« Quiconque a bu une tasse de chocolat résiste à une journée de voyage », Goethe nous donne ici un remède pour faire le plein de force avant la rentrée. Il me donne aussi l’occasion d’introduire un mets plutôt utile pour ta dissertation de géopolitique. Le chocolat. Il s’agit, selon la définition classique de Brillat-Savarin, d’un « mélange qui résulte de l’amande de cacao grillée avec le sucre et la cannelle ». Cette définition, sans doute discutable car ancrée dans un contexte culturel et temporel particulier, date du début du XIXe siècle, preuve que le chocolat fait déjà partie de la vie des Européens. Mais depuis quand est-ce le cas ? En quoi ce produit reflète-t-il les différentes facettes de la mondialisation et ses enjeux ?
Le chocolat, un bien transformé importé du Nouveau Monde
Commençons par un peu d’histoire. Le chocolat est fait à partir des fèves des fruits du cacaoyer. Il est aujourd’hui omniprésent dans l’Ancien Monde. Il fût d’abord un mets de luxe dégusté dans les milieux nobles et offert pour des occasions spéciales comme les fêtes religieuses, avant de se démocratiser et d’être désormais le symbole du plaisir païen au quotidien. Source de tous les fantasmes, il est célébré dans la littérature européenne –même Nietzsche le recommandait pour démarrer la journée-, comme puissant aphrodisiaque ou comme madeleine de Proust, au cinéma ou encore par la Haute-Couture.
Toutefois, il n’a été importé qu’au XVIIe siècle sur le Vieux Continent. Son lieu de naissance est contesté, mais on sait que les fèves ont d’abord été cultivées dans la zone qui s’étend entre le Sud de l’Amérique du Nord et l’Amérique centrale. Inconnu des européens, il est d’abord présenté et offert par des autochtones aux célèbres explorateurs européens à l’instar de Cortez ou Christophe Colomb (sur l’île de Guanaja). Il sera ensuite importé en Europe par l’Espagne avant de s’y diffuser, et d’atteindre notamment l’Italie puis la France grâce à Anne et Marie-Thérèse d’Autriche qui l’importent à la Cour de Louis XIII où il sera consommé même à la messe –bien que parfois dénoncé pour être nocif ou trop sensuel par des médecins et évêques, des interdits qui ne feront que grandir son aura. Une fois de plus c’est à Paris que naît une nouvelle mode ! En Suisse, aujourd’hui réputée pour la qualité de son chocolat, la première boutique ouvre au XVIIe siècle, soit cent ans après l’importation du chocolat sur place, à Zurich, mais ce n’est que plus tard que de grands noms comme Lindt contriburont à sa renommée grâce à leurs innovations.
A l’origine, il est consommé sous la forme de breuvage –sa couleur rappelle celle du sang, omniprésent dans les rituels- par les Mayas qui en font un usage purement religieux. Les Aztèques l’utilisent comme breuvage à la fois pour communiquer avec les Dieux (lorsqu’il mousse) et pour leur propre plaisir. Tout comme Charlie («Boy» de Roald Dahl) y voit « une barre d’or massif », ils y voient une monnaie d’échange et se servent des fèves comme de pièces de monnaie. En Europe, il n’est perçu qu’en tant que plaisir baroque –il est consommé avec des épices, de la vanille…- et hédoniste –au mieux avec quelques vertus thérapeutiques, notamment avec le beurre de cacao auquel on découvre des vertus en cosmétique avec le temps- et n’est consommé que comme breuvage jusqu’au XIXe siècle. Au XIXe il sera particulièrement démocratisé grâce à plusieurs phénomènes. Pour des raisons pratiques, la tablette naît avec Meunier à Londres. En France, Jules Ferry rend l’école obligatoire, et Poulain, la poudre aromatisée, naît en 1847 à Blois, si bien que désormais les écoliers auront pour rituel un petit déjeuner avec chocolat chaud, et en goûter, une petite tablette dans un quignon de pain.
Le chocolat s’est donc bel et bien internationalisé avec les siècles, mais ce n’est pas l’unique raison pour faire de lui le reflet des enjeux de la mondialisation et de ses mécanismes. Pourquoi donc peut-on le considérer comme tel ?
