 1971, avec l’aide de la CIA, l’armée uruguayenne mate les Tupamaros en Uruguay et mène à une dictature militaire.
- En 1973, Pinochet arrive au pouvoir au Chili avec l’aide de la CIA.
- L’aide américaine aux Contras au Nicaragua, entraînés au Honduras par les Américains, leur permet de revenir mater les sandinistes (au pouvoir depuis 1979) en 1982.
- Le régime castriste perd de son prestige et se transforme progressivement en dictature :
- Les Marielitos, boat people cubains qui fuient en masse aux États-Unis, témoignent de l’échec du régime.
B) Pourtant, le rayonnement international de la réputation révolutionnaire de l’Amérique latine est réel, il est étroitement lié à la figure charismatique du Che
- Le Che est une figure clé de la Conférence tricontinentale de 1966 et représente dès lors le symbole de l’Amérique révolutionnaire ainsi qu’une alternative à l’URSS pour le tiers-monde qui revendique son non-alignement sur les blocs.
- Il est également une figure très influente pour la jeunesse européenne d’extrême gauche des années 1960 (ses portraits sont sur les barricades de mai 1968, avec ceux de Hô Chi Minh et Mao).
C) Rayonnement de la révolution d’Amérique latine grâce à une production culturelle qui porte l’idéal révolutionnaire
- Figure clé mexicaine, le peintre Diego Rivera, représentant du courant du muralisme, met à l’honneur la révolution mexicaine (ou dénonce par exemple l’opération PBSuccess dans ses œuvres).
- En littérature, le prix Nobel de littérature revient au Chilien Pablo Neruda, en 1971, malgré ses idées communistes présentes dans son œuvre. Le doute plane encore sur la raison de sa mort subite 12 jours après le coup d’État de 1973, elle est peut-être liée à ses convictions politiques ?
- À partir des années 1960, le chanteur brésilien Gilberto Gil laisse transparaître son engagement politique et social dans sa musique (courant tropicaliste).
Conclusion
Ce sont les inégalités sociales particulièrement fortes ainsi que la tutelle américaine économique et politique subie par l’Amérique latine qui parviennent le mieux à expliquer un profond sentiment d’injustice propice à créer la révolte. Le XXe siècle latino-américain est ainsi marqué par nombre de rébellions et de régimes révolutionnaires, dont il convient néanmoins de souligner le caractère éphémère. Ils sont souvent réprimés et remplacés par d’autres alternatives, ou bien par des pouvoirs forts, soutenus par les Américains. L’aura révolutionnaire du continent est portée par la figure charismatique d’Ernesto Che Guevara, pèlerin de la révolution à travers le continent et dans le monde.