L’Indonésie se retrouve au cœur des convoitises liées à l’exploitation du nickel. Elle détient les plus importantes réserves mondiales.
L’Indonésie, le nouvel eldorado du nickel, l’or noir du XXIe siècle
Acteur majeur du nickel, l’Indonésie est en proie aux convoitises extérieures
Avec les dates limites fixées par les pays occidentaux pour passer à l’électrique, comme l’Union européenne avec son plan Net Zero Carbon en 2035, le potentiel du nickel, composant majeur des batteries lithium-ion, n’est pas passé inaperçu. L’Indonésie se retrouve ainsi au cœur des convoitises et des enjeux stratégiques sur l’exploitation de ce nouvel or noir. En effet, elle détient les plus importantes réserves mondiales de nickel (24 % des réserves mondiales), notamment sur l’île de Sulawesi. L’Indonésie fait face à une menace réelle d’ingérence économique de la part des puissances régionales, comme la Chine qui se montre agressive.
L’impérialisme économique de la Chine est très présent. Cette dernière contrôle 61 % de la production totale nationale de nickel, alors que les entreprises d’État n’en contrôlent que 5 %. L’Indonésie est de plus en plus dépendante de la Chine, qui est de loin le premier client du pays (22 % des exportations de l’Indonésie), devant les États-Unis (11 %). En 2023, le pays est également devenu son deuxième investisseur, derrière Singapour et devant Hong Kong. Alors que la Chine importe des matières premières depuis l’Indonésie (charbon [21 %], gaz [9 %], huiles végétales [12 %], minerais [7 %]), cette dernière importe des produits manufacturés (machines, outils électroniques…) depuis la Chine. Ce qui ne fait qu’entretenir son déficit commercial vis-à-vis de la Chine depuis 2008, l’empêchant de développer son industrie de manière durable.
Mais le pays compte bien devenir le centre de la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques en Asie en tirant parti des appétits des puissances étrangères
« J’ai dit qu’il fallait arrêter les exportations de nickel. Ceux qui veulent prendre nos matières premières ne pourront plus le faire ! » Ce sont les mots de l’ex-président indonésien, Joko Widodo, élu en 2014, qui s’engageait dans une voie nationaliste pour industrialiser son pays.
Aujourd’hui, l’Indonésie affirme cette trajectoire en tentant de faire de l’exploitation du nickel pour les batteries un secteur clé de son programme de développement industriel. Elle a, par exemple, interdit les exportations de minerais non traités depuis 2022, afin de ramener de la valeur ajoutée de la chaîne d’approvisionnement du nickel dans l’économie indonésienne.
Depuis 2020, l’Indonésie cherche à contrôler la chaîne de valeur complète de l’extraction de nickel à la production de batteries pour les téléphones portables ou les véhicules électriques. Elle a ainsi signé pour plus de 15 milliards de dollars de contrats avec des entreprises, comme les Sud-Coréennes Hyundai et LG et la Taïwanaise Foxconn. En 2024, Joko Widodo rencontrait Elon Musk à Bali pour vanter les avantages de s’implanter en Indonésie pour la production de batteries.
Si l’Indonésie courtise depuis longtemps Tesla, elle réussit à appâter le géant chinois BYD par des incitations fiscales. En effet, en janvier 2024, le plus grand constructeur de véhicules électriques du monde envisageait d’investir 1,3 milliard de dollars pour construire en Indonésie une usine d’une capacité de 150 000 véhicules par an.
L’Indonésie prise au piège des revenus intermédiaires
Un développement continu, mais inadapté
L’Indonésie, membre du G20, est aujourd’hui la 16e économie mondiale et la première économie d’Asie du Sud-Est. Elle affiche une croissance continue depuis la crise asiatique de 1997 et la démocratisation de son régime en 1998. Nouveau pays industrialisé, elle a en partie tiré profit de l’extraction et de l’utilisation des combustibles fossiles pour son développement, mais aussi de sa main-d’œuvre peu chère, comme avantage comparatif dans l’industrie bas de gamme.
En effet, dans les années 90, l’Indonésie fait partie du corridor de développement SIJORI (Singapour, Johore [Malaisie], Riau [Indonésie]), sa population travaille en partie dans l’industrie textile et Riau commence ainsi à se développer. Grâce à son intégration à la mondialisation, la pauvreté en Indonésie ne cesse de diminuer, passant de 17,75 % de la population sous le seuil de pauvreté en 2006 à 9,03 % (soit 26 millions de personnes) en 2024.
Ce développement rapide s’est accompagné d’une urbanisation à outrance, inadaptée à un développement durable et accompagnée d’un exode rural massif. Le cas de la capitale, Jakarta, est un véritable contre-exemple écologique : à cause du pompage massif et illégal d’eau souterraine, combiné aux effets du changement climatique, la ville s’enfonce de 30 centimètres par an et sera bientôt « en dessous du niveau de la mer » (National Geographic). Cette mégalopole de 30 millions d’habitants a un système de canalisation complètement obstrué par les épisodes d’inondations. Plus d’un million de foyers ne sont pas raccordés au réseau hydraulique à Jakarta, et le système sanitaire y est critique : 45 000 personnes n’ont pas accès aux toilettes dans la ville, laissant les habitants faire face au péril fécal.