Le chocolat, reflet de la mondialisation et de ses mécanismes
Les rapports entre ce que l’on qualifiait de Nord et de Sud ont beaucoup évolué et l’histoire du cacao en est témoin. Si les débuts eu Europe sont difficiles –la première cargaison arrive en 1585 mais Madame de Sévigné oscille encore entre suspicion et fascination en 1671- les Empires Coloniaux vont rapidement avoir l’intuition de la manne financière que pourront représenter le cacao et sa culture. Les métropoles importent ainsi des cacaoyers dans leurs Empires pour y cultiver les précieuses fèves dans les Antilles, au Ceylan, à Madagascar… Ceci explique qu’aujourd’hui, le cacao soit produit bien loin de ses terres d’origine ! De nos jours, la Côte d’Ivoire et le Ghana représentent plus de 60% de la production de fèves contre 6% pour l’Equateur. Les principaux producteurs se trouvent au niveau de la « ceinture du cacao », entre les deux tropiques. Une autre « fracture » est à noter. Si la majorité des consommateurs se trouve dans les pays dits du Nord -les seize premiers consommateurs sont européens avec en tête l’Allemagne (11,1kg par an par personne) et la Suisse (9,7 kg par an par personne) – la majorité des producteurs sont situés au Sud.
La tendance pourrait toutefois évoluer puisqu’entre 2011 et 2013, par exemple, la consommation de chocolat a augmenté de 9% aux Etats-Unis contre 75% en Chine et 80% en Inde. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela, par exemple, la montée des classes moyennes accompagnant le développement économique ou encore la standardisation des goûts qui accompagne la globalisation (en particulier dans les grandes métropoles). En effet, initialement le chocolat et sa consommation sont des phénomènes très culturels et donc peu universels. Comme nous l’avons vu, même à l’origine, le chocolat n’est pas consommé de la même façon ou pour les mêmes raisons. Le chocolat chaud est consommé en Europe avec du lait pour l’adoucir alors que les vaches et le lait étaient absents de ses terres d’origine dans un premier temps. En Espagne, il était d’abord consommé avec du piment… Son caractère aphrodisiaque l’a d’abord rendu interdit pour les enfants alors qu’il est justement devenu le symbole de l’enfance pour certains à d’autres époques. De nouveau, la consommation du chocolat se démocratise à une nouvelle échelle. Pour répondre à cette demande croissante, des variétés de cacaoyers sont croisées comme en Equateur pour donner des espèces plus productives comme le CCN51. Mais cela risque de ne pas suffire.
Le cacao est au cœur des nombreux défis mondiaux contemporains. Les consommateurs augmentent mais les producteurs sont de moins en moins nombreux, comme de nombreuses ressources, il est désormais soumis au risque de pénurie. Les raisons de la baisse du nombre de producteurs nous conduisent à aborder les défis de développement durable et d’interdépendances internationales et régionales auxquels le cacao est confronté. Une grande partie de la production est constituée de 5,5 millions de petites exploitations, essentiellement en Afrique. Les revenus de ces producteurs sont faibles –environ 6% du prix d’une tablette de chocolat- si bien qu’ils sont tentés de se tourner vers d’autres types de production pour lesquelles la chaine de valeur est mieux répartie, mais aussi moins risquée. Le cacao est en effet sensible à de nombreux types de crises : sanitaires, climatiques –les cacaoyers sont très sensibles et seul 1% des arbres donnera des fruits exploitables- politiques –le cas de la Côte d’Ivoire est parlant- et économiques. En 2014, suite à la crise d’Ebola, les voisins du Ghana et de la Côte d’Ivoire comme le Libéria avaient fermé leurs frontières avec le pays, or la main d’œuvre qui exploite le cacao vient pour grande partie de ces pays voisins. Aujourd’hui la nouvelle crise sanitaire liée au covid-19 a un impact très négatif sur le cours du cacao, au même titre que sur le cours du cuivre par exemple.
Conclusion sur la géopolitique du chocolat
Le chocolat est ainsi un produit transformé et internationalisé originaire d’Amérique méridionale. La carte de la chaîne de valeur reflète les dynamiques d’une ancienne époque. Cette carte évolue toutefois en parallèle avec les nouveaux phénomènes liés à l’émergence des classes moyennes par exemple et les nouveaux défis de développement social du monde contemporain. Le chocolat est très sensible aux nombreuses crises politiques, climatiques et sanitaires, mais il continue d’être apprécié. En 1693, le Roi avait dû décider de le bannir à la Cour et de cesser d’en offrir à ses visiteurs, pour cause de finances en berne. Si la consommation continue d’augmenter et la production de baisser dans le même temps à l’échelle mondiale, le chocolat pourrait de nouveau devenir inaccessible. Il redevient de plus en plus un bien de luxe, à tel point que certains experts identifient des Millésimes, comme pour le vin. En 1659 le mot « chocolat » entrait dans la langue française –ne débattons pas des origines du mot, sources de nombreuses querelles et incertitudes- espérons qu’il n’en sorte pas de sitôt.
Sources
« Le goût du chocolat », Le petit mercure
Le Dessous des cartes
Le monde dans nos tasses, Grataloup
Statista
Syndicat du chocolat