Lors d’une conférence de presse, le 7 janvier 2025, lorsqu’il lui était demandé si un recours à la coercition militaire était possible pour affirmer le contrôle des États-Unis sur le Groenland et le canal de Panama, Donald Trump déclarait : « Je ne peux pas vous l’assurer sur aucun des deux. » Le Président insiste sur l’intérêt vital de ces deux lieux stratégiques et de leur contrôle pour assurer la sécurité économique de son pays. Durant la campagne et depuis son investiture, Donald Trump a multiplié les déclarations sur sa volonté de réaffirmer la place des États-Unis dans le monde en reprenant le contrôle sur certains territoires stratégiques et en mettant la pression sur des pays alliés (Canada, Mexique, Union européenne). Cette vision impérialiste pose la question de la puissance américaine tout en faisant écho aux débats historiques sur cette dernière.
Peut-on affirmer que l’attitude agressive et impérialiste de Donald Trump marque une rupture dans la politique américaine ou plutôt un retour à d’anciennes logiques ?
Volonté de revenir sur le statut du canal de Panama face à l’influence chinoise croissante
Donald Trump a lancé plusieurs menaces d’annexions du canal de Panama si le statut du canal n’était pas renégocié. En effet, le contrôle du canal de Panama, achevé par les États-Unis en 1914, avait été entièrement rendu au pays d’Amérique centrale en 1999, en vertu d’un accord signé par le président américain démocrate Jimmy Carter, en 1977. Ce traité n’a pas empêché les États-Unis d’intervenir dans les affaires internes du pays en renversant Noriega en 1989, ancien agent proche de la CIA et de la DEA ayant perdu le soutien américain à la fin des années 1980.
Dans la logique de Trump, ce traité est un aveu de faiblesse et la présence américaine historique dans la région, remontant au soutien des États-Unis pour l’indépendance du Panama face à la Colombie, suffit à justifier le contrôle du canal par la première puissance mondiale.
La principale motivation de l’attitude de Trump à l’égard du Panama est à trouver dans la supposée influence chinoise sur ce lieu stratégique, qu’il n’a eu de cesse de dénoncer. Les autorités américaines dénoncent notamment la détention des deux ports situés à l’entrée et à la sortie du canal par la holding CK Hutchison, basée à Hong Kong.
Un autre élément sur lequel s’appuie la rhétorique du président américain est la rupture des liens diplomatiques entre le Panama et Taïwan en 2017 par le président panaméen de l’époque, Juan Carlos Varela. Dès l’année suivante, le Panama devenait le premier pays de la région à rejoindre le programme chinois des Nouvelles routes de la soie.
Face à cette pression croissante des États-Unis, n’excluant pas le recours à la force, le président panaméen, José Raul Mulino, a annoncé lancer un audit pour veiller à ce que la holding CK Hutchison ne soit pas liée au Parti communiste chinois. Il a également déclaré que la participation du Panama aux Nouvelles routes de la soie ne sera pas renouvelée à compter de 2026.
Le cas du Groenland, entre contrôle d’une région stratégique et tensions avec un pays allié
Même avant son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump a multiplié les invectives envers le Groenland, en ne renonçant pas à un recours à la force si le Danemark continuait à refuser cette idée. Il a notamment déclaré sur son réseau social, Truth Social, « Make Groenland Great Again », faisant référence à son slogan de campagne, « Make America Great Again ». Le dirigeant a notamment fait pression sur la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, qui a pour sa part rappelé que « Trump n’aura pas le Groenland ».
Pour rappel, le statut du Groenland a connu de nombreux changements, surtout à partir de la seconde moitié du XXe siècle. En effet, l’ancienne colonie danoise a accédé au statut de communauté autonome constitutive du royaume du Danemark en 1979. Le Groenland a alors acquis des compétences en matière de fiscalité, d’économie ou d’éducation, puis de police ou encore de justice à partir de 2009.
Pour autant, le Groenland est encore soumis à la Constitution et à la Cour suprême du Danemark. Ainsi, le Danemark conserve des prérogatives importantes (relations internationales, défense et sécurité). Pour assurer cette présence, le Groenland reçoit environ 500 millions d’euros chaque année et profite également des aides européennes.
Face à la pression croissante des États-Unis, le gouvernement danois demande le soutien de ses partenaires européens
En effet, la Première ministre danoise s’est lancée dans une tournée européenne, en rencontrant successivement Olaf Scholz à Berlin, Emmanuel Macron à Paris et le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, à Bruxelles.
Le gouvernement danois a notamment annoncé un plan d’investissement de deux milliards d’euros pour renforcer ses moyens militaires dans l’Arctique (achat de trois nouveaux navires, des drones à longue portée et un renforcement satellitaire).
Cette mise sous pression d’un partenaire européen s’inscrit dans une stratégie plus globale de l’administration Trump : une volonté d’imposer des droits de douane plus élevés contre l’UE, à l’instar des nouveaux droits de douane appliqués contre le Canada, le Mexique ou encore la Chine. Cette volonté de déstabilisation passe également par le soutien affiché à des gouvernements ou à des mouvements d’extrême droite, comme l’illustre la présence d’Elon Musk, proche soutien de Trump durant la campagne, le 25 janvier dernier, durant un meeting à Halle, pour lancer la campagne de l’AfD (Alternative für Deutschland).