L’Indonésie souffre d’une corruption généralisée, qui rend son développement laborieux
L’indice de perception de la corruption dans le secteur public y était de 66 points en 2023. Près d’un quart des ministères souffrent de détournements budgétaires. Les entreprises dépensent au moins 5 % de leurs revenus mensuels dans des paiements informels. Ces tristes chiffres nous éclairent sur la corruption généralisée dont souffre l’Indonésie et qui ne cesse d’affaiblir les pouvoirs publics et les services sociaux.
Par exemple, lors du tsunami de 2004, qui avait ravagé la pointe nord-ouest de Sumatra, l’opinion internationale, bouleversée, avait envoyé des dons financiers et un soutien multilatéral. Alors que la population craignait un usage corrompu de ces ressources pour reconstruire le pays, l’ex-président Susilo Bambang Yudhoyono avait assuré une utilisation transparente de l’argent. En août 2006, le bureau de réhabilitation et reconstruction de M. Kuntoro était accusé de détournement de fonds de plusieurs millions de dollars. Les premiers touchés restent les plus démunis, qui ont vu leurs biens disparaître sous la catastrophe. Certaines ONG ont dû stopper leurs opérations de reconstruction à cause de la corruption, c’est le cas de l’ONG britannique Oxfam, qui a suspendu toutes ses opérations après la disparition de 22 000 dollars de ses caisses.
Cette corruption empêche l’Indonésie de se développer de manière uniforme, car les plus pauvres sont les premières victimes. Les inégalités sont très élevées. Depuis 2010, le coefficient de Gini en Indonésie est resté supérieur à 0,38 (le coefficient de Gini varie entre 0 [égalité parfaite] et 1 [inégalité extrême]).
Pionnière du Mouvement des non-alignés, l’Indonésie tente de préserver son ADN face aux influences étrangères
Un pays soumis aux ingérences étrangères et aux menaces sécuritaires…
La Chine veut se tailler la part du lion en mer de Chine méridionale et elle n’a pas hésité à inclure les îles Natuna, un archipel d’Indonésie composé de 272 îles, dans sa « ligne à neuf traits ». La Chine y revendique notamment des droits de pêche. Depuis 2019, les bateaux de pêche chinois font des va-et-vient incessants dans la ZEE indonésienne, violant ainsi la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Selon Le Monde, les autorités indonésiennes comptaient 30 bateaux chinois pêchant autour des Natuna dans la seule journée du 3 janvier 2019.
L’Indonésie se partage aussi le contrôle du détroit de Malacca, centre névralgique du commerce international, avec la Malaisie, la Thaïlande et Singapour. Cependant, 30 % des attaques pirates mondiales ont lieu dans les eaux indonésiennes. L’enjeu sécuritaire est devenu un sujet essentiel dans la politique étrangère de l’Indonésie. Elle a notamment adhéré au ReCAAP (Regional Cooperation Agreement on Combating Piracy and Armed Robbery) mis en vigueur en 2006. Malgré une baisse considérable des actes de piraterie depuis le lancement du programme, ReCAAP enregistre malheureusement une hausse de 6% des incidents maritimes entre 2023 et 2024. On enregistre au total 107 attaques pour l’année 2024.
… Mais qui compte bien se défendre en affirmant son leadership régional et en formant des alliances
L’Indonésie affiche sa fidélité au non-alignement, elle ne se prive de rien. Elle multiplie les partenariats stratégiques avec les Occidentaux, comme la France, mais aussi avec la Russie. Elle est également membre du G20, où elle y a exercé la présidence en 2022. En 2015, Jakarta célébrait le 60e anniversaire de la Conférence de Bandung avec un seul discours : assurer le développement démocratique et libre du pays.
Dans cet objectif de collaboration multilatérale, l’Indonésie a choisi la France pour se protéger de l’irrédentisme chinois. En 2022, Jakarta signait pour 42 Rafale Dassault Aviation, un contrat de plus de sept milliards d’euros. En 2023, Thales vendait 13 radars de pointe GM400 de surveillance aérienne et, en avril 2023, Naval Group annonçait une collaboration avec l’État indonésien pour la vente de deux sous-marins Scorpène. Il s’agit de véritables partenariats stratégiques qui favorisent le transfert de technologie. Dans l’accord avec Naval Group, 30 % de la valeur du contrat reviendra au chantier indonésien PT PAL Indonesia (entreprise étatique de construction navale).
L’Indonésie affirme aussi son leadership régional. Elle occupe une place éminente au sein de l’ASEAN en prônant la liberté et la diplomatie pour la résolution des différends en Asie du Sud-Est. En effet, l’Indonésie ne dispose pas véritablement d’alternatives et se voit contrainte d’assumer le rôle de puissance stabilisatrice dans la région. Par exemple, en 2018, le Premier ministre indien, Narendra Modi, et l’ex-président indonésien, Joko Widodo, élevaient les relations bilatérales de leur pays à un Partenariat Stratégique Global.
Cet article a été rédigé par Inès Barbet Garcia, membre de Call’ONU ESCP.
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