Le 13 octobre 2019 a eu lieu en Tunisie le second tour de l’élection présidentielle. Il a vu s’affronter Kaïs Saïed et Nabil Karoui. Beaucoup d’incertitudes planaient sur ces élections puisque les deux candidats ne sont pas du sérail politique. En effet, c’est hors partis et structures que les deux hommes se sont lancés dans l’aventure présidentielle. Et ce n’est pas sans inquiéter les Tunisiens, tant l’enjeu est considérable pour cette jeune démocratie. D’ailleurs, la presse redoutait un avenir politique peu reluisant. Où en est alors le pays dans son processus d’installation d’une démocratie stable au lendemain du printemps arabe ? Nous verrons que l’histoire politique tunisienne a été instable depuis l’indépendance, puis nous montrerons que le pays a été le berceau du printemps arabe. Enfin, nous nous intéresserons au futur de la Tunisie.
I – Une histoire politique instable depuis l’indépendance
Dès le milieu du 19e siècle, le pays a connu une modernisation sans précédent dans le monde arabe. Après des années de combats nationalistes menés par Habib Bourguiba et ses partisans, le pays obtient son indépendance le 20 mars 1956. Le leader nationaliste devient alors président de la première Assemblée nationale tunisienne, puis Premier ministre.
Toutefois, la Tunisie devient rapidement un régime de parti unique. En effet, toutes les institutions du pays sont tenues par le parti socialiste destourien. Même si l’université de Tunis demeure un endroit de libre expression parfois critique vis-à-vis de Bourguiba, son principal opposant Salah Ben Youssef est assassiné en 1961. Du côté économique, le gouvernement entame en 1963 une étatisation « socialiste » de pratiquement tous les secteurs de l’économie qui durera jusqu’en 1969. Progressivement, une société civile émerge dans le pays. Dès le début des années 80, le pays traverse une grave crise politique et sociale où se développent le clientélisme et la corruption. Pour couronner le tout, le pays est paralysé avec la dégradation de l’état de santé de Bourguiba.
En 1986, le pays passe également par une grave crise financière. Bourguiba désigne alors le technocrate Rachid Sfar comme Premier ministre et le charge de mettre en place un plan d’ajustement structurel de l’économie recommandé par le FMI et destiné à rétablir les équilibres financiers du pays. Mais la situation favorise la montée de l’islamisme et le long règne de Bourguiba s’achève.
Le nouveau président Ben Ali est élu en 1987 avec 99,2 % des voix. Il réussit à relancer l’économie alors que sur le plan de la sécurité, le gouvernement se targue d’avoir stoppé la propagation islamiste. L’opposition et de nombreuses ONG de défense des droits de l’homme accusent le gouvernement d’étendre la répression au-delà de la menace islamiste. Pourtant, Ben Ali est réélu en 1994 avec 99,91 % des voix. Malgré le tripartisme, les élections de 1990 débouchent sur le même résultat. Et la réforme de la constitution de 2002 accroît davantage les pouvoirs du président.
La répression politique se poursuit dans les années 2000. En plein sommet mondial sur la société de l’information en 2005, les médias internationaux focalisent leur attention sur la question de la liberté d’expression dans le pays.
II – Le berceau du printemps arabe
C’est en décembre 2008 que le pays plonge dans une crise sociale sans précédent. Un jeune vendeur ambulant, excédé par le chômage et la misère, s’immole par le feu à Sidi Bouzid. Ce geste déclenche un mouvement de contestation dans tout le pays contre les inégalités sociales et territoriales. Malgré un discours télévisé se voulant rassurant et dans lequel il s’engage à quitter le pouvoir à la fin de son mandat en 2014, le président Ben Ali ne parvient pas à endiguer les manifestations. Elles regroupent maintenant toutes les classes sociales. Les forces de police interviennent à l’aide de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc. Ben Ali est donc contraint de fuir son pays le 14 janvier 2011. La contestation commence alors à s’étendre aux pays voisins. En octobre 2011, le mouvement islamiste Ennahdha, légalisé en mars, remporte 89 des 217 sièges de l’assemblée constituante. En décembre, Moncef Marzouki, militant de gauche et opposant à Ben Ali, est élu chef de l’État par cette dernière.
De nombreuses crises sécuritaires se succèdent avec des manifestations qui dégénèrent, mais également avec l’attaque de l’Ambassade américaine et de l’École américaine par des salafistes. La violence politique s’immisce dans la crise avec l’assassinat d’opposants politiques comme Chokri Belaïd.
Le 26 janvier 2014, après de longues négociations, une constitution est enfin adoptée. Elle suit des principes très modernes par rapport au monde arabe : la charia n’est plus la source du droit, la polygamie est interdite et l’égalité hommes-femmes est reconnue.
En octobre, le parti anti-islamiste Nidaa Tounés de Béji Caïd Essebsi, qui regroupe autant des figures de gauche que de centre-droite et des proches du régime de Ben Ali, devance Ennahdha et remporte les législatives. Deux mois plus tard, Essebsi remporte les élections face à Moncef Marzouki.
III – Et maintenant ?
D’un point de vue économique, la situation va mieux dans le pays, mais reste tout de même relativement instable. En effet, après des années de profondes difficultés économiques dues notamment à la chute du tourisme après une série d’attentats djihadistes, la croissance est de retour. Toutefois, elle est menacée par une inflation croissante, une dette publique considérable et un déficit commercial important. Le pays commence de nouveau à attirer les IDE étrangers, comme l’annonce par Peugeot de la mise en place d’une nouvelle usine le montre. Un accord de libre-échange avec l’UE est d’ailleurs en cours de négociation.
La production de phosphate, ressource stratégique sur laquelle repose l’économie du pays, a plusieurs fois été entravée en raison des troubles sociaux. De son côté, l’agriculture va mieux puisque le pays est le 2e producteur mondial d’huile d’olive après l’Espagne.
Au niveau sécuritaire, l’instabilité politique du printemps arabe a permis l’essor d’une mouvance djihadiste armée. Le groupe État Islamique a revendiqué trois attentats en 2015 qui ont fait 72 morts, surtout des touristes étrangers et des membres des forces de l’ordre lors de l’attaque du Musée du Bardo à Tunis. Malgré les propos rassurants des autorités, le pays reste à l’heure actuelle sous état d’urgence.
D’un point de vue social, selon Nadia Chaabane élue en 2011, en Tunisie, « nous sommes encore dans le processus révolutionnaire. Il y a une importante résistance au changement, mais les progrès en termes de liberté d’expression sont considérables depuis sept ans ».
Pour ne rien arranger, il existait une possibilité que l’élection présidentielle soit invalidée puisque l’un des candidats, Nabil Karoui, était en prison, suspecté de blanchiment d’argent. Toutefois, sans condamnation, il demeurait un candidat au même titre que son opposant au second tour Kaïs Saïed. L’égalité des chances entre les candidats ne serait pas respectée selon l’instance électorale, ce qui pourrait conduire à l’annulation des résultats. Le pays reste donc au bord du chaos politique, puisque le président par intérim ne pourra bientôt plus gouverner selon ce qui est prévu par la constitution…
Conclusion
Par rapport à l’environnement régional, la Tunisie est en avance à l’heure actuelle du fait des bons résultats du printemps arabe, loin du chaos libyen ou syrien. Toutefois, un grand nombre de défis restent encore à relever pour cette jeune démocratie : la stabilisation des institutions, le retour des investissements étrangers et la juste distribution des ressources qui permettraient au pays de pérenniser son émergence.