Le 23 juin 2016, les Britanniques votaient majoritairement en faveur du Brexit. Après des années de négociations houleuses, le Royaume-Uni quittait officiellement l’Union européenne le 31 janvier 2020. Cinq ans plus tard, quel bilan tirer de cette sortie historique ? Tandis que certains pointent du doigt ses effets déstabilisateurs sur l’économie et la société, d’autres jugent son impact moins sévère qu’anticipé. Le Brexit a-t-il réellement tenu ses promesses ?
Une économie toujours en ajustement
Un ralentissement notable du commerce et de la croissance
Cinq ans après sa sortie de l’Union européenne, le Royaume-Uni peine encore à retrouver une dynamique économique comparable à celle d’avant le Brexit. La réduction des échanges commerciaux avec l’UE a entraîné une hausse des coûts pour les entreprises, freinant leur compétitivité et pesant sur l’activité économique. Selon le Bureau de la responsabilité budgétaire du gouvernement, les exportations et importations britanniques seront à long terme inférieures d’environ 15 % à ce qu’elles auraient été sans le Brexit, tandis que la productivité économique devrait chuter de 4 %.
Cette tendance se traduit par un ralentissement de la croissance : d’ici 2030, la perte de richesse nationale pourrait atteindre entre 1 et 3,5 points de PIB. L’Institut national de recherches économiques et sociales estime même que l’économie britannique pourrait être amputée de 5 à 6 points de PIB d’ici 2035. Ces prévisions confirment un impact plus profond et durable qu’anticipé, fragilisant la position du Royaume-Uni sur la scène économique mondiale.
Des secteurs touchés
Certains secteurs de l’économie britannique ont été particulièrement touchés par le vote de 2016, notamment ceux qui dépendent fortement des échanges avec l’Union européenne. De nombreuses banques et entreprises ont choisi de délocaliser une partie de leurs activités pour conserver un accès simplifié au marché unique, affaiblissant ainsi la place financière de Londres. Parallèlement, l’investissement des entreprises a baissé depuis le Brexit, ce situant 20% en dessous du niveau qu’il aurait probablement atteint autrement.
Des pénuries de main-d’œuvre ont frappé des secteurs comme l’agriculture et la restauration, traditionnellement dépendants de travailleurs européens. La sortie du marché unique a entraîné une hausse des formalités administratives et des coûts d’exportation, un obstacle dénoncé par 81 % des entreprises interrogées par les British Chambers of Commerce. L’industrie de la pêche illustre ces difficultés : nombreux petits pêcheurs ont renoncé à vendre leurs produits sur le marché européen.
Une changement économique structurel qui dépasse largement le Brexit
Si le Brexit a indéniablement eu un impact sur l’économie britannique, il ne peut à lui seul expliquer l’ensemble des difficultés traversées par le pays ces dernières années. La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont profondément bouleversé l’économie mondiale, entraînant des perturbations des chaînes d’approvisionnement et accélérant l’inflation bien au-delà des frontières britanniques. Dans ce contexte, le Royaume-Uni n’a pas connu de trajectoire économique fondamentalement différente de celle de ses voisins européens. Depuis 2016, la croissance de son PIB est restée comparable à celle de la France et de l’Allemagne. De plus, le Royaume-Uni demeure la deuxième destination des investissements étrangers en Europe, avec des projets générant davantage d’emplois que ceux captés par la France et l’Allemagne. Londres conserve son statut de place financière incontournable, et le pays reste un leader en matière d’innovation.
Une recomposition politique et diplomatique
L’échec des conservateurs à faire du Brexit un succès
Le Brexit, largement porté par les conservateurs, a appuyé sur le manque de cohérence des tories. Alors qu’ils avaient promis une reprise en main de la souveraineté nationale et un nouvel essor économique, les gouvernements successifs ont échoué à donner un véritable sens à ce projet. Ils ont été incapables de concrétiser les promesses du référendum de 2016, qu’il s’agisse de la croissance, du contrôle migratoire ou de l’amélioration des services publics. En juillet 2024, les Britanniques ont sanctionné le Parti conservateur, en élisant le travailliste Keir Starmer. S’il n’envisage pas un retour dans l’Union européenne, le leader travailliste plaide pour un rapprochement avec Bruxelles afin de réduire les frictions commerciales et restaurer une relation plus stable avec le continent.
La résurgence de tensions internes au Royaume-Uni
Le Brexit a ravivé des tensions internes au Royaume-Uni, notamment en Écosse et en Irlande du Nord, où la question de l’unité du pays se pose. En Écosse, le référendum de 2016 a renforcé les revendications indépendantistes : 62 % des Écossais avaient voté contre la sortie de l’Union Européenne. Cet argument a été repris par le Scottish National Party, qui a fait de l’indépendance une priorité. Si tu veux en savoir plus sur la question de l’indépendance écossaise post-Brexit, clique ici.
Le Brexit a également posé un problème pour l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Avant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, la frontière entre les deux pays était invisible, car ils faisaient partie du marché unique et de l’union douanière. Cela facilitait les échanges commerciaux et garantissait la libre circulation des personnes, un élément clé des accords du Vendredi Saint de 1998, qui avaient mis fin à des décennies de conflit en Irlande du Nord. Avec le Brexit, la question de la frontière s’est de nouveau posée. Or, remettre une frontière physique aurait ravivé les tensions historiques et mis en péril la paix en Irlande du Nord.
Pour éviter cela, un accord a été trouvé en 2020 : le protocole nord-irlandais. Celui-ci maintient l’Irlande du Nord dans le marché unique européen pour les biens, évitant ainsi une frontière terrestre avec la République d’Irlande. Toutefois, cela a entraîné la mise en place de contrôles douaniers entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, ce qui a provoqué la colère des unionistes nord-irlandais, qui y voient une séparation avec le reste du Royaume-Uni. Cette situation a entraîné des tensions politiques et des blocages institutionnels, poussant Londres et Bruxelles à renégocier certaines dispositions, aboutissant en 2023 au Cadre de Windsor, visant à alléger les contrôles et limiter l’application du droit européen.
Des relations diplomatiques perturbées
Les relations diplomatiques du Royaume-Uni restent marquées par des tensions et des ajustements. Sur le plan commercial, les négociations avec l’Union européenne sont complexes, les accords existants montrant leurs limites. Les exportations britanniques vers l’UE restent en retrait, environ 12 % en dessous de leur niveau d’avant la pandémie, tandis que les exportations de services hors UE croissent.
Keir Starmer tente de rétablir des liens plus constructifs avec Bruxelles, comme en témoigne sa visite en octobre 2024, la première d’un dirigeant britannique depuis le Brexit. Toutefois, son engagement à ne pas réintégrer l’union douanière ni le marché unique restreint les marges de manœuvre pour un véritable rapprochement. Ursula von der Leyen a insisté sur la nécessité d’une coopération plus étroite sur des sujets stratégiques mais les discussions restent entravées par des différends persistants. Dans ce contexte, le Royaume-Uni tente de renforcer ses relations avec d’autres partenaires, notamment les États-Unis et le Commonwealth.
Quels impacts sociétaux et migratoires ?
Une société divisée entre pro-Brexit et anti-Brexit
Le Brexit, déjà source de profondes divisions avant le référendum, reste aujourd’hui un sujet de désaccord au sein de la population britannique. On parle aujourd’hui de « Bregret », un terme désignant le regret du Brexit. Selon une récente étude de Redfield & Wilton, si un référendum sur une éventuelle réadhésion à l’UE avait lieu aujourd’hui, 56 % des Britanniques choisiraient de revenir dans l’Union européenne. Cela peut en partie s’expliquer par le changement démographique : les jeunes seraient davantage favorables à l’Union européenne.
Alors que les partisans du Brexit arguaient lors de la campagne que la NHS pouvait bénéficier de 350 millions de livres supplémentaires par semaine, seuls 9% des Britanniques estiment que le Brexit a eu un impact positif sur la NHS. Il en est de même pour la question de l’immigration, aspect majeur porté par les Brexiters : 53% des électeurs du « Leave » reconnaissent que le Brexit a en réalité affaibli la capacité du pays à gérer ses frontières.
Des opportunités compromises pour les populations
Le Brexit a réduit les opportunités pour les jeunes britanniques et européens, notamment en matière d’éducation et de recherche. L’une des principales raisons est la fin de la participation au programme Erasmus+. L’accès aux études au Royaume-Uni est devenu plus coûteux pour les Européens, réduisant considérablement leur présence dans les universités britanniques. Il en est de même pour les jeunes Britanniques qui peuvent moins facilement découvrir de nouveaux pays. Plus largement, l’accès à la culture n’a pas été épargné : la coopération culturelle et la mobilité des artistes restent une problématique. Ces restrictions nourrissent un sentiment de frustration chez une partie de la population.
Un défi migratoire loin d’être relevé
Loin des promesses de reprise en main des frontières, le Brexit a profondément transformé les dynamiques migratoires du Royaume-Uni, sans pour autant répondre aux attentes des électeurs qui espéraient une baisse de l’immigration. Tandis que la fin de la libre circulation a entraîné une diminution du nombre de travailleurs européens au Royaume-Uni, l’instauration du système d’immigration à points a paradoxalement conduit à une hausse record des entrées légales en provenance du reste du monde. En effet, le nombre de personnes issues de l’immigration nette s’élève à plus de 700 000 par an, la plupart venant d’Inde, du Nigeria et du Pakistan. La promesse concernant l’immigration est donc loin d’être tenue, celle-ci s’est simplement diversifiée.
En parallèle, l’immigration illégale reste un défi de taille : en 2023, environ 37 000 personnes ont traversé la Manche à bord de small boats, un chiffre qui continue d’alimenter le débat politique. D’après un sondage NatCen Opinion Panel, 56% des pro-Brexit estiment que l’immigration est plus élevée ces dernières années.
Conclusion
Cinq ans après le Brexit, le Royaume-Uni continue d’en mesurer les conséquences. Si la volonté de retrouver sa souveraineté était une idée phare du Brexit, la réalité s’est avérée plus complexe, entre difficultés économiques, tensions politiques internes et bouleversements sociétaux. Le débat sur le Brexit reste vif, alimenté par un sentiment de « Bregret » chez une partie de la population. Pourtant, un retour en arrière semble peu probable à court terme. L’enjeu pour le Royaume-Uni n’est donc plus de questionner la sortie de l’UE, mais bien de redéfinir son modèle économique et diplomatique dans un monde en pleine mutation.
Si tu veux en savoir plus sur les liens reliant l’Union européenne et le Royaume-Uni, regarde cet article intitulé “Le Royaume-Uni et la construction européenne”.