Tensions accrues avec le Canada
Cette nouvelle forme d’impérialisme ne se limite pas au Groenland et au canal de Panama. Donald Trump a réaffirmé son appel à ce que le Canada devienne le 51e État des États-Unis, dans l’intérêt des deux côtés. Le Président a alors rappelé que cette fusion permettrait de réduire les dépenses douanières et d’obtenir une croissance économique du Canada.
Cette volonté s’inscrit dans un contexte de guerre commerciale entre les États-Unis et le Canada. Le 2 février, Donald Trump a annoncé vouloir mettre en place de nouveaux tarifs douaniers s’élevant à 25 % face au Canada. Il est depuis revenu sur ses déclarations et a annoncé geler ces nouveaux tarifs pendant un mois.
Volonté de renommer le golfe du Mexique en golfe d’Amérique
Donald Trump est actuellement en train de faire pression sur Google pour changer le golfe du Mexique en golfe d’Amérique. À ce titre, il a déclaré : « Nous allons changer le nom du golfe du Mexique en golfe d’Amérique, ce qui sonne bien et couvre beaucoup de territoire. Le golfe d’Amérique, quel joli nom. »
L’idée de renommer le golfe du Mexique n’est pas anodine. Le 47e Président des États-Unis cherche à symboliquement mettre en garde le Mexique sur son laxisme migratoire dénoncé par les autorités étatsuniennes. Ainsi, à l’image du mur, renommer le golfe vise à réaffirmer la présence américaine autour de ses frontières.
La première présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, a indiqué être « en train de rédiger une lettre à Google » pour empêcher tout changement de nom.
Vision impérialiste et expansionniste qui s’inscrit dans l’histoire américaine
Même si cette vision des États-Unis impérialiste et expansionniste peut paraître étonnante, elle rejoint en réalité des débats historiques sur la place du pays dans la région et dans le monde. En effet, les États-Unis sont avant tout le fruit de conquêtes territoriales ou d’achats de territoires. Par exemple, on peut penser à l’achat de la Louisiane en 1803 auprès de la France.
Cette attitude semble donc être un retour aux débats sur la puissance remontant au début du XXe siècle entre impérialistes et anti-impérialistes. Dans ce contexte, les impérialistes considéraient que ces nouveaux territoires ne seraient pas inféodés, mais avaient pour but de devenir des citoyens américains apportant ainsi le progrès en référence à la Destinée Manifeste.
Pour autant, il est important de montrer qu’aujourd’hui, les grandes puissances multiplient les politiques d’expansionnisme
On peut notamment penser à la politique d’Erdogan dans le nord de la Syrie, ou encore de Xi Jinping en mer de Chine méridionale. Donald Trump utilise donc la rhétorique d’autres grandes puissances comme la Russie en justifiant le recours potentiel à la force armée pour déplacer le rapport de force. Cet aspect de la puissance américaine peut donc être une rupture, surtout que cette stratégique est dirigée à l’encontre de pays alliés ayant défendu le modèle multilatéral des relations internationales.
Avec le Panama, c’est la crainte que la Chine prenne trop de place. Concernant le Groenland, il y a à la fois un enjeu d’accès à l’Arctique et des minéraux rares dont les États-Unis ont besoin pour la production de hautes technologies. Partout, Trump va essayer d’aller chercher ces intérêts stratégiques via des menaces ou des propos expansionnistes. L’idée n’est pas du tout qu’on est proches de guerres expansionnistes, mais plutôt que c’est un moyen pour les États-Unis de déstabiliser leurs adversaires, de mieux se positionner et peut-être d’obtenir de petites victoires ou autre chose.
Conclusion
Il apparaît peu probable que les États-Unis se lancent dans une politique d’annexion, en partie du fait du manque d’élan populaire derrière cette idée. Trump cherche à réaffirmer une attitude impérialiste pour défendre les intérêts américains et renégocier les statuts de certains territoires clés, et limiter l’influence de concurrents (Russie dans l’Arctique, Chine au Panama).
Pour autant, on peut voir dans la stratégie de Trump s’entremêler deux thèmes assez contradictoires. En effet, d’un côté, il ne cesse de jouer sur le thème de l’Amérique en déclin, de la situation catastrophique du pays, de l’imminence d’une catastrophe. Pour autant, de l’autre, il insiste sur un thème d’espoir et de volonté d’instaurer un nouveau monde en adéquation avec les intérêts du pays.
Il est donc possible de penser que cette nouvelle attitude jouant sur les deux registres permet à Trump de mobiliser ses partisans en jouant à la fois sur les difficiles conditions de vie des citoyens américains, tout en redonnant l’espoir à cette population d’une Amérique puissante.
Cet article a été rédigé par Call’ONU ESCP, association de diplomatie et de géopolitique de l’ESCP.
